@ Nadia Daki
Lutte contre le gaspillage

Comment valoriser les déchets alimentaires

par Nadia DAKI
Publié le 2 décembre 2022 à 17:05

Fin novembre marque le lancement de la campagne annuelle du don alimentaire de la Banque alimentaire. Les associations notent une hausse importante des demandes. Parallèlement, d’après l’Ademe, ce sont, chaque année en France, près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable qui partent à la poubelle. Des solutions anti-gaspillage existent et des acteurs se sont lancés dans la valorisation des déchets alimentaires.

150 kg par habitant, c’est en moyenne la quantité de nourriture consommable que chaque Français jette par an. Un gaspillage alimentaire considérable, surtout si on le confronte aux 4 millions de Français métropolitains qui ont recouru à une aide alimentaire en 2021, d’après l’Insee. Pour minimiser ce gaspillage, des rayons « anti-gaspi » voient le jour dans les hypermarchés et des magasins pas comme les autres, entièrement destinés à la lutte contre le gaspillage alimentaire, ouvrent. A l’instar de Nous anti-gaspi, petite supérette installée en 2018 en centre-ville de Lille.

Des légumes « moches » mais consommables

« Le concept est simple, introduit Lucinda Laignel, manager. On redistribue les produits destinés à la casse. » On y trouve un peu de tout : des fruits et légumes trop grands ou trop petits ou trop tordus, du frais, du sec, des produits d’hygiène, des biscuits, des boissons, etc. « Nous sommes une supérette de quartier. La seule particularité est qu’il ne faut pas venir ici avec une liste de courses car nous n’avons pas les mêmes produits d’une semaine à l’autre. Il faut plutôt se dire : j’y vais, je suis sûr de faire une bonne affaire et ensuite je vois ce que je peux préparer avec ce que j’ai trouvé. »

Bon pour la planète et pour le portefeuille

Tous les produits sont 25 à 30 % moins cher car ils étaient initialement destinés à la poubelle. «  On récupère, via une centrale d’achat qui nous est dédiée, des produits dits défectueux soit parce qu’il y a une erreur dans l’étiquetage ou parce que lors de leur acheminement leur palette a été cassée.  » On trouve aussi des « fins de promo », il s’agit de produits comportant un bandeau de remise mais qui n’est plus d’actualité. Ou encore les fruits et légumes ne répondant pas aux calibres standards pour être commercialisés. Les enseignes n’en veulent plus. Mais ils n’en demeurent pas moins des produits de qualité. « Tous les produits vendus ici sont propres à la consommation, insiste Lucinda Laignel. Dans les produits secs, nous en avons dont les DDM (date de durabilité minimale, ndlr) sont dépassées. Ils peuvent perdre leur qualité gustative ou nutritive mais restent parfaitement consommables.  »

Prendre le temps d’échanger

La gérante le concède, elle doit parfois faire un peu de pédagogie. « Il arrive que certains clients s’étonnent quand ils voient une date dépassée. C’est à nous de leur expliquer notre démarche. » C’est d’ailleurs, pour elle, tout l’intérêt de ce type de boutique : prendre le temps de discuter avec les clients. Lucinda Laignel connaît bien le monde du commerce puisqu’elle officiait jusqu’alors dans des enseignes plus « classiques ». «  Ici, je m’éclate, assure-t-elle. Par exemple, je peux placer les produits comme je veux et non pas rapport aux marques. Je peux prendre le temps d’échanger des recettes de cuisine avec les clients. Ailleurs, c’est impossible, tout doit s’enchaîner à la minute près. » La gérante et ses cinq collègues connaissent l’histoire de chaque produit ou plutôt les raisons de leur rejet par les circuits traditionnels. L’enseigne a mis au point des stratégies pour éviter à son tour de gaspiller les denrées sauvées une première fois de la poubelle. « Quand la date de péremption pour le frais approche, on démarque à moins 50 %. On propose également des paniers de légumes à 5 euros les 3 kg sur l’application ‘’To good to go’’ », renseigne la manager. Et cela semble plaire aux clients, composés majoritairement d’étudiants, de retraités, de mamans. « Certains ne prennent que des produits à moins 50 %. Quand je vois mes rayons vides en fin de journée, c’est une réelle satisfaction », ajoute-t-elle. Si elle reçoit une trop grande quantité de produits ou que certains n’ont pas trouvé preneur, elle en fait don à La Croix Rouge.

Et à l’échelle d’une collectivité ?

La question du gaspillage alimentaire à l’échelle d’une collectivité prend une toute autre ampleur. La cuisine centrale de la ville de Lille (avec les villes associées de Lomme et de Hellemmes,) par exemple, approvisionne 58 restaurants scolaires et 18 crèches collectives. Concrètement, 14 000 repas sont distribués chaque jour. « Nous nous sommes fixés comme objectif d’atteindre moins de 120 g de déchets alimentaires par enfant », précise Karine Trottein, conseillère municipale déléguée, en charge de la restauration scolaire et de l’alimentation. Un tout petit peu moins qu’un pot de yaourt. Objectif ambitieux donc.

Évaluer sa faim pour éviter de jeter

« Pour cela, nous avons mis en place plusieurs actions, continue l’élue. Ensuite, une fois par mois. En premier lieu, le dispositif ‘’grande faim-petite faim’’ permet à l’enfant d’indiquer dès le début du service son niveau de faim et d’être servi en conséquence. C’est un travail pédagogique mené au préalable avec eux. En précisant ce qu’ils ont l’intention de manger, ils se responsabilisent. » la commission « menus », composée du personnel de la cuisine centrale, des animateurs des espaces éducatifs sur le temps méridien, des agents de restauration et d’une diététicienne se réunit pour évaluer le succès des recettes. «  Cela permet de mieux cerner ce que les enfants ont apprécié ou pas et de faire évoluer les recettes. Ce travail en amont contribue à réduire le gaspillage alimentaire  », analyse Karine Trottein. Si pour une raison ou une autre, comme une panne technique, les repas ne peuvent être livrés, une convention permet de les redistribuer à La Croix Rouge. « Cela concerne les produits filmés non consommés, les plateaux repas, les plats préparés. La Croix Rouge les collecte directement auprès de notre cuisine centrale pour respecter la chaîne du froid », indique la conseillère municipale. Malgré cela, il reste toujours une partie qui est destinée à la poubelle. Jusqu’en juin dernier, cette dernière faisait le bonheur des cochons des fermes pédagogiques des trois communes associées. « Les déchets de table sont désormais collectés pour être transformés en biogaz. Ainsi, ils sont valorisés en énergie », précise Karine Trottein. « Rien ne se perd, tout se transforme », comme dirait Lavoisier. A condition peut-être d’anticiper au préalable le futur de nos déchets.

Le gaspillage en chiffres

150 C’est, en kilogrammes, le volume jeté par habitant chaque année, en France.

4 000 000 Le nombre de Français (en métropole) qui ont eu recours à une aide alimentaire en 2021

14 000 Le nombre de repas distribués chaque jour par la cuisine centrale de la ville de Lille

10,5 En millions de tonnes, ce sont les déchets alimentaires produits chaque année. 70% sont enfouis ou incinérés.

600 000 En tonnes, le volume de déchets alimentaires détruits chaque année en Hauts-de-France.