Énième « coup de gueule » du président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, à l’égard de la SNCF. Le 23 juin dernier, lors de la plénière du Conseil régional, il indiquait à l’assemblée qu’il suspendait les paiements des arriérés. Ces derniers avaient repris en mars après une précédente suspension fin 2021. Xavier Bertrand dépeint des retards répétés et des défaillances du TER. « J’en ai marre de me faire enfumer », avait-il même lâché. Chaque mois, la Région doit verser la modique somme de 44 millions d’euros à la SNCF, qui s’engage de son côté à fournir un service d’une certaine qualité. Ce qui a mis en colère Xavier Bertrand, c’est un courrier de rappel de paiement. « Le 20 juin, j’ai reçu un courrier du directeur régional de la SNCF qui me dit de reprendre les paiements et que compte tenu du non-respect de l’échéancier de paiement, l’accord de non-application des pénalités se trouve remis en cause. » Ce fut la goutte de trop pour Xavier Bertrand. Remonté, il prévient qu’il ne reprendra pas les paiements exigés en date du 30 juin. « Le jour où ce monsieur a eu le toupet d’écrire ce courrier, il n’était certainement pas sur les quais de la gare ! Parce que le 20 juin dans la région des Hauts-de-France, il y a eu 126 suppressions de trains, soit un taux de suppression de 10 %, là où il devrait être de 3 %, et un taux de régularité ce jour-là de 86 %, là où il devrait être de 97 %. C’est une honte ! Faudrait peut-être qu’il sorte de son bureau et qu’il aille voir sur les quais ! », tempête-t-il. Quelques jours plus tard, au micro de Public Sénat, Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, reconnaît des dysfonctionnements mais appelle à des négociations et invite Xavier Bertrand à reprendre les paiements. Pour la CGT-cheminots, syndicat majoritaire à la SNCF, ce bras de fer ne serait qu’une posture médiatique. Dans un communiqué, elle dénonce un « énième épisode médiatique pour cacher que Xavier Bertrand est lui aussi grandement responsable de l’organisation défaillante qui touche l’entreprise SNCF par ses choix politiques ». Elle renvoie du même coup les deux parties dos à dos en évoquant « une direction SNCF plus prompte à réaliser de la productivité en supprimant de nombreux postes et en anticipant ce que pourrait être le train régional avec la mise en concurrence en Hauts-de-France ».
Ouverture à la concurrence
Initialement prévue fin 2023, l’ouverture à la concurrence des TER de la région est retardée et ne sera effective qu’en 2025. « Nous attendons désespérément les informations de la part de la SNCF qui fait de la rétention d’informations, ce qui retarde l’ouverture à la concurrence. Elle vient d’ailleurs d’être condamnée par la cour d’appel », précise Xavier Bertrand dans son allocution. L’ensemble des lignes TER des Hauts-de-France sont ouvertes à la concurrence. « On a décidé d’y aller à fond car nous ne supportons plus d’être dans une situation de monopole avec la SNCF », explique Franck Dhersin, vice-président en charge des mobilités au Conseil régional. Mais pour la fédération des cheminots CGT, cette décision revient à « découper entièrement le réseau TER en plusieurs lots et à l’offrir aux entreprises privées (...). C’est une privatisation complète du réseau TER HDF ! Ils ne veulent plus d’un monopole public, ils s’apprêtent à offrir un monopole privé par concession de 9 ans. C’était déjà compliqué avec un seul opérateur, en installer plusieurs complexifiera forcément les choses, coûtera plus cher et n’améliorera aucunement la qualité. » En attendant 2025 et l’ouverture à la concurrence, les lignes TER de la région souffrent de vétusté et de défaut de service.
Une appli pour se plaindre
La Région vient d’ailleurs de lancer son application mobile, Rézo, pour inciter les usagers des TER à signaler les dysfonctionnements des lignes qu’ils empruntent. Avec comme phrase de présentation : « Vous ne supportez plus les désagréments rencontrés lors de vos trajets en TER ? Nous, non plus ! » Une manière de collecter des témoignages à charge. « Nous circulons sur des voies qui ne sont pas entretenues avec des pannes régulières, un manque de personnel, des défauts d’entretien et un manque d’informations », abonde Franck Dhersin. Un collectif d’usagers n’a pas attendu cette appli pour se faire entendre. Le Collectif de Défense et de Développement des Services Publics du Douaisis (CDDSPD) monte, vent debout, contre toute menace planant sur la ligne Douai-Cambrai. « Nous sommes très attentifs et mobilisés pour le maintien d’un véritable service public des transports dans le Douaisis, lance Dominique Ben, président du Collectif. Nous avons appris au détour de réunions que la ligne ferroviaire Douai-Cambrai serait dévouée davantage au fret qu’au transport de voyageurs. Nous ne sommes pas contre le développement du fret mais ce dernier ne doit pas se faire au détriment des voyageurs. » Charles Beauchamp, conseiller départemental du canton d’Aniche, s’en fait également l’écho. « Nous avons effectivement reçu des informations que nous estimons sérieuses. Il s’agirait notamment d’utiliser cette ligne ferroviaire pour desservir l’E-valley. Nous ne connaissons pas les conditions de mise en place d’une telle ligne ferroviaire, c’est d’ailleurs ce qui nous inquiète. » Un temps menacée de fermeture, la ligne TER qui relie Douai à Cambrai continue donc de susciter des inquiétudes. Le CDDSPD craint de revivre l’épisode de 2017 où la fermeture était imminente.
Des travaux de ligne payés... par la Région
Des travaux de régénération sont pourtant bien prévus sur cette ligne. Elle doit être remise en état dans les trois prochaines années. Longue de 32 kilomètres, cette voie unique électrifiée enregistre chaque jour 3000 montées et descentes sur l’ensemble de la ligne Douai-Cambrai. « La Région est mobilisée sur cette question et s’est engagée à sauver 12 lignes abandonnées par le réseau SNCF et par l’État, appuie Franck Dhersin. Les riverains peuvent être rassurés, on sauve des lignes comme celle de l’étoile de Saint- Pol. » Il en veut pour preuve la participation de la Région, réservée aux travaux de régénération. D’un montant total de 70 millions d’euros, ils seront couverts à hauteur de 70 % par la Région, de 21,5 % par l’État et de 8,5 % par la SNCF. « C’est la Région qui prend en charge majoritairement ces travaux pour des infrastructures qui ne nous appartiennent pas et pour lesquels on paie un droit de passage des TER. C’est scandaleux », s’insurge Franck Dhersin. Le collectif et certains élus préfèrent prendre les devants. « On a un sentiment de déjà-vu avec la suppression des dessertes TGV en gare de Somain où des promesses de maintien avaient été faites. Nous avons besoin de clarification et nous resterons très vigilants », prévient le président du CDDSPD. Ils espèrent être reçus prochainement par la Région pour en discuter et rencontrer également la SNCF pour émettre quelques propositions. « Aujourd’hui, ce n’est malheureusement plus du service public. Nous aimerions être entendus, avec d’autres associations de défense des usagers, pour inventer ensemble une sorte de nouvelle nationalisation de la SNCF », propose Dominique Ben.
Sauver des lignes par le fret ?
Des projets de fret sont à l’étude sur cette ligne. « Nous ne sommes pas opposés au fret, tient à préciser Charles Beauchamp, conseiller départemental du canton d’Aniche, au contraire. Mais pour créer une véritable complémentarité, il est urgent d’ouvrir la deuxième voie, supprimée au moment de l’électrification de la ligne. De plus, par rapport aux enjeux environnementaux considérables, il est préférable de privilégier le fret au transport routier mais sans que le transport des voyageurs n’en pâtisse. Les habitants d’Arleux et des alentours ont droit au même service public que l’ensemble des citoyens du pays. » La SNCF l’assure, cette ligne n’est en aucun cas menacée. « SNCF Réseau étudie à la demande de la Région Hauts-de-France, la possibilité de raccorder la ligne au futur port intérieur de Marquion. Port intérieur qui sera développé dans le cadre du projet de Canal Seine Nord Europe, après le renouvellement de la voie pour les circulations voyageurs. Les études portent sur la possibilité de faire circuler des trains de fret sur la ligne, tout en garantissant la performance des circulations voyageurs », indique-t-elle à Liberté Hebdo. Un sentiment de désamour se cristallise entre la Région, la SNCF et certains usagers. Le CDDSPD n’est pas près de s’avouer vaincu tant qu’il n’aura pas reçu de garanties aussi bien de la part de la Région que de la SNCF. D’ailleurs, il prévient : « Si nous n’obtenons pas de réponse satisfaisante, nous appellerons à une mobilisation massive des usagers et des élus. » Les points de crispation entre la Région et la SNCF ne sont pas près d’être levés. Au même moment, l’opération TER mer, proposant des billets à 1 euro, vient de débuter et se poursuivra jusqu’au 22 août. 260 000 billets seront mis en vente. L’application Rézo risque de frissonner un peu.