PORTRAIT

Annick Mattighello, la « métallote » aux dix vies

par Mathieu Hébert
Publié le 9 février 2018 à 16:54 Mise à jour le 18 décembre 2018

Entrée en politique par le militantisme syndical, Annick Mattighello quitte son mandat de maire de Louvroil. Retour sur un parcours exemplaire à bien des égards.

C’est un autre maire qui siège désormais dans son petit bureau de Louvroil. Quelques jours avant de le quitter définitivement, Annick Mattighello y conservait archives et souvenirs, dont quelques paires de gants de boxe, cadeaux de champions du coin, et un portrait de Jean Ferrat orné de cet extrait d’« Excusez-moi » : « Je ne courberai pas la tête / A la fin de mes chansonnettes / Je préfère vous regarder droit  ».

Annick Mattighello, 67 ans, passe le flambeau. Après bien des hésitations, elle abandonne celui qui fut « le plus beau des mandats  », mais qui demande aussi « beaucoup d’énergie  ». Affectée par l’amiante, elle pointera à la caisse de retraite et sa petite pension d’ouvrière.

Vingt ans à l’usine

Entrée à l’usine à 18 ans après trois ans « toutes sortes d’activités  », Annick Mattighello a commencé à travaillé sans pouvoir profiter du voyage à Calais offert aux titulaires du certificat d’études. Elle a fait siennes les aspirations des petites gens.

Elle le tient de sa mère. « Tiens-toi droite et lève la tête  », lui disait-elle souvent. C’est à « la Thomson  », à Lesquin, qu’elle vit ses premiers combats. Bien d’autres suivront. Avec les syndicats CGT de la métallurgie, puis au PCF, souvent rare femme dans un monde d’hommes.

« L’usine m’a fait découvrir la solidarité  », dit-elle. D’abord celle de ses sœurs de labeur. « Si tu souris trop, ce sera considéré comme un encouragements », lui ont dit les femmes à son arrivée dans l’usine à propos des chefs trop pressants. « Elles ne me connaissaient pas. J’ai été prise en main  », rapporte-t-elle, encore reconnaissante. C’est avec ces collègues qu’un comité de femmes voit le jour dans l’usine. « On était plus de mille, on revendiquait une crèche dans l’usine. C’était fédérateur. Certaines se sont découvertes militantes  ».

La solidarité, elle l’a aussi mesurée quand, quelques années plus tard, la boîte a essayé de la virer. Elle venait de faire campagne pour les législatives sur la liste du communiste Gustave Ansart. C’était en 1986, à la proportionnelle. Les quatre premiers candidats ont été élus. Elle était cinquième. Après l’élection, on lui a dit que son poste était supprimé, mais elle refuse le licenciement. Interdite sur les chaînes, elle poursuit néanmoins son activité syndicale dans les ateliers. « J’étais seule avec deux enfants. Pendant un an, j’ai tenu grâce à la boîte qui passait dans les ateliers. Ceux qui donnaient le plus, c’était les étrangers  », se souvient-elle. L’employeur a été contraint à la réintégrer. « Une belle histoire  », juge-t-elle a posteriori.

« A cause d’un balai ! »

Forte tête, Annick ? Rétive aux injustices, plutôt, « petites ou grandes  ». Son engagement syndical naît quelques semaines après son entrée dans l’usine de réfrigérateurs. « En fin de chaîne, les emballeurs se sont mis en grève, bloquant le reste de la production en amont  », raconte-t-elle. « J’ai alors vu tout le monde muté sur d’autres ateliers. Le chef me tend un balai et me dit : "toi, tu vas balayer". Je n’avais pas été embauchée pour ça. Je voulais bien travailler sur un autre poste, pas balayer  ». Et le chef de lui notifier qu’elle était donc « en grève  ». « Je ne savais même pas ce que ça signifiait. Je suis allée voir les emballeurs. On m’a repérée. Et voilà comment tout ça a commencé : à cause d’un balai ! Ça m’a donné des ailes. »

Annick Mattighello s’en amuse encore. Rien ne prédestinait la petite « métallote » à des responsabilités de premier plan dans la région, tant au sein de la CGT que du PCF, dont elle est membre depuis 1974 et 1970. Après l’épisode de 1986, Alain Bocquet, pilier de la fédération du Nord, l’invite devant le conseil fédéral. « Je n’étais pas cadre du parti. J’étais impressionnée devant les ténors, Arthur Ramette, Gustave Ansart... Moi, la petite ouvrière, je me taisais  », relate-t-elle. « Puis Gustave Ansart m’a dit : "il faut que tu racontes ce qui se passe dans ton entreprise". J’ai pris la parole. Je ne l’ai plus laissée  ».

Le grand public la découvre en photo dans Liberté et la presse locale, quand elle prend le micro au nom de ses collègues métallos pour dénoncer salaires, conditions de travail ou licenciements. Avec eux, y compris des ingénieurs qui donnaient le coup de main en douce, elle se fait chantre du « achetez français » : « On a mis presque un an à déterminer l’origine de chaque composant du réfrigérateur qu’on assemblait. Finalement, il n’y avait quasiment rien de français. Dans le même temps, on fermait des usines. Avec cet argument, on était en avance  ».

Annick Mattighello dans son bureau de la mairie de Louvroil, en janvier 2018, sous le regard de Jean Ferrat dessiné par Philippe Hollevout. (Photos Marc Dubois)

Ouvrière sur les chaînes pendant près de vingt ans, virée avec la dernière charrette à la fermeture de l’usine (devenue Selnor) en 1997, Annick Mattighello a exercé plusieurs responsabilités électives : au conseil municipal de Lille et à la communauté urbaine, au conseil régional, au conseil économique et social régional (l’assemblée consultative ne lui procure pas de souvenir palpitant). Elue à l’unanimité à la tête de la fédération PCF du Nord en 1993, elle imagine revenir au boulot ensuite. « Je voulais garder ma liberté. Quand on vient du privé et qu’on s’engage en politique, c’est no future. On est grillé », souligne-t-elle. En 2000, pour « retrouver le terrain  », elle quitte cette responsabilité. Aux élections, le FN progresse dans les zones frontalières, dans le Dunkerquois et la Sambre.

C’est là qu’elle ira l’affronter, devant les électeurs. Première tentative en 1997, avec des législatives anticipées. « On a eu non pas un an, mais cinq semaines pour faire campagne  », rappelle-t-elle. Porte-à-porte, usines, assemblées... « Une sacrée campagne  », se souvient Annick Mattighello, qui n’oublie pas les caricatures qu’on faisait d’elle.

Mais « la Lilloise  » convainc à Louvroil, près de Maubeuge. Elue maire en 2001, elle est largement réélue en 2008 et 2014. Contre les mises à la rue, elle prend des arrêtés anti-expulsion, régulièrement attaqués devant le tribunal administratif par les préfets qui se succèdent. Ce qui n’empêchera pas la République de la distinguer dans l’ordre du mérite, en mai dernier, six ans après la légion d’honneur. Défense de l’emploi, requalification des friches industrielles, lutte contre la drogue : les chantiers ne manquent pas. Elle est de tous ces combats.

« Pugnace, enragée »

A l’heure de faire les cartons, Annick Mattighello a conservé un petit caillou blanc, ramassé par terre en 2007, quand on a choisi l’architecte chargé de réaliser un complexe aquatique sur sa commune. « Je me disais que ce serait la première pierre  », glisse-telle. Il faudra près de dix ans pour que le complexe sorte de terre. « Un élu doit être pugnace, enragée, pour mener des projets », explique-t-elle, allusion aux solidarités variables, à la compétition entre territoires et aux financements en baisse. Sous ses mandats, Louvroil a vu ses écoles rénovées, la commune compte une médiathèque, un espace culturel et un centre commercial tout neufs.

Il reste beaucoup à faire, convient Annick Mattighello. « Pour une ville comme Lourvoil, il faut beaucoup donner », dit-elle. Manifestement, on lui en sait gré. Maire 2.0, l’élue communiste échange régulièrement avec ses administrés sur les réseaux sociaux - « très efficace pour faire avancer un dossier  » - comme dans la rue.

Elle a annoncé son départ de la mairie lors de ses vœux à la population, le 14 janvier. Excepté quelques très proches, elle a pris tout le monde de court. Depuis, dans les commerces comme sur sa messagerie, les témoignages de sympathie affluent. Annick Mattighello n’a pas courbé la tête. A Louvroil, on l’en excuse bien volontiers.