Entretien avec Dominique Watrin

Faire face au déclassement social

par PIERRE OUTTERYCK
Publié le 23 octobre 2020 à 16:52

« Ce livre est un acte de reconnaissance envers tous ceux qui m’ont fait confiance et m’ont permis d’assumer des fonctions de haute responsabilité. » Militant et ancien sénateur communiste du Pas-de-Calais, Dominique Watrin vient de publier un ouvrage autobiographique, Je vous le dois bien, dans lequel il retrace son parcours militant et les combats qu’il a menés, dont certains sont encore d’actualité. Il nous offre ici son analyse des grands enjeux qui structurent le Bassin minier, au premier rang desquels la santé et l’emploi.

D’où vient votre engagement politique ? Je viens d’une famille de droite de la Manche. J’ai d’abord été marqué par les grèves massives de 68. À l’université de Caen, je militais avec les étudiants communistes. Par la suite, mes expériences de coopérant vont ancrer mon engagement. Je suis arrivé en Iran à la fin de l’année 1977, je me suis retrouvé plongé dans la révolution qui était d’abord nationale et démocratique avant d’être dévoyée par les religieux. J’ai pu mesurer la violence de l’impérialisme américain et le vide politique causé par la répression anticommuniste.

Et dans le Pas-de-Calais ? Au départ, j’étais professeur à Guercif au nord-est du Maroc, c’est d’ailleurs là où j’ai rencontré Malika, ma future épouse. En 1987, j’ai été nommé à Lens. Nous habitions dans la ZUP (zone à urbaniser en priorité, ndlr) de la Grande Résidence. Immédiatement, j’ai été marqué par les problèmes de santé, le vieillissement précoce, les problèmes de handicap et d’invalidité que vivaient mes voisins. Avec la section communiste lensoise, nous avons alors créé le comité du SPF, et ce malgré l’opposition de la mairie socialiste. C’est à ce moment-là que j’ai compris la nécessité fondamentale de rassembler les gens sur des objectifs concrets décidés en commun. Nous avons ainsi obtenu la rénovation complète du bureau de poste, service public essentiel où jusqu’alors s’affrontaient les usagers, entre eux et avec les agents postaux. Nous avons aussi obtenu une baisse de 25 % des factures d’eau pour les locataires de la Grande Résidence.

Que vous a appris cette période ? Les relations avec les gens qui souffrent m’ont beaucoup appris. Cet ancrage local m’a servi tout au long de ma carrière, jusqu’au Sénat. J’ai d’abord été l’assistant du sénateur maire de Rouvroy Yves Coquelle de 1991 à 2001, avant d’être élu conseiller général et adjoint aux affaires sociales à Rouvroy en 2001, et enfin sénateur du Pas-de-Calais jusqu’en 2018. Grâce mon expérience, j’ai pu me défaire d’une vision technocratique très forte dans les allées du pouvoir. Cette proximité avec les habitants est, selon moi, essentielle.

Dans ce livre, vous revenez souvent sur la question du système de santé qui vous tient particulièrement à cœur, et dont les problèmes ont été révélés de façon dramatique pendant la crise de la Covid-19. Qu’aviez-vous fait à l’époque ? En tant qu’élu, j’ai pu mesurer la dégradation de notre système de santé : deux ou trois fois moins de prévention que dans les autres pays européens, mise à la diète de notre système hospitalier, désertification médicale - y compris dans les villes (on dénombre seulement deux ou trois médecins âgés dans des villes de 15 000 habitants) -, fermeture du service pneumologie à Lens, du service cardiologie à Béthune… Toute ma vie j’ai combattu ces politiques d’austérité aggravant une situation déjà difficile. À Lens, on estime qu’il y a 38 % de surmortalité évitable… Chaque année disparaissent prématurément 700 à 800 personnes ! La santé est donc l’enjeu principal de notre Bassin minier. J’ai constitué un large collectif très diversifié de personnels de santé, d’organisations syndicales, de politiques et d’usagers. Grâce à ce rassemblement, nous avons pu faire bouger les lignes et obtenir des acquis sans attendre le grand soir. Parmi ces priorités, la création d’un CHU. Il est en effet insupportable que pour 1 400 000 habitants nous n’ayons pas de CHU ! Nous vivons dans le Pas-de-Calais une véritable discrimination sanitaire ! Nous avons obtenu 80 millions de subventions supplémentaires de l’État pour un investissement supérieur de 50 millions d’euros aux 220 millions prévus...  C’est un mieux mais il reste à donner une attractivité médicale à nos territoires. Un maillage de centres de santé publics favorisera la disparition des déserts médicaux. Il est impossible de construire un bon hôpital dans un désert médical…

En sous-titre de votre ouvrage, vous évoquez le « déclassement social  ». De qui parlez-vous ? J’explique dans ce livre la précarité grandissante du travail des femmes, encouragée par les choix du gouvernement. À titre d’exemple, une aide à domicile gagne 800 à 900 € par mois en moyenne compte-tenu des temps partiels imposés. Nous avons demandé, en vain, que les tarifs horaires des contrats de moins de 30 heures par semaine soient augmentés. Avec le collectif CGT des aides à domicile, j’ai porté au Sénat un rapport sur ce sujet. J’ai constaté un désengagement de l’État, des différences de traitement de nos aînés entre départements, la nécessité de revaloriser certains métiers afin de pouvoir recruter. Ce dossier démontre un déclassement social qui frappe les travailleurs reconvertis, les femmes, les jeunes réduits souvent à l’autoentreprenariat (400 à 500 € de revenu mensuel en moyenne) sans oublier les intérimaires, les contrats à durée déterminée… Aucune politique de gauche, aucun rassemblement populaire ne sont possibles si nous ne gagnons pas ces combats pour l’emploi et le pouvoir d’achat.

Les fermetures d’entreprises et les plans de licenciement se multiplient depuis ces derniers mois. Comment défendre l’emploi dans ces conditions-là ? Nos entreprises ont été saccagées depuis 50 ans : fermeture des mines, Metaleurop, Samsonite… Cette liste est sans fin ! Arrêtons-nous sur la fermeture d’Alinéa de la « galaxie Mulliez ». Ce milliardaire a utilisé la loi de mai 2020 pour mettre Alinéa en liquidation et la racheter en jetant les salariés et en n’honorant pas ses dettes. Joli profit pour les actionnaires ! Nous vivons ici la férocité, du système capitaliste. Nous, communistes, exigeons l’abrogation de cette loi. Mais soyons clairs, localement, nous ne gagnerons pas ; seules des lois nationales et européennes pourront empêcher la concurrence débridée des salariés, comme la loi demandée par le PCF interdisant les licenciements boursiers : ce sont des choix politiques. N’oublions pas non plus le combat pour défendre l’honneur de nos Gueules noires, sauvagement réprimées et licenciées lors des grèves de 1948. Je suis fier d’avoir contribué, avec d’autres, à faire valoir leurs droits et ceux de leurs enfants et petits-enfants. Tous mes choix impliquent le renforcement et le rayonnement du Parti communiste. Depuis un siècle, mon parti a ancré son action sur les besoins et l’unité des travailleurs ; aujourd’hui et pour les prochaines décennies, ce combat est porteur d’avenir !

Je vous le dois bien. Militant et sénateur communiste face au déclassement social, Dominique Watrin, Geai Bleu Éditions, 23 € (port compris). Commande : legeaibleu @ orange.fr.