Justice

Ce que les avocats attendent du nouveau garde des Sceaux

par Philippe Allienne
Publié le 24 juillet 2020 à 14:31

En ce début d’année, les avocats étaient vent debout contre le projet de réforme des retraites. Durant le confinement, nombre d’entre eux se sont fermement élevés contre les conditions dans lesquelles la justice était rendue. L’arrivée d’un des leurs au ministère de la Justice va-t-elle changer la donne ? C’est ce que nous avons demandé à Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des bâtonniers.

En plein débat sur la réforme des retraites, début 2020, les avocats étaient entrés dans le mouvement de grève. Ils reprochaient au gouvernement de vouloir leur faire intégrer le régime universel qu’il prépare. Il n’est pas question pour la profession de baisser la garde. « Nous nous sommes toujours battus pour notre régime spécifique. Nous sommes une profession indépendante. Nous ne sommes pas salariés. » Pour Hélène Fontaine, la cause est entendue. La caisse de retraite des avocats est bien gérée, elle est même excédentaire. Par ailleurs, elle est protectrice pour les petits cabinets en reposant sur le principe d’une retraite de base de 1 400 euros. Or, le projet du gouvernement Philippe voulait doubler le taux de cotisation. De 14 % actuellement, il passerait à 28 % et la retraite de base plongerait à 1 000 euros.

Renouer le dialogue

Si le confinement a mis la plupart des revendications entre parenthèses, la vigilance est plus que jamais de mise. « Nous voulons renouer le dialogue avec la ministre de la Justice », souhaitait Hélène Fontaine en janvier. La nomination surprise d’Éric Dupond-Moretti offre au moins l’avantage de disposer d’une oreille professionnelle. « D’une façon générale, nous reprochions au ministère de la Justice de ne pas nous entendre, de ne pas nous considérer. Or les avocats sont des acteurs incontournables. »

L’avocat Éric Dupond-Moretti a été nommé ministre de la Justice suite au remaniement.
© Joachim Bertrand

Le nouveau garde des Sceaux doit recevoir prochainement les représentants de la profession avec la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl, la présidente de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris Olivier Cousi. Premier pas vers une détente entre la profession et la chancellerie ? « Je ne peux pas prédire quelle sera la qualité de nos relations, ni comment cela va se passer. Mais il y aura forcément un dialogue. » Pour la présidente, par ailleurs avocate au barreau de Lille, il est important de rassurer les justiciables. Elle ne peut donc que partager la volonté exprimée par Éric Dupond-Moretti de réconcilier les Français avec la justice et de leur redonner confiance.

Sauf que les juges de proximité ont été supprimés en 2017 et qu’il n’est pas question de les rétablir. « Ce que veut le ministre en parlant de justice de proximité, comprend Hélène Fontaine, c’est assurer la proximité avec les justiciables. » Avant même que sa nomination soit envisagée, le garde des Sceaux n’avait pas été particulièrement tendre avec la manière dont la justice avait été rendue durant le confinement. Il s’en était notamment pris à la façon dont on avait jugé des gens hors de leur présence et à la prolongation des détentions provisoires sans intervention des juges.

Proximité avec les justiciables

27 avocats du barreau de Lille avaient d’ailleurs écrit à sa prédécesseure pour s’indigner des atteintes au droit à la défense. Le président du Syndicat des avocats de France, pour la section de Lille, Nicolas Vanden Bossche, avait signé cette lettre ouverte qui dénonçait les ordonnances ministérielles prises dans le cadre de la crise sanitaire. Pour Hélène Fontaine, ce type de dérives, qui n’est de toute façon pas acceptable, ne peut que rester exceptionnel. Mais le retour à la normale n’empêche pas de regretter le manque de moyens dont dis- pose la justice. C’est sur ce point qu’est attendu Éric Dupond-Moretti. Ce dernier assure avoir obtenu des garanties du Premier ministre en termes de budget. Les besoins sont énormes.Le confinement a particulièrement mis en lumière les carences. « Il importe de nous donner les moyens de travailler à distance en cas de crise comme celle-ci. » Ces moyens sont à la fois matériels et humains.

Un budget digne

La justice manque de fournitures dans les tribunaux. Le matériel informatique est très insuffisant. Cela vaut aussi pour le RPVA, le réseau privé virtuel des avocats par lequel transitent les communications électroniques avec les juridictions. Sur le plan des moyens humains, il est nécessaire de multiplier le nombre de greffiers. Autre point essentiel : l’aide juridictionnelle. Là encore, il faut un budget digne de ce nom. C’est loin d’être le cas actuellement. Résultat, des avocats travaillent à perte. « Or, ils ont des charges dont ils sont bien obligés de s’acquitter », souligne la présidente de la conférence. Mais pour l’heure, c’est la rentrée de septembre qui l’inquiète le plus. Durant le confinement, il y a eu des suspensions de charges, des avances juridictionnelles et, pour les avocats les plus en difficulté, la mise en œuvre d’un fonds de solidarité. Dans l’univers judiciaire, le retour « à la normale » risque de n’être pas simple pour tout le monde.