Grand débat : prendrez-vous la parole ?

par Mathieu Hébert
Publié le 18 janvier 2019 à 15:14

Un grand débat national vient d’être lancé par Emmanuel Macron jusqu’au 15 mars. Le président promet un débat sans tabou.

Allez ! On se dit tout. Promis, juré, le président de la République tiendra compte des remarques. Le grand débat national dont il a donné le départ cette semaine dans l’Eure, c’est l’occasion d’évoquer tout ce qui « pourrait améliorer votre existence au quotidien  », avance le président dans la lettre qu’il adresse aux Français, sans timbre, mais via la presse et les réseaux sociaux.

Ce débat, par l’ampleur des sujets traités, sa durée (deux mois) et son organisation, est « une initiative inédite  », souligne le président, qui promet d’en « tirer toutes les conclusions  ». Voilà comment Emmanuel Macron réagit à la colère populaire qui a trouvé une intensité elle aussi inédite avec le mouvement des Gilets jaunes depuis novembre.

Jusque-là, le président se retranchait derrière la légitimité de son élection pour mener ses réformes à marché forcée, supprimant l’essentiel de l’impôt sur la fortune (ISF), détricotant le code du travail et, s’attaquant bientôt aux régimes de retraite. Le voilà désormais admettant qu’«  il faut constamment redemander aux gens leur avis  », a-t-il déclaré devant 600 élus normands, dont beaucoup de maires, le 15 janvier.

Accueilli par de timides applaudissements, le président de la République a plus tard été ovationné par les mêmes. Il a promis un débat sans question interdite, y compris sur l’ISF ou le referendum d’initiative citoyenne, deux sujets mis en avant par les Gilets jaunes.

Diable, on l’aurait changé, notre président ? Pas du tout déconnecté et finalement à l’écoute ? Beaucoup en doutent. « Ce n’est ni une élection, ni un référendum  », souligne d’ailleurs l’intéressé. A propos de l’ISF, il assure qu’il n’y a ni totem ni tabou. Mais ajoute aussitôt : « ce n’est pas parce qu’on remettra l’ISF comme il était il y a un an et demi que la situation s’améliorera  ».

« La fraude fiscale, les dividendes records des actionnaires, le CICE et ses 40 milliards pour 2019, le pouvoir d’achat, le partage des richesses, la paix... Il n’y a pas de "questions interdites" mais il y a décidément des sujets tabous  », ironise Alain Bruneel.

A l’Hôtel de Ville de Marly, le 17 décembre, devant les cahiers de doléances tout juste ouverts.

Le député du Nord vient de poster sur les réseaux sociaux la parole d’un cheminot, d’un avocat, d’une infirmière, de gilets jaunes, d’un lycéen, d’une retraitée, qui souhaitent tous plus de justice sociale, exemples locaux à l’appui... « Le grand débat a commencé depuis longtemps, il s’exprime dans la rue  », résume l’élu communiste du Douaisis.

Dans ce secteur, retraités CGT et Gilets jaunes envisagent une action commune. Le 31 janvier, les retraités CGT manifesteront avec leurs camarades pour un meilleur pouvoir d’achat. Cela fait des mois et des mois que leur mobilisation se poursuit, avec d’autres syndicats et associations de retraités. Cette fois, elle sera peut-être rejointe par des Gilets jaunes. « Sur l’essentiel, leurs revendications sont les mêmes que celles portées par la CGT ou le PCF. Et beaucoup sont méfiants vis-à-vis du grand débat  », explique René Féart, cheminot retraité et ancien adjoint à Sin-le-Noble, près de Douai.

Et si on invitait le président ?

Pour les communistes, pas question de de rater une nouvelle occasion de prendre la parole. « Nous demandons à nos élus, maires, conseillers, à nos organisations, partout où ils le peuvent, de participer au débat, de recueillir les doléances et les espoirs des gens. Il faut qu’ils soient entendus  », indiquait, le 8 janvier sur BFM, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.

A Avion, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, la majorité PCF avait dans un premier temps refusé, une réaction à un « enfumage », d’autant mal perçu que le gouvernement « demandait à ses ministres d’accélérer les réformes sur la fiscalité, sur les retraites et la fonction publique  », rappelle Jean-Marc Tellier, maire. « Finalement, nous avons décidé de le prendre au mot  », avance l’élu communiste. Quand un problème se pose dans un quartier, le maire réunit les habitants pour discuter et trouver des solutions. Alors « pourquoi ne pas inviter le Président de la République à venir dialoguer ici, à Avion ?  » C’est désormais chose faite, via une lettre ouverte. Après avoir été l’un des premiers à ouvrir des cahiers de doléances, le maire de Marly Fabien Thiémé a émis la même idée.

Immigration et religion : y’avait longtemps...

Au fait, sur quoi portera le débat ? Quatre grands thèmes sont retenus par le gouvernement : les impôts, la dépense et l’action publiques ; l’organisation de l’Etat, des collectivités et des services publics ; la transition écologique ; et la démocratie et la citoyenneté. Ils englobent l’essentiel des revendications régulièrement entendues auprès des Gilets jaunes, également portées par les gilets rouges de la CGT ou, plus récemment sur le thème de la proximité des services publics, par les robes noires des avocats...

Veut-on plus de services publics ? Comment et par quoi financer l’action publique ? A quoi doivent servir les impôts ? Qui doit être imposé et comment ? Telles sont quelques-unes des questions débattues, avance Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français.

Et puis tiens, y’avait longtemps... Il ajoute deux points : l’immigration et la religion, tout comme Nicolas Sarkozy en son temps avec le débat sur « l’identité nationale ». Vous vous souvenez ?

Et par quoi se termine donc la lettre de Macron ? La mise en place de quotas d’immigration (précisément, il évoque des « objectifs ») et le renforcement de la laïcité. Diviser pour mieux régner, on n’a pas fait mieux depuis l’Antiquité.