Assassinat de Samuel Paty

Comment rendre hommage à notre collègue ?

par PIERRE OLIVIER POYARD
Publié le 6 novembre 2020 à 13:22

L’assassinat le vendredi 16 octobre dernier de cet enseignant d’histoire-géographie est un crime abominable, une ignominie, l’acte d’un fanatique. Il est contraire à tous les principes établis depuis 75 ans par les Nations Unies et le droit international, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui affirme, article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

Ce crime nous bouleverse. En tant qu’enseignant dans l’enseignement agricole public, j’ai déjà connu des situations où des parents d’élèves critiquaient mes choix pédagogiques. Récemment, j’ai même été diffamé sur Facebook suite à un projet pédagogique intitulé : « Agriculture de Paix. » Imaginer qu’une de ces situations puisse dégénérer jusqu’au meurtre était inimaginable... jusqu’à aujourd’hui. Cela dépasse l’entendement. Ce qui est inquiétant, c’est la réaction de l’institution scolaire dans cette situation. Le parent d’élève a d’abord été reçu par la principale du collège, accompagné d’un prédicateur fanatique bien connu des services de police, puis il a contacté l’inspection académique. L’enseignant a dû se justifier devant une commission interne. Le parent a ensuite posté des vidéos insultantes et diffamatoires, pour finir par porter plainte ! Une nouvelle fois, l’enseignant a dû se justifier, mais là, devant la police ! Certes, personne ne pouvait imaginer qu’un fou assassinerait un prof pour avoir montré une caricature d’un homme dénudé, mais le sentiment que j’éprouve est celui d’une certaine inquiétude. Pourquoi l’institution n’a-t-elle pas protégé cet enseignant ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas reconnu son droit à la liberté pédagogique ? Pourquoi a-t-il dû se justifier à plusieurs reprises ? J’attends de ce drame affreux que l’institution scolaire se remette en cause et qu’elle renforce ses mesures de protection des enseignants : c’est, à mon avis, son premier devoir pour honorer la mémoire de notre collègue. Malheureusement, je crains que cela n’arrive pas... quand j’observe l’utilisation politique de ce crime par le gouvernement de M. Macron. Cet homicide est exploité jusqu’à la nausée pour justifier une politique, celle de la culture de la guerre. Dans une certaine presse on lit : « Le prof d’histoire-géo de Conflans-Sainte-Honorine est devenu la 267ème victime d’une guerre qui ne dit pas son nom. » De quelle guerre s’agit-il ? Celle annoncée par M. Hollande en novembre 2015, quand il déclare : « Nous sommes en guerre »  ? Celle menée actuellement par l’armée française au Sahel, sa plus importante opération militaire depuis la guerre d’Algérie ? Celle que la population malienne combat par ses mobilisations démocratiques ? Cette« guerre contre le terrorisme », prétexte à un état de guerre permanent contre nos libertés ? Cette guerre coloniale et impériale menée par les tenants de la « Françafrique », militaires et milliardaires, contre les peuples d’Afrique ? Notre gouvernement dit son nom et assume cette guerre ; il augmente en conséquence le budget des armées, en hausse de 25 % par rapport à 2015 ! Le 2 novembre 2020, notre ministère nous a demandé d’organiser des séances pédagogiques suite à cet assassinat. « Une note d’appui aux enseignants » nous a été communiquée : elle propose différents outils concernant les valeurs de la République (française), la laïcité, les libertés (d’expression, de la presse, de conscience)... Une nouvelle fois, on ne peut que regretter que ces consignes ministérielles fassent l’impasse sur l’insertion de la France dans le système des Nations Unies : on constate que c’est même un véritable tabou. Il est, par exemple, bien question de la Déclaration universelle des droits de l’homme... mais on ne saura pas qu’il s’agit de la Résolution 217 A de l’Assemblée générale de l’ONU ! La culture de la Paix est, elle aussi, absente de ce document : pourtant, il serait utile de la développer face aux violences, de même que les principes de la Charte des Nations Unies. Pour ma part, je continue à enseigner les principes de cette Charte et de la culture de la Paix, l’humanisme, l’internationalisme et le pacifisme qui fondent les Nations Unies. Je n’ai rien trouvé de mieux pour rendre hommage à notre collègue.

À paraître prochainement : Osez la Paix ! Agir contre les guerres aux Peuples et à la Nature ; cultiver un monde de Paix, par Pierre-Olivier Poyard, militant à la Fédération des Vosges du PCF et enseignant d’éducation socio-culturelle en lycée agricole.