Droits réservés
Christophe Prudhomme, urgentiste en Seine-Saint-Denis

« Il faut en finir avec le système de médecine libérale »

Publié le 27 août 2021 à 11:18

Ce samedi à 16 heures, l’urgentiste et syndicaliste (CGT) Christophe Prudhomme débattra du système de santé devant le public du festival de l’Humain d’abord. Il rappellera que l’hôpital public souffre de coupes budgétaires depuis des décennies et avancera quelques pistes de réflexion.

• Pouvez-vous revenir sur la gestion de l’épidémie de coronavirus par l’hôpital public ? C’est bien simple, l’hôpital public est dans un état de dégradation avancée qui ne nous permet pas de gérer l’épidémie correctement, ni de prendre en charge les patients autres que ceux atteints du coronavirus. Un exemple, dans mon département, la Seine-Saint-Denis, un des plus grands hôpitaux, celui d’Aulnay-sous-Bois, est aujourd’hui en plan blanc - c’est-à-dire en plan de crise - non pas parce qu’il y a une surcharge de malades liés au Covid-19 mais parce qu’il n’y a pas suffisamment de personnel pour faire fonctionner les urgences et le bloc opératoire. On a tellement tiré sur la corde que le personnel fonctionne en flux tendu et qu’une partie des soignants s’est mise en arrêt maladie. Le gros problème de l’hôpital aujourd’hui, ce sont les effectifs un peu partout. Vous en savez quelque chose dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. C’est une catastrophe. Le cas des urgences à Boulogne-sur-Mer que je connais bien est en la matière exemplaire ! Régulièrement, une équipe du Samu y est supprimée, les urgences fonctionnent avec la moitié des médecins qui devraient normalement être présents, etc. C’est le résultat de 30 ans de politique de mise au pain sec de l’hôpital public et d’absence de réforme globale de la santé prenant en compte le fait que la santé ne relève pas du secteur marchand. • Vous déplorez l’absence d’unité politique, à gauche, pour défendre un autre système de santé. Le pouvoir profite de la crise pour accélérer ses réformes. Si en face, on n’a pas les moyens de mobiliser autour de réponses et de donner de l’espoir, eh bien on reste dans la résistance et on perd. Je n’ai aucune aigreur et aucun ressentiment pour personne, mais je suis un peu dépité du fait que l’on n’arrive pas à construire collectivement. En période de crise, il faut essayer de chercher ce qui rassemble et mener le débat pour que les mesures les plus progressistes possible soient celles qui emportent le morceau au niveau du programme qui sera collectivement défendu. Ce qui me désole dans les partis politiques aujourd’hui, c’est leur suivisme des mouvements sociaux, syndicaux ou autres, alors qu’ils devraient être devant. Comment construit-on ensemble, autour du mouvement social, des perspectives politiques et comment crée-t-on le rapport de force pour pouvoir l’emporter politiquement. Si la présidentielle 2022 se traduit à nouveau par un affrontement Macron/ Le Pen, c’est désolant. Parce qu’on a affaire à un épuisement de notre système de démocratie parlementaire, les gens n’y croient plus. C’est la raison pour laquelle il y a autant d’abstention. Il faut qu’on invente d’autres façons de faire de la politique. On ne peut pas élire un président qui a tous les pouvoirs tous les cinq ans, on ne peut plus accepter qu’il y ait des élections législatives couplées à la présidentielle et tendant à montrer que le Parlement ne sert à rien. • Sur quoi faut-il particulièrement se battre ? Le système doit être financé uniquement par la Sécurité sociale et non par un mix Sécurité sociale/ complémentaires santé. C’est la revendication de la CGT. Il faut l’extinction le plus rapidement possible du système de médecine libérale qui aujourd’hui ne correspond plus aux besoins et ne permet pas d’avoir une juste répartition de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire avec des inégalités qui s’aggravent. Je suis, pour la CGT, conseiller à la Cnam. On vient de voir la présentation du bilan de 20 ans de mesures d’aides incitatives pour réguler l’installation des professionnels de santé qui est un échec total. Il faut prendre cela en compte. Il faut un système de santé public à 100 % et une Sécurité sociale à 100 %. Mais, au-delà du slogan, il faut mettre du contenu et voir comment on essaie d’y aller le plus rapidement possible. Parce qu’autrement, le glissement va très vite avec les mesures qui sont prises par Macron. On est en train de réduire la Sécurité sociale à sa plus simple expression, et on est en train de démanteler l’hôpital public tandis que le secteur privé de l’hospitalisation prend des parts de marché. On glisse vers un système à l’américaine. Le problème est qu’à ce jour, aucun politique n’ose dire qu’il faut aller vers une extinction du système de la médecine libérale. Pourtant, même une bonne partie des médecins libéraux sentent bien que le système est en train de mourir. Alors il faut savoir dire par quoi on remplace et il faut parler des perspectives pour les jeunes. Aujourd’hui, les jeunes médecins, qui sont majoritairement des femmes, ne veulent plus s’installer en libéral et privilégient les emplois salariés. C’est une réalité sociologique sur laquelle il faut s’appuyer. • Que pensez-vous de la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale ? On n’en a pas besoin. Nous y sommes opposés pour une raison très simple, c’est que la création des branches par De Gaulle, c’était le début du démantèlement de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale doit être unique. En ce qui concerne le maintien de l’autonomie, cela relève uniquement de la santé. On voit bien aujourd’hui le problème des Ehpad. Ces établissements ne correspondent plus aux besoins parce qu’on a privilégié l’hébergement dans les Ehpad alors que les gens restent le plus longtemps possible chez eux. Lorsqu’ils vont en Ehpad, ils sont lourdement dépendants et cela relève d’une prise en charge santé qui n’existe pas aujourd’hui. Aujourd’hui, les Ehpad, c’est un gros business. Ce que nous disons, c’est que cette cinquième branche ne peut que servir ce qu’on appelle la « silver économie » dédiée au marché. Nous sommes le pays où nous avons les plus grands groupes de structures pour les personnes âgées. Or, pour pouvoir accéder au marché chinois, par exemple, les dirigeants des groupes qui possèdent les Ehpad étaient dans l’avion de Hollande, parmi les entrepreneurs français, il y a quelques années. • Il faut donc se battre avant tout pour un pôle de santé public ? Nous sommes pour un pôle de santé publique mais nous avons un gros problème : les secteurs qui dégagent les plus grosses marges, après les Gafa, ce sont les services et parmi ceux-ci, les services de santé (santé, protection sociale...) qui participent de plus en plus à l’économie réelle. Cette analyse, il faut la maîtriser, la développer pour que cela se traduise en positionnement politique avec un discours qui permette de le faire comprendre de manière simple par la population dont le soutien nous est précieux.