Littoral Nord-Pas-de-Calais

Durcissement de la politique contre les exilés

par Philippe Allienne
Publié le 5 février 2021 à 11:12

Les exilés qui s’installent sur le littoral Nord-Pas-de-Calais en vue de passer en Angleterre ont la vie de plus en plus dure. À Calais, depuis juillet, les expulsions des lieux de vie se multiplient. Avec souvent des violences policières ou une utilisation excessive de la force.

Ils sont actuellement 400 à 500 à Calais et 300 à Grande-Synthe au lieu de 1 500 et 500 en juillet dernier. Si le chiffre a autant diminué en un peu plus de six mois, c’est d’abord en raison de l’hiver et des conditions de vie rendues encore plus difficiles en cette saison. Mais le durcissement des autorités françaises et la politique menée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin y sont aussi pour beaucoup. « À Calais, relève François Guennoc, responsable de l’Auberge des Migrants, l’une des plus grosses associations qui aident les exilés, la préfecture a pris un arrêté le 11 septembre 2020 pour interdire aux associations de servir des repas en ville. Cet arrêté a été renouvelé à six reprises et élargit l’interdiction à d’autres rues et quais de la ville.  » Les associations parviennent néanmoins à contourner cet arrêté préfectoral. Mais les obstacles et dispositifs visant à compliquer la vie des exilés et de leurs soutiens sont nombreux.

Positionnement politique anti-exilés

Il faut par exemple compter sur l’hostilité de la ville et de sa maire Natacha Bouchart (LR) qui a obtenu l’évacuation des ponts de la commune sous lesquels s’abritaient des personnes migrantes. « Le positionnement politique est le principal ennemi des exilés », constate François Guennoc qui connaît le terrain depuis de longues années. Lors des dernières élections municipales, Natacha Bouchart a été réélue pour un troisième mandat en portant un langage d’extrême droite. Elle dénonce volontiers des « sources de désordre », ralliant aisément les anti-migrants. Cela ne l’empêche pas de dépenser de l’argent public dans des projets (Dragon, aménagements de la plage, salles de sports) qui peuvent certes être importants pour Calais, mais la situation sociale de nombreux Calaisiens ne trouvent pas de réponse à la hauteur.

Lire aussi : À Grande-Synthe, les associations humanitaires s’alarment des conditions de vie des exilés

Reste, reconnaît François Guennoc, que c’est bien le préfet et le ministère de l’Intérieur qui mènent le bal. On l’a vu ces dernières semaines avec le plan Grand froid qui n’a été ouvert que le 10 janvier et pour trois semaines seulement. Il disposait de 300 places mais n’était pas simple d’accès. Par ailleurs, les exilés hésitent beaucoup à abandonner leurs tentes (d’autant qu’elles sont souvent une cible de choix lors des expulsions où elles sont tailladées à coups de couteaux). Et puis, le couvre-feu entre 18 h et 6 h agit surtout sur les bénévoles associatifs. Comme en période de confinement, ils sont plusieurs à s’être pris des amendes. Pour leur part, les exilés préfèrent se cacher dès la nuit tombée. Restent les violences, à Calais comme à Grande-Synthe. Human Rights Observers, un dispositif intégré à l’Auberge des migrants, observe depuis 2017 les violations des droits humains et publie régulièrement des chiffres sur les agissements policiers (lire l’encadré). Les expulsions des lieux de vie s’accompagnent immanquablement de saisies ou destructions des tentes, couvertures, vêtements, téléphones et autres accessoires. Parmi les personnes expulsées, certaines sont arrêtées et éloignées. Beaucoup de mineurs isolés sont concernés.

Utilisation de couteaux et scies à main

« Les observateurs, lit-on dans une note concernant Grande-Synthe, ont assisté à l’utilisation systématique de couteaux et scies à main sur des tentes et bâches lors des neuf expulsions » qui ont eu lieu en décembre. On apprend aussi que, sur certaines de ces opérations, des chiens étaient présents et des médicaments ont été jetés dans la boue. Les observateurs et observatrices de HRO peuvent aussi faire l’objet d’intimidation, de brimades, voire d’arrestations. À Calais, le constat n’est guère plus joyeux. « Dans le cadre de la politique “d’évitement des points de fixation’’, ces opérations de harcèlement consistent à forcer les personnes exilées à déplacer leurs tentes de quelques mètres (2 à 800 mètres) quotidiennement entre 8 h et 11 h, mais également à saisir ou détruire des biens de première nécessité et/ou affaires personnelles. Ces opérations sont souvent accompagnées de contrôles d’identité souvent abusifs et donnent lieu à des arrestations puis placements en rétention administrative alors illégaux. »

L’effet Darmanin

HRO fait un constat analogue à celui de François Guennoc : depuis le 10 juillet, parallèlement à la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, HRO a enregistré une augmentation des opérations de démantèlement. La police opère par ailleurs en évitant la présence des journalistes. Le photojournaliste Louis Witter, qui a été empêché de photographier une opération le 29 décembre dernier, a tenté de se retourner contre le préfet. Il a perdu son action et s’est entendu répondre que, de toute façon, aucune opération de démantèlement n’étant prévue, la présence de journalistes ne se justifie pas. Un prétexte que Chloé Smidt, de HRO, qualifie de bidon. Encore ce 3 février, affirme-t-elle, une opération d’expulsion a eu lieu à Grande-Synthe.

LES ATTEINTES AUX DROITS DES EXILÉS EN CHIFFRES

Depuis 2017, Human Rights Observers se documente quotidiennement sur les violations des droits humains des personnes en situation d’exil à la frontière franco-britannique. Voici quelques chiffres relevés à Calais pour le mois de décembre 2020.

87 C’est le nombre d’expulsions de lieux de vie informels.

41 Le nombre d’arrestations à l’occasion des expulsions de lieux de vie.

528 Le nombre de tentes et bâches saisies.

8 Le nombre de cas de violence ou force excessive de la part des policiers constatées contre des personnes exilées.