« Les dangers de la loi de sécurité globale qui nous réunissent aujourd’hui sont nombreux. On pourrait parler des missions de police nationale dévolues à la police municipale, du développement de la sécurité privée... Il y a aussi les atteintes à la liberté de manifester : les images des caméras piétons des forces de l’ordre envoyées en direct à un centre de commandement, la généralisation de l’utilisation des drones pour la surveillance vidéo, alors que le Conseil d’Etat s’est opposé à cette pratique, la reconnaissance faciale...
Et puis, il y a le fameux article 24, qui suscite l’opposition farouche des syndicats et associations de journalistes, mais bien au-delà, des défenseurs des libertés, en particulier de la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté d’informer et d’être informé. Cet article 24 punit d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la diffusion d’images qui permettent d’identifier des policiers ou des gendarmes en opération, quand cette diffusion a pour but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Cette formule est porteuse de toutes les interprétations et abus. Elle ne peut qu’entraîner censure et autocensure par crainte d’une condamnation. Cet article est inutile car les dispositifs légaux existent déjà (...). Mais cet article n’est pas seulement inutile, il est dangereux. On ne compte plus les dossiers dans lesquels des cas de violences policières n’ont pu être connus que par l’existence d’images. (...) Ces vidéos sont parfois tournées par des journalistes, parfois par de “simples citoyens”.
Ce combat concerne tout le monde. Quand ces images sont tournées par des journalistes, elles le sont souvent par des journalistes précaires, qui seront donc en première ligne des dangers portés par cette loi.Cet article 24 est également dangereux car il va conforter les forces de l’ordre dans l’idée qu’ils peuvent interdire qu’on les photographie ou qu’on les filme, ce qui est faux. On sait très bien dans quelles conditions travaillent, déjà aujourd’hui, les journalistes qui couvrent les manifestations (...) : intimidations par les forces de l’ordre, confiscation de matériel, interpellations, gardes à vue, coups, jets de grenades, tirs de flashball...
On l’a vu à la manifestation du 17 novembre à Paris, avec des interpellations de journalistes, dont un qui a passé 12 heures en garde à vue simplement pour avoir filmé avec son téléphone. À Lille aussi, on a connu ce genre de choses, avec par exemple, l’année dernière, deux étudiants en journalisme qui prenaient des photos ont été arrêtés lors d’une manifestation. Il y a aussi ce photographe de La Voix du Nord qui a pris un jet de gaz lacrymogène d’un policier, alors qu’il était en reportage devant un lycée où des lycéens avaient manifesté. Et puis cet article 24 de la loi de sécurité globale n’arrive pas au milieu de rien. En septembre, le ministère de l’Intérieur avait publié son Schéma national de maintien de l’ordre (...). On y explique que les journalistes doivent, comme tout le monde, quitter les lieux quand la police ordonne la dispersion. Ce qui a pour avantage de faire disparaitre des témoins. On y trouve des propos ambigus qui différencient les journalistes qui disposent d’une carte de presse et les autres (...) [ou] sur une accréditation des journalistes qui veulent couvrir une manifestation.
Nous avons bien sûr protesté. Alors on a essayé de nous rassurer, notamment à l’occasion du recours que nous avons déposé au Conseil d’État. On nous a dit : “Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour proposer un canal d’informations privilégié...” Ben voyons... Mais il y a quelques jours Gérald Darmanin l’a dit clairement : il faudra que les journalistes s’accréditent en préfecture pour couvrir une manifestation. Il n’en est évidemment pas question pour nous ! Certes, devant le tollé, il a dû revenir en arrière. Mais l’avantage, dans les propos de Gérald Darmanin, c’est qu’ils disent clairement quelles sont les vraies intentions derrière les formulations officielles alambiquées. Ainsi, il y a quelques semaines, il disait tout aussi clairement face à Jean-Jacques Bourdin que son objectif avec la loi sécurité globale - il a même parlé de promesse - était d’interdire toute diffusion d’images des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux. (...) Cette loi “sécurité globale”, nous n’en voulons pas. Pas seulement l’article 24, toute la loi ! »