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Il le prouve depuis cinq ans

Emmanuel Macron a raison de se qualifier d’« emmerdeur »

par Philippe Allienne
Publié le 7 janvier 2022 à 11:12

Les propos tenus par le président Emmanuel Macron, dans son entretien au Parisien ce mardi 4 janvier, sont clairement assumés. S’il le fallait, ses ministres Olivier Véran, Gabriel Attal puis le chef du gouvernement en personne, Jean Castex, sont venus devant les micros et les parlementaires pour le soutenir et confirmer ses dires. Plus jupitérien que jamais, alors qu’il voulait faire croire, quelques semaines plus tôt, qu’il se montrerait plus modeste à l’avenir, ayant beaucoup appris de ces cinq années à l’Élysée, le président revient en force, avec son bilan et son intention de poursuivre dans la même voie.

« Je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. » On peut voir dans cette formule une référence à celle du président Pompidou quand il s’élevait contre la bureaucratie : « Arrêtez d’emmerder les Français. » Sauf que Macron ne cite pas Pompidou et qu’il apparaît très agressif contre une catégorie de Françaises et de Français. Il commet indéniablement une faute, en tant que chef de l’État, et pèche par populisme pour flatter celles et ceux qui sont d’accord avec lui parce qu’ils se sentent, eux qui sont vaccinés, agressés et dérangés par ceux qui ne le sont pas et ne veulent pas se laisser convaincre.

Brevet de citoyenneté

Mais il récidive presque immédiatement avec cette phrase, concernant toujours les non-vaccinés : « Ils viennent saper ce qu’est la solidarité d’une nation. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. » C’est la phrase de trop, plus encore que la première parce que l’on ne peut pas la mettre cette fois sur le compte d’un dérapage langagier. « Un irresponsable n’est plus un citoyen » entend qu’il considère n’être plus le président de tous les Français. Cette fois, il n’y a pas de référence, sauf dans le comportement de dirigeants autoritaires comme Bolsonaro au Brésil. D’autre part, il veut stigmatiser celles et ceux qui, non vaccinés et atteints du Covid, occupent les urgences et les lits d’hôpitaux. Or, il n’est pas possible de distinguer les gens devant la maladie et la souffrance. Cela reviendrait à ne pas vouloir soigner un malade atteint du cancer au prétexte qu’il est fumeur. Mais surtout, Emmanuel Macron oublie un peu vite que l’hôpital est malade en raison des politiques menées depuis des décennies et plus particulièrement depuis la fin des années 2000. Lui et son gouvernement ne sont pas seuls en cause, mais ils ont fortement contribué à ne pas donner les moyens financiers nécessaires à l’hôpital public, à n’avoir pas géré la colère des soignants avant la crise sanitaire, à n’avoir pas répondu à leurs demandes et à leurs besoins pendant cette crise. La leçon du Ségur n’a visiblement pas été entendue par l’Élysée, pas plus que par Matignon ou le ministère de la Santé.Alors oui, Emmanuel Macron a tout à fait raison de se qualifier lui-même d’emmerdeur. Si la crise sanitaire l’a un peu bousculé ou retardé dans la mise en œuvre de ses réformes, il est toujours demeuré droit dans ses bottes. À l’Élysée depuis quelques mois, en septembre 2017, il provoque l’émoi chez les étudiants locataires en s’attaquant à l’APL. On entendra aussi une députée LREM, Claire O’Petit, s’adresser avec beaucoup de mépris aux jeunes : « Si vous commencez à pleurer pour cinq euros... qu’allez-vous faire de votre vie ? » Se moquant de la colère des bailleurs sociaux et des associations de locataires, Emmanuel Macron et son gouvernement sont allés jusqu’au bout de la réforme logement avec la loi Elan. Entre janvier et juillet 2021, 18 000 foyers nordistes ont perdu leur aide au logement, constate la Confédération nationale du logement (CNL). Mais surtout, la loi s’attaque au modèle français du logement social et donc au système des HLM. Voilà qui fait beaucoup de citoyens « emmerdés » par la politique d’Emmanuel Macron.

Violences policières et série de lois

Le 1er mai 2018 commence la première affaire Benalla, celle dite de la Contrescarpe et du couple violenté par le chargé de mission auprès du président de la République. Plus tard, en décembre de la même année, surgit la seconde affaire, celle liée aux passeports diplomatiques encore détenus par Alexandre Benalla. C’est ici la violence qui s’invite au plus près de l’Élysée et que le président couvrira un temps. Ces violences seront bien plus graves lors de l’épisode des Gilets jaunes, à partir de novembre 2018, et lors des manifestations sociales (hors Gilets jaunes). Ni Emmanuel Macron, ni le gouvernement ne veulent entendre parler de « violences policières », un terme qu’ils ne reconnaissent pas. Ont-ils compté le nombre d’éborgnés ou de personnes amputées à la suite d’interventions musclées de la police ? Ces victimes sont aujourd’hui rudement... « emmerdées ». Pire, dès octobre 2017, le gouvernement veut des pouvoirs de surveillance étendus pour les policiers et les préfets. Il crée une loi anti-terroriste à cet effet. Plus tard, il imposera une loi sécurité globale et une loi contre le séparatisme. Avant la crise des Gilets jaunes, il y a eu la préparation de la réforme des retraites et, plus précisément, du système de nos retraites. Elle a été vécue très violemment par les citoyens français. Le départ précipité, en 2019, de Jean-Paul Delevoye et son remplacement par le député LREM Laurent Pietraszewski n’ont en rien entamé la détermination du président. Seule la crise du Covid-19 l’a obligé à mettre la réforme entre parenthèses. Mais il l’a promis, il entend bien être réélu en avril 2022 et reprendre le travail. Cela ne manquera pas d’« emmerder » de très nombreux futurs retraités.

Un million de chômeurs et précaires lésés

On peut aussi citer la réforme de l’assurance chômage, mise totalement en œuvre depuis le 1er octobre dernier et qui lèse un million de chômeurs en France selon les chiffres de l’Unédic elle-même. Un million de chômeurs et précaires « emmerdés ». En revanche, les promesses faites en début de quinquennat pour une belle et généreuse réforme « grand âge » tombent à l’eau sans que cela n’émeuve la ministre Brigitte Bourguignon. Combien de personnes âgées, seules chez elles ou isolées en Ehpad sont-elles aujourd’hui « emmerdées » ? Et ne parlons pas des élèves (loi éducation de 2017), des lycéens (« Parcoursup » notamment), des étudiants (création des établissement publics expérimentaux), ne parlons pas de la gestion du Covid tant dans les écoles que dans les facultés, ne parlons pas de la réforme du travail qui instaure la rupture conventionnelle collective, n’oublions pas la crise des masques anti-Covid puis les discussions sur la vaccination et les brevets des grands laboratoires.... Combien de Françaises et de Français M. Macron et son équipe ont-ils « emmerdés » depuis cinq ans, voire plus puisque le président était auparavant ministre de l’Économie de François Hollande ? Elles et ils sont nombreux, à l’exception bien sûr de celles et ceux (tellement minoritaires) qui ont bénéficié de la suppression de l’impôt sur la fortune dès janvier 2018. Celles et ceux qui se sentent « emmerdés » aujourd’hui sont cette majorité de personnes qui demandent à vivre dignement et à ne pas perdre leurs conquis sociaux et leur système de protection sociale, celles et ceux qui demandent à vivre en sécurité.