Pour la première fois, la fête des travailleurs ne pourra s’exprimer dans la rue. Quel est votre sentiment ?
Ce 1er mai sera très particulier. Nos revendications seront portées via les réseaux sociaux et via l’affichage de photos, pancartes et banderoles revendicatives. Plusieurs initiatives intéressantes ont été prises en ce sens par la CGT et de nombreuses organisations syndicales. Nous sommes signataires d’un appel pour que le 1er mai permette de démontrer une véritable force collective. Mais ce qui apparaît particulièrement intéressant, c’est la dimension internationale qui va prendre ici tout son sens et toute son importance parce que, justement, la crise sanitaire touche le monde entier.
Quelle est votre priorité, votre message principal ?
Notre message, c’est « la santé d’abord ». Je pense particulièrement au personnel soignant et à tous ceux qui ont tenu le pays depuis le début de la crise mais dont les revendications n’ont jamais été entendues. Et puis, la reprise de la vie sociale et la reprise du travail sont nécessaires pour les travailleurs qui, avec le chômage partiel, ont vu leurs revenus diminuer. Cela pèse beaucoup. Mais le reprise du travail ne peut se faire au détriment de la santé. Or, le gouvernement et le patronat ont mis une énorme pression sur les salariés. Ils ne pensent qu’à la reprise économique. C’est inacceptable. Il faut des garanties pour la sécurité de tous, parents et enfants compris. Or, nous avons affaire depuis le début à un discours officiel très aléatoire, tant pour les masques que pour les dépistages, etc. Au départ, lorsque le président a annoncé le déconfinement, tout le monde avait compris que les enfants reprendraient le chemin de l’école dès le 11 mai. C’est stupide. Ensuite, on parle d’une reprise de l’école sur la base du volontariat... On ne parle pas des conséquences pour les enfants dont les parents retourneront au travail et qui n’auront pas le choix de rester à la maison.
Depuis le début de l’année, la CGT lance régulièrement des préavis de grève dans les services publics. Il y en a eu un pour le mois d’avril, pendant le confinement, un autre a été déposé pendant ce mois de mai. Comprenez-vous les critiques que vous subissez ?
Les préavis, ce sont des alertes. Ce ne sont pas des grèves partout ! Et les critiques ne viennent évidemment pas des premiers concernés. C’est bien de saluer les personnels soignants du haut des balcons. Le gouvernement s’en satisfait. Mais il n’empêche que les premiers de corvée continuent à travailler sans protection. C’est scandaleux. On n’a pas écouté le personnel soignant des hôpitaux publics et aujourd’hui, il fait le travail sans davantage de moyens. Et puis il y a tous les autres dans les services publics. Ils tiennent le pays depuis la pandémie. Les agents sont en première ligne pour que le service public soit assuré. Mais on n’assure pas leur santé et leur sécurité comme il le faudrait. On ne peut pas les laisser sans protection. Par exemple, comment cela va-t-il se passer pour les enseignants et pour le personnel technique, pour les agents territoriaux, quand les écoles, les collèges, les lycées vont rouvrir ? Ils vont partir la fleur au fusil, puisque le président de la République parle de « guerre ».
D’une façon plus générale, il y a un risque de propagation du virus, mais les agents sont menacés de sanctions s’ils font valoir leur droit de retrait. Par ailleurs, les collectivités peuvent aussi retirer des jours de congés annuels aux agents. Cela vaut aussi bien pour ceux qui sont en poste, en télétravail, en autorisation spéciale d’absence. On fait de l’intimidation. Un préavis, comme celui du mois d’avril, permet aux agents de faire valoir leurs droits. Un nouveau préavis a été déposé du 1er au 31 mai. C’est vrai, mais le gouvernement fixe le 11 mai comme la date du début du déconfinement, et du retour dans les entreprises, on annonce des livraisons de masques qui n’arrivent pas, on n’assure pas la protection des salariés, des agents.
La référence à la guerre, de la part du président, c’est aussi un appel à l’unité nationale ?
Et c’est tenter de faire porter la responsabilité de la crise sur les autres. Mais cette unité nationale à laquelle le président Macron fait appel est à géométrie variable, selon que l’on est pauvre et malheureux ou l’inverse. Je vous donne un exemple : les grands groupes d’assurance que la CGT voudrait mettre à contribution n’ont pas la même notion de la solidarité que les associations ou organisations comme le Secours populaire français. C’est sous la contrainte qu’ils portent leur contribution au fonds de solidarité (mis en place par le gouvernement pour soutenir les publics les plus touchés par la crise – ndlr) à 400 millions d’euros.
Que pensez-vous du cas d’Amazon, dans le secteur privé ? Le groupe est condamné mais n’accepte pas sa condamnation.
Le cas d’Amazon est le symbole du pouvoir que détient une entreprise comme elle et, en face, du laisser-faire du gouvernement. Il a fallu quatre semaines d’intervention auprès du gouvernement pour que l’on se décide à tirer l’oreille du groupe pour obtenir le minimum, à savoir la protection des salariés. Il faut un gouvernement capable de faire respecter les mesures de sécurité par toutes les entreprises. Pas seulement les petites.
Des milliers de salariés d’Amazon ont réclamé la reprise du travail et ont reproché aux syndicats d’avoir agi sans leur avis. N’est-ce pas un mauvais signe ?
D’abord, je ne suis pas sûr que cette pétition ne soit le fait que de salariés d’Amazon. Et puis, il faut tenir compte de la pression qu’ils subissent. Les salariés qui sont au chômage partiel, dans les autres entreprises, essuient une perte mensuelle de revenu de 16 %. La pression sociale existe. Amazon s’en moque et le gouvernement ne fait rien. La Fnac Darty vient d’obtenir une aide publique à hauteur d’un prêt garanti par l’État de 500 millions d’euros. Or, le groupe conditionne la maintien des salaires de ses équipes à une augmentation des horaires de travail.
Beaucoup de groupes font pression de la sorte. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Cela les mène à demander des dérogations au Code du travail. Malgré les ordonnances du gouvernement, il n’y a pas encore de dérogations pour permettre de porter les horaires jusqu’à 60 heures, voire 72 heures dans l’agroalimentaire. Il faut un gouvernement ferme contre ces dérives.
Le traçage numérique ne risque-t-il pas d’handicaper encore plus les demandeurs d’emploi qui seraient atteints par le Covid-19 ?
La CGT est contre le traçage numérique. Il y a effectivement un risque pour l’emploi et pour l’embauche, mais cela va bien au- delà avec tous les risques d’atteinte à la vie privée. Ce qu’il faut, ce n’est pas du traçage numérique, c’est développer les tests anonymes. Il faut là encore redévelopper des filières de médicaments et de dépistage. Ce qu’il se passe aujourd’hui est une conséquence de la mondialisation. La France n’a plus la main sur la santé de ses citoyens.
Les réformes antisociales du gouvernement (système des retraites, chômage, etc.) sont suspendues le temps de la crise. Que se passera-t-il après ? Comment vous préparez-vous ?
Nous avons signé une tribune, avec 18 associations et ONG [« Pour que le jour d’après soit en rupture avec le désordre néolibéral » – lire dans notre précédente édition du 24 avril et sur libertehebdo.fr - ndlr [1]] qui pose la question de ce qui était en cause avant la crise sanitaire. Alors qu’Emmanuel Macron adore le modèle anglo-saxon (on voit ce que cela donne aujourd’hui), nos luttes pour l’assurance- chômage, les retraites, la Sécurité sociale, prennent encore plus de sens aujourd’hui. Heureusement que nous disposons d’un droit social qui permet, en l’occurence, de limiter la casse grâce à des mesures de chômage partiel, heureusement que l’on indemnise les chômeurs. Demain ne pourra pas être comme hier. On nous parle, pour les dénoncer, des « privilèges » du monde du travail. Non ! Ce ne sont pas des privilèges, ce sont des garanties.
Mais comment les luttes vont-elles se repositionner alors que le néolibéralisme ne semble pas disposé à capituler ?
Nous avons l’expérience et les luttes continueront. Il faut de toute façon rester mobilisé. Nos revendications ne sont pas en suspens. Macron dit que demain ne sera plus comme avant. Avec les ONG, les associations, d’autres syndicats, nous disons également que cela ne pourra plus être comme avant. Il faudra des mesures de relocalisation de notre industrie, de nouvelles filières. La CGT se bat par exemple depuis des décennies pour une filière imagerie médicale sans être entendue.
Dans une perspective à plus long terme, la CGT ne va-t-elle pas devoir revoir son logiciel ?
Ce n’est pas à la CGT de revoir son logiciel ! Mais il faut une présence syndicale plus forte au sein des entreprises. Si nous étions plus présents, les choses se passeraient mieux. La crise que nous traversons est un révélateur de ce qui va mal. Mais il y a de l’espoir. Nous recevons en ce moment, à la CGT, de nombreux appels de salariés qui ne sont pas syndiqués dans leurs entreprises. Le besoin de la présence syndicale est réel.