Dans l’ombre du président candidat à sa réélection pour le conseiller sur le programme santé, François Braun a été chargé le 31 mai d’une « mission flash » pour établir un état des lieux des urgences et des soins non programmés. Un sujet qu’il maîtrise, fort de son expérience professionnelle et syndicale. François Braun a gravi les échelons à une vitesse aussi fulgurante que le passage de Brigitte Bourguignon au ministère de la Santé. Comme il l’a rappelé lors de sa prise de fonctions, « urgentiste je suis, urgentiste je reste ». Les 41 mesures proposées, qu’Élisabeth Borne a toutes retenues, sont très largement appuyées sur les douze axes déclinés dans le pacte de refondation des urgences présenté en septembre 2019 par Agnès Buzyn. Le nouveau ministre de la Santé avait alors salué dans un communiqué officiel de Samu-Urgences de France un pacte qui allait « dans le bon sens, même s’il ne va pas assez vite, pas assez loin ». « Les revendications portées par d’autres organisations syndicales », quoique « licites », ne devaient « pas nous empêcher d’atteindre notre objectif principal : baisser rapidement et durablement la pression sur nos services d’urgences ». Fervent partisan des Services d’accès aux soins (SAS) déjà prévus, il les décline en encourageant les médecins libéraux à participer à la régulation (recommandation n°30) ou à la prise en charge de soins non programmés par une incitation de 15 euros portant le montant de la consultation à 40 euros (recommandation n° 10). Les libéraux n’ayant pas le don d’ubiquité, l’activité des médecins retraités est encouragée (recommandation n°9), tout comme la délégation de tâches à des professionnels non médecins (recommandations n°16 et 17). Les pharmaciens seront autorisés à traiter des éruptions cutanées ou des symptômes urinaires. Les infirmiers pourront suturer des plaies, et les kinésithérapeutes prendre en charge des entorses sans radio préalable.
« Cet été, les urgences, ce n’est pas open bar. On ne peut plus répondre à tout »
Dès 2016, François Braun soulignait l’importance de la formation des professionnels hospitaliers à la médecine de guerre, basée sur la gestion par priorités prioritaires et le tri des malades. Il préconise aujourd’hui la régulation préalable de l’accès aux urgences par le centre 15. Il s’agit de rappeler « avec une campagne nationale et locale » le « bon usage des services d’urgences », par un message simple aussi culpabilisant qu’infantilisant « avant de vous déplacer, appelez ! » (recommandation n°1). Élisabeth Borne le reformule déjà : « Chacun doit prendre le réflexe du 15 et ne pas venir systématiquement aux urgences. » Pour la première fois, un document officiel préconise « un triage avant ou à l’entrée du services d’urgences » (recommandation n°23). « Cette organisation repose sur la facturation du forfait de réorientation des urgences qui doit être simplifiée dans sa mise en œuvre » et sur le développement des téléconsultations (recommandation n°13) avec, pourquoi pas, le déploiement de télécabines aux portes des urgences. Puisque la télé-médecine est en plein essor, les équipes de Structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) pourraient devenir des équipes para-médicales, composées d’un binôme infirmier-ambulancier (recommandation n° 22). Ce procédé « intermédiaire » est en cours d’expérimentation, et même s’il est présenté comme une mesure temporaire pour passer l’été, les résultats des travaux devraient être « présentés au Conseil national de l’urgence hospitalière à l’automne 2022 ». Le phygital, alliant physique et digital, est une piste à explorer. Dans la Manche, des véhicules dédiés interviennent avec un secouriste, un infirmier, et une mallette de télémédecine. Ces « unités mobiles de télémédecine » doivent être déployées (recommandation n°12).
Interrogé le 30 juin par le Quotidien du Médecin, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuf) estimait que l’appel au centre 15 avant tout déplacement entraînerait « un engorgement des standards déjà surchargés ». Il évalue à 24 millions les « appels supplémentaires sur les plateformes de régulation », ce qui nécessiterait de doubler les postes de médecins régulateurs et d’assistants de régulation médicale (ARM). Or, à ce jour, 10 % des postes d’ARM sont vacants. En 2018, près de 3,8 millions d’appels n’étaient pas traités. Le taux brut de décroché des appels était de 87 % en moyenne en 2021, alors que les recommandations sont de 99 % de taux de décroché en moins de 60 secondes selon le syndicat Samu-Urgences de France présidé par François Braun lui-même. Quant au manque de médecins, la situation ne va pas s’améliorer de sitôt : les effectifs de médecins augmenteront moins que les besoins de la population jusqu’en 2025. Les projections récentes prévoient « une diminution de 30 % des effectifs médicaux d’ici 2027 ». Et l’enquête SNPhare révèle que 75 % des praticiens hospitaliers envisagent de quitter l’hôpital dans les cinq ans.
La recommandation n°24 menacerait la permanence des soins
« La suspension d’activité partielle d’un service d’urgence » qui serait autorisé à ne pas accueillir de patients pour gérer les urgences intra-hospitalières tout en diminuant « la consommation de ressources humaines » génère de vives réactions. Pour la CGT-Santé, « il faut des lits, des postes, pas des verrous à l’entrée des services d’urgences ». La fermeture de services totale ou partielle est présentée comme un nouveau mode d’organisation qui « officialise tous les fonctionnements en mode dégradé qui se sont multipliés au cours des dernières semaines ». Christophe Prud’homme cingle sur France Info que la nomination de François Braun est une « véritable provocation. Les propositions qui sont faites sont catastrophiques ». Quand on recommande « la fermeture des urgences la nuit », on ne « représente pas les urgentistes ». Patrick Pelloux s’oppose à la régulation de l’accès aux urgences : « En refusant l’accès aux urgences la nuit, on s’éloigne de notre mission de service public. »
Des bed managers pour le marché de la santé
Pas besoin de mission flash pour identifier que le manque cruel de lits d’aval est un des problèmes majeurs des urgences. Or il n’est pas prévu d’en rouvrir. Christophe Lannelongue, directeur de l’ARS Grand Est, avait créé la polémique en déclarant en 2020 que malgré la pandémie particulièrement virulente dans la région, il n’y avait « pas de raison de remettre en cause » les suppressions de 174 lits et de 598 postes prévues sur cinq ans à l’hôpital de Nancy. Malgré les démentis officiels d’Olivier Véran, 5 700 lits ont été fermés sur le territoire national en 2020. Et de nouvelles fermetures menacent le Grand Est, comme à Langres où personnels et usagers manifestaient encore le 16 juin pour défendre l’hôpital. Le rapport Braun prévoit la mise en place obligatoire de « bed managers dans tous les établissements de santé sièges de services d’urgences » (recommandation n°38). Mais Christophe Prud’homme rebondit : « On n’a pas besoin de gestionnaires de lits, mais de lits ouverts. On continue à nous proposer des restructurations d’hôpitaux avec des fermetures de lits alors qu’on en manque. » Une chose est sûre, l’arrivée de François Braun au gouvernement ne laisse pas indifférent. « On l’a beaucoup vu devant les caméras pendant le Covid-19, mais à l’hôpital, il brille surtout par son absence » reproche Patricia Schneider, représentante du syndicat Sud-Santé au CHR de Metz-Thionville où François Braun était chef des urgences. Cette infirmière-puéricultrice avait déjà émis des réserves sur les « solutions qui vont permettre de passer l’été sereinement à l’hôpital », au vu de la situation locale où « les urgences de Metz sont en difficulté dès qu’il y a une suractivité » et où les quelques recrutements ne suffisent pas « à pourvoir tous les postes qui sont vacants ». Pascal Pannetier, ancien psychiatre aux urgences de Metz-Thionville déplore dans les colonnes de Marianne que François Braun « a été le premier à faire fonctionner un service qui se désorganise, sans prendre en compte la souffrance de ses collègues, dont beaucoup ont été en arrêt maladie pour cause de surmenage, ou sont tout simplement partis ». Jean-François Cibien, président de l’intersyndicale Action praticiens hospitaliers, se dit gêné par la double casquette de François Braun qui « garde son statut de syndicaliste alors qu’il travaille en étroite collaboration avec le gouvernement. Pour beaucoup, les deux postes sont incompatibles. En ce moment, on marche sur des œufs, et on se fait traiter de “collabos” ou de “macronistes” ». Lamine Ghorbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP), se félicite de la nomination du ministre qu’il sait « très attaché à la coopération de tous les acteurs de santé au service des citoyens ». La FHP l’avait déjà rencontré pour faire part de ses idées et lui fait confiance pour réunir les différents acteurs « à égalité de droits comme de responsabilités au sein d’un véritable service public de santé ». Ce que sous-entend la mesure n°36 qui recommande « une position nationale sur l’attribution du budget de la permanence des soins aux urgences des établissements de santé privés ».
Passer l’été, et puis après ?
Le rapport Braun semble être davantage un plan clés en main pour une nouvelle restructuration du système de santé plutôt que des suggestions pour passer le cap difficile d’un été déjà bien entamé. Rien n’est prévu pour enrayer l’hémorragie de démissions. Malgré les promesses du Ségur, les personnels qui n’ont vu s’améliorer ni leurs conditions de travail ni leur niveau de rémunération sont nombreux à se réorienter. Une nouvelle vague de départs risque de déferler en septembre sur un hôpital exsangue. Des solutions avancées par la CGT-Santé ne sont pas du tout à l’ordre du jour, comme « l’augmentation du point d’indice à 6 pour faire revenir les 180 000 soignants poussés hors de l’hôpital », « la titularisation des 200 000 agents et médecins hospitaliers précaires » et « la réintégration des personnels suspendus », pourtant annoncée par Emmanuel Macron. En incitant les patients à renoncer à se rendre aux urgences et en obligeant les médecins à trier, le gouvernement fait délibérément le choix de mettre en danger la population et les personnels, tout en remettant en cause le libre accès aux soins.