Covid-19

Comment ne pas sortir quand la rue est leur domicile ?

Sans-abri

par Philippe Allienne
Publié le 26 mars 2020 à 22:09

Si certains ont un hébergement via un centre d’hébergement ou sont accueillis dans des accueils d’urgence, ils sont encore nombreux à dormir dehors. Les sans-abri doivent maintenant faire face à la pandémie.

On ne peut pas leur reprocher de se dorer complaisamment la pilule au tiède soleil printanier. Tôt le matin, quelques sans-abri forment une petite file, toujours la même, devant l’accueil de jour de l’Abej Solidarité, rue Solférino, à Lille. D’autres, solitaires, font la manche rue du Molinel. Place de la République, ils sont une dizaine à se regrouper au forum de la station de métro, face à la préfecture.

Aux premiers jours de confinement, l’information sur l’épidémie de Covid-19 n’était visiblement pas passée. Ou alors, ils s’en moquent comme ces deux-là qui s’embrassent fraternellement, en rigolant. Ou celui-ci, devant un établissement bancaire, qui vous propose d’échanger son ticket repas contre un billet de 10 euros. Et qui vous assure que le Coronavirus est une invention de l’État, pour vous voler votre liberté, notre liberté. Il vous jurera aussi, si vous lui donnez le billet, que vous n’avez rien à craindre. Vous vivrez centenaire.

Des amendes pour les SDF ?

Et puis, il y a tous les autres, qui ne disent rien ou qui observent la police en train de contrôler les attestations de déplacement dérogatoire. « Un PV de 37 euros ? Et comment veux- tu que le paie ? En faisant la manche ? » Ça, c’était avant, c’était au début, quand l’amende forfaitaire n’était pas encore fixée à 125 euros, voire à 1 500 euros en cas de récidive. Dans certaines villes, comme à Lyon, des policiers n’ont pas cillé pour verbaliser des SDF. Dans le Nord, les choses semblent se passer plus paisiblement. « Je fais la manche pour aller à l’auberge de jeunesse » explique une femme assise sur le bord du trottoir. La police ? « Non, ils passent, ils me disent de faire attention. C’est tout. »

« Coronavirus, confinement : vous êtes SDF ? On répond à vos questions. FAQ ». Voilà, ce que titre le blog du réseau « Entourage » qui entend accompagner et faciliter la vie des sans domicile fixe. À croire qu’ils sont systématiquement équipés d’un smartphone dernier cri et passent leur temps à naviguer sur internet. Auquel cas, « Entourage » leur prodigue les bons conseils : « La maladie se transmet par les postillons : éternuements, toux... Attention, il est maintenant obligatoire de respecter ces gestes :

  • Se tenir à 1 ou 2 mètres de distance des gens
  • Se laver les mains très régulièrement
  • Tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir
  • Saluer sans se serrer la main, éviter les embrassades
  • Utiliser des mouchoirs à usage unique et les jeter
  • Éviter les rassemblements, limiter les déplacements et les contacts. »

Se laver les mains : un problème Se tenir à distance des gens ? Pas simple. Enfin si, lorsque les rares passants évitent d’eux- mêmes tout contact en opérant un large détour. Se laver les mains très régulièrement ? Avec quoi ? L’accès à l’eau n’est pas évident. Et le blog n’évoque même pas le savon. Évidemment. Passons sur les mouchoirs à usage unique... Passons aussi sur l’attestation de déplacement dérogatoire : comment se la procurer, comment la remplir alors que l’on vous demande votre... adresse ? « Un flic m’a dit : “faut pas rester là”. Ah bon, je lui ai répondu. “Je suis ici chez moi. La rue, c’est chez moi. C’est ici que j’habite.’’ » À croire que l’on découvre le phénomène, la crise sociale qui a conduit à jeter des milliers de personnes à la rue, sans oublier les millions de travailleurs pauvres qui ne peuvent s’offrir un loyer. Combien seront-il, demain, après l’épisode du Coronavirus et le chômage qui aura décuplé ? Le 115 est déjà débordé. Une chose est certaine, la crise sanitaire et le confinement isolent encore plus les SDF, elle les éloigne davantage de la nourriture, de l’hygiène, de l’entraide.

Lire également : vers un traitement pour le Covid-19 ?

Les associations se réorganisent pour gérer l’urgence et pour s’adapter aux nouvelles règles. Mais elles manquent de moyens à la fois matériels et humains, c’est-à-dire de bénévoles. Pourtant, elles font le maximum. Comme le centre d’hébergement Home Flandre qui rayonne sur Roubaix, Tourcoing, Wasquehal et Mons-en-Barœul. Mais cette structure s’occupe en fait d’anciens SDF qui sont, pour l’instant au moins, logés dans des appartements du parc social, en ville. Il dispose d’une centaine de places dans 40 logements, toutes occupées. Il n’est pas possible de répondre à de nouvelles sollicitations. « Ils sont confinés chez eux », explique le directeur Olivier Leconte. Mais il n’y a plus de contact physique avec les bénévoles de l’association, eux-mêmes confinés pour la plupart. « Nous ne recevons plus personne. Nous communiquons avec notre public par téléphone et nous n’intervenons physiquement que lorsqu’il n’y a pas le choix. » Juste avant le confinement, les membres de Home Flandre ont retiré des matelas infestés de punaises. Juste à temps.

Les associations s’adaptent

Les services ont été adaptés. L’aide alimentaire est distribuée pour tenir plus longtemps. Les bénévoles rassurent également et expliquent ce qu’est le Coronavirus, ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Ils mettent les locataires en lien avec les associations caritatives. « Quand nous ne pouvons faire autrement, nous distribuons les attestations dérogatoires dans leurs boîtes aux lettres. Ils peuvent posséder un ordinateur, mais ils disposent rarement d’une imprimante. »

Mais les besoins se nichent aussi ailleurs : les problèmes de langage pour les personnes ne parlant pas ou très peu le français. Il est encore plus difficile pour eux de remplir ces attestations déposées dans leurs boîtes aux lettres. Il faut aussi savoir intervenir dans l’aide aux devoirs alors que les écoles sont fermées. Parfois, les bénévoles doivent répondre à des problèmes plus pratiques comme des branchements électriques. « Nous les aidons au maximum par téléphone, résume Olivier Leconte. Mais les gens sont souvent très heureux de pouvoir parler, échanger avec quelqu’un de l’extérieur. Cela les fait un peu sortir de la pesanteur du confinement et de la pression que ne manque pas de provoquer la présence permanente des enfants qu’il faut accompagner dans leur scolarité à distance. »