Pourquoi rouvrir les écoles le 11 mai ?

Il faut assurer les conditions sanitaires et recréer du lien social

par Philippe Allienne
Publié le 17 avril 2020 à 11:34

Décidément, la communication élyséenne et gouvernementale passe mal. En annonçant la réouverture des écoles et des établissements scolaires le 11 mai, le président de la République sème le trouble. Le ministre de l’Éducation en rajoute.

C’est d’une réouverture progressive dont parle en fait le gouvernement. À compter du 11 mai, a expliqué Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée du 13 avril, les crèches, écoles, collèges et lycées doivent rouvrir de « manière progressive ». Il a aussi précisé qu’il faudra « organiser différemment le temps et l’espace ». De son côté, le ministre de l‘Éducation Jean-Michel Blanquer rappelle que « l’école est obligatoire », sous-entendu : pas question de ne pas respecter la décision du gouvernement. Mais il ajoute que les précisions ne tomberont pas avant deux semaines (c’est-à-dire vers la fin de ce mois).

Fermer proprement l’année scolaire

« Jusqu’ici, réagit Nicolas Pénin, de l’Unsa Éducation Hauts-de-France, l’Éducation nationale n’a pas commencé à écrire la moindre consigne. » Pour l’Unsa, une chose est sûre : « La première des conditions à réunir est bien entendu la sécurité des personnels et des élèves. » Et là, les choses ne s’annoncent pas simples. « Comment pourra-t-on s’assurer du respect des distances sociales ? s’interroge Nicolas Penin. Par exemple, le gouvernement ignore encore comment il va assurer cette reprise ni quel public sera concerné en priorité. Il parle des plus jeunes ou des plus grands. Mais les plus jeunes élèves sont précisément ceux qui respecteront le moins les consignes ! » Pour le syndicaliste, une crainte persiste : que le gouvernement laisse la responsabilité de la reprise à « l’intelligence du corps enseignant ».

Autre question, comment pourra-t-on assurer la désinfection des établissements ? Les mairies ne seront pas toutes en mesure de le faire, en fonction de leurs moyens, dans un délai aussi court si l’on s’en tient à la date du 11 mai. Il faut ensuite considérer que les sociétés de nettoyage seront sollicitées en même temps. Or, elles manquent de personnel (de nombreux salariés sont en arrêt maladie) et elles seront débordées par la demande.

Pour l’Unsa Éducation, la date du 11 mai ne devrait donc pas être une date butoir. « L’essentiel, explique Nicolas Pénin, est de fermer l’année scolaire le plus proprement possible.  » En d’autres termes, si la reprise a lieu courant juin, cela n’aurait rien de choquant. Le but ne doit pas consister à permettre aux parents de reprendre le travail en toute quiétude (et d’utiliser les établissements scolaires comme des garderies). Il doit permettre aux élèves de se retrouver, de retisser les liens sociaux (après des semaines d’interdiction de s’embrasser, de se toucher, de se serrer la main). « Il ne faut pas penser que tout reprendra comme avant et comme si de rien n’était. »

Décision hasardeuse

La CGT Éduc’Action parle quant à elle de « décision très hasardeuse ». « Le président de la République, écrit-elle dans un communiqué, a suscité plus d’interrogations et de craintes que d’apaisement chez les personnels de l’Éducation nationale, les élèves, les parents, mais aussi parmi les collectivités territoriales et les administrations chargées de mettre en application cette décision ».

Le syndicat pose lui aussi la question de la sécurité sanitaire : « Comment imaginer que l’Éducation nationale et les collectivités territoriales seront en capacité d’avoir d’ici un mois à disposition des stocks suffisants de matériels de protection et de tests pour équiper les établissements et garantir la santé de tous et de toutes alors même que les besoins actuels ne sont ni garantis, ni couverts dans les centres hospitaliers, les Ehpad, ou pour toute autre profession travaillant encore actuellement ? »

De la même façon, la CGT Éduc’Action se demande comment les équipes pédagogiques « seront en capacité d’aménager des espaces d’étude alors même que les classes sont déjà trop petites ou surchargées ». Elle aussi estime que, sous couvert d’égalité et « avec la volonté de faire “retrouver le chemin de l’École” aux enfants des milieux les plus défavorisés, le président de la République souhaite surtout et avant tout relancer l’économie en “libérant” les parents de leurs enfants afin qu’ils retournent travailler comme le souhaite le patronat ».

Que penser précisément de cette préoccupation égalitaire ? « On peut parler des enfants qui, durant le confinement, ne suivent pas les cours soit parce qu’ils sont mal ou pas équipés de matériel informatique. Et cela va souvent de paire avec les différences sociales. On peut aussi parler des élèves moins doués, en retard, qui ont absolument besoin de rattraper les cours et de retrouver l’école. On peut aussi penser aux élèves qui ont envie de retrouver la classe parce qu’ils s’y sentent mieux pour apprendre. Mais, observe Nicolas Pénin, le président feint de s’apercevoir qu’il y a des difficultés et des décrochages scolaires. Nous le savions ! S’il suffit d’ouvrir les écoles pour y mettre fin, cela se saurait ! »

Ainsi, les vraies questions qui se posent maintenant sont les questions sanitaires et ensuite le temps de la reconstruction pour les élèves. Pour les cours, il faudra plutôt attendre la rentrée de septembre. Et la question à plus long terme est de savoir si le gouvernement changera de regard sur le service public et sur la démocratie sociale. Jusqu’ici, cela ne fait pas partie de son logiciel.