François Milan
Réforme des retraites

À Abbeville, un médecin verse ses honoraires aux grévistes

par François MILAN
Publié le 3 avril 2023 à 09:59

Médecin généraliste dans un quartier populaire d’Abbeville, le Dr Julien Burnay a décidé de s’engager contre la réforme des retraites en reversant ses honoraires aux caisses de grève. Il souhaite ainsi « agir sur les causes » de la souffrance au travail qu’il constate tous les jours dans son cabinet. Portrait.

Il revient de la manifestation contre la réforme des retraites d’Abbeville. Il est 12 h 15. Le Dr Julien Burnay, légèrement essoufflé, parle vite. Dans une heure et demie, il participera à celle d’Amiens. Ce jeune médecin, engagé à gauche, croit en une médecine humaniste ; il joint le geste à la parole en reversant ses honoraires aux caisses de grève afin d’aider les manifestants.

« La santé n’a pas à être rentable »

Né le 16 juillet 1984, à Amiens, d’un père chirurgien vasculaire et d’une mère infirmière, il passe son enfance à Vers-sur-Selle, puis à Bellancourt, puis à Abbeville à partir de 8 ans. Dans cette ville, il réalise de brillantes études, obtient son bac S à 16 ans. « Pour faire comme papa », il débute des études de médecine afin de devenir chirurgien et finalement s’oriente vers la médecine générale. « L’aspect relationnel m’intéressait plus ; il faut être à la fois psychologue, assistant social, parfois confident », explique-t-il. En 2014, il termine son internat, effectue des remplacements, notamment dans le cabinet du Levant, rue Germinal, situé dans un quartier populaire d’Abbeville, où il exerce aujourd’hui, à raison de trente à quarante consultations par jour. «  Avant, j’en faisais encore plus ; j’ai ralenti. Il existe un vrai problème de démographie médicale en France », concède-t-il. « On tente de soigner le plus de personnes ; on travaille vite et pas dans des conditions optimales. L’accès aux soins se dégrade : il faut attendre six mois pour avoir un rendez-vous chez le dentiste ou chez le neurologue, un an chez l’ophtalmologiste. Il y a des problèmes de place à l’hôpital. » Il met en cause les logiques des gouvernants, leur politique néolibérale, l’austérité des budgets dans le but de faire baisser le coût du travail afin de boucher le trou de la Sécurité sociale. « Le but est de limiter le nombre de médecins formés », pense-t-il. «  C’est l’heure des restrictions budgétaires. On fait donc avec les moyens du bord. L’hôpital est géré comme une entreprise ; or, la santé n’a pas à être rentable. Longtemps, la France a eu le meilleur système de santé du monde ; à partir de 1983, ça s’est dégradé à cause des gouvernants, certes, mais aussi à cause des syndicats de médecins qui, à l’époque, voulaient avant tout défendre leur bout de gras.  » Confronté à une telle logique capitalistique, soigner correctement nécessite de passer par un engagement politique selon lui.

« J’ai donc eu envie d’agir sur les causes »

Pourtant, rien ne l’y prédisposait car issu d’une famille où régnaient des valeurs plutôt de droite ; en 2007, il avoue même qu’il a voté pour Sarkozy. Un an plus tard, à la faveur de la crise des subprimes, il effectue sa transition idéologique, s’intéresse à l’économie, au social, à la politique, lit des philosophes et des essayistes de gauche. « Je me suis rendu compte des méfaits du capitalisme sur la planète et sur les gens », annonce-t-il. Dès le début, il participe aux manifestations des Gilets jaunes « car ce fut un vrai mouvement de soulèvement populaire par des gens qui ont fait leur part du contrat social et qui, malgré cela, ne parvenaient pas à s’en sortir ». En novembre 2018, il se rend, en compagnie de sa petite sœur, à une manifestation des Gilets jaunes à Paris. « Dans le train, je retrouve des gens festifs, qui chantent ; certains sont mes patients », dit-il. L’exercice quotidien de sa profession de médecin renforce son engagement. « Il devrait y avoir une éthique des soins, mais l’État de nous en donne pas les moyens », proteste-t-il. « Les praticiens donnent des traitements symptomatiques qui soulagent mais ne guérissent pas, au lieu de prescrire des traitements étiologiques qui traitent directement la cause. Quotidiennement, je suis en face de patients qui portent des charges lourdes ou qui consomment trop d’antidépresseurs. Dans mon cabinet, j’avais l’impression d’écoper la merde à la petite cuillère. J’ai donc eu envie d’agir sur les causes : moins de souffrance au travail, moins de cachets... Je vois tous les jours des gens qui sont cassés à 55 ans ; ils souffrent de hernies discales, de problèmes ostéo-articulaires ; ils sont parfois en invalidité. Les faire bosser jusqu’à 64 ans, c’est inhumain ! Emmanuel Macron n’écoute personne, sauf une partie des oligarques qui dirigent le pays. Le meilleur moyen de lutter, c’est de bloquer l’économie afin de bloquer les profits du capital. Moi, quand, je fais grève, je ne bloque pas l’économie. Ceux qui la bloquent ce sont les cheminots, les ouvriers, les dockers, les raffineurs, ceux qui bossent dans la logistique... » Fort de ce constat, il a décidé de reverser ses honoraires de médecin à la caisse de soutien aux grévistes. Une façon de lutter, à son échelle, contre les dégâts du capitalisme et de l’ultralibéralisme.

Toute une histoire :

16 juillet 1984 : Naissance de Julien Burnay à Amiens. 2000 : Il obtient son bac S à l’âge de 16 ans. 2007 : Il vote pour Nicolas Sarkozy. 2008 : Il réalise sa transition idéologique et passe à gauche. 2014 : Il termine son internat de médecine et fait des remplacements notamment au cabinet du Levant, à Abbeville. 2017 : Il soutient le député François Ruffin et LFI. 2018 : Il manifeste aux côtés des Gilets jaunes. 2019 : Il s’installe dans le cabinet du Levant, à Abbeville. 2023 : Il reverse ses honoraires à la caisse de grève.

Mots clés :

Somme