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Jack Ralite, nous l’avons tant aimé

par JEAN-JACQUES POTAUX
Publié le 22 octobre 2021 à 12:39

Le titre évoque un grand film du réalisateur italien Ettore Scola. La seule photo nous présente Jack Ralite aux côtés de Mikis Theodorákis, Roland Leroy, Jacques Coubard et Marcello Mastroianni. Incontestablement, c’est lui qui tient le rôle principal. Jack Ralite aimait le cinéma (il fut rapporteur du budget à l’Assemblée nationale) et le théâtre où il allait régulièrement. Était-il un acteur ? La comédienne Valérie Dréville raconte que lorsque Vitez montait Le Soulier de satin, elle devait dire : « Le monde est beau. » Au cours d’une répétition, Vitez l’arrêta et imita Jack Ralite. « Tu vois, ajouta-t-il, lui sait comment le dire et pourquoi le dire. » Ralite était un acteur d’un genre particulier. « L’orateur toujours attendu, pas du tout tribun l’écume aux lèvres », écrit le critique dramatique Jean-Pierre Léonardini. Jack Ralite était cependant très loin de la société du spectacle, lui qui, dans le texte qui lançait les États généraux de la culture, « la culture française se porte bien pourvu qu’on la sauve », exprimait la conviction qu’un peuple qui abandonne son imaginaire à l’affairisme se condamne à des libertés précaires. Cette initiative des États généraux, qui venait au milieu des années 80 après que Mitterrand eut confié une chaîne privée à Berlusconi et que Léotard eut privatisé TF1, était un sursaut éthique contre la marchandisation de la culture et de l’art et contre l’étatisme. C’était une force qui voulait construire en mettant à jour une responsabilité publique, sociale, nationale et internationale en matière de culture. On pourrait aussi considérer qu’il fut auteur de théâtre puisque Christian Gonon, sociétaire de la Comédie-Française, proposa en octobre 2020 une lecture de ses textes. Jack Ralite ne se faisait jamais doubler. Il écrivait seul ses discours, ses interventions, ses livres dans une langue poétique qui était très reconnaissable, avec de nombreuses citations, de Saint-John Perse, René Char ou Aragon. C’était un travailleur infatigable qui commençait ses journées très tôt et les terminait très tard. Une nuit, vers deux heures, Gustave Ansart entendit sonner le téléphone et se demandait ce qui arrivait. C’était Jack Ralite qui n’avait pas vu l’heure passer.

Un faiseux, pas seulement un diseux...

N’ayant pas de doublure, il ne se dédoublait pas. C’est bien le même homme qui fut animateur des États généraux de la culture, ministre de la Santé et du Travail. Il mena ses tâches ayant « le populaire dans la peau » comme disait Jean Vilar, faisant confiance aux travailleurs, qu’il appelait « les experts du quotidien ». Le populaire, mais pas le populisme. Yves Clot souligne qu’« il ne flattait jamais chez le travailleur et surtout leurs représentants l’esprit de révolte subalterne, celui qui refuse les obstacles du réel en attendant qu’il explose ». Jack Ralite était un poète en politique, qui combattait pour que l’écart entre le peuple et la création ne devienne pas une tragédie. « Il avait pour arme miraculeuse l’intelligence de la mise en commun secondée par la raison poétique », écrit Jean-Pierre Léonardini. Et le sociologue Laurent Fleury : « Les États généraux de la culture... À cette seule évocation, le sourire vient sur le visage de Jack Ralite. Il s’éclaire, s’agrandit, devient radieux. Et sa voix emprunte des vibrations chaleureuses, devient rieuse. » On lira avec une attention particulière le texte de notre regretté camarade qui préface l’édition française du livre du syndicaliste italien Bruno Trentin, Le travail et la liberté, paru aux éditions sociales, ainsi que la contribution du sociologue Yves Clot sur ce texte. « Il m’a souvent parlé de la tragédie qu’était pour lui l’identification de la politique à la conquête de la gestion d’État. Il l’avait vécue. Le destin des rapports entre gouvernants et gouvernés ne se joue pas d’abord dans la salle des machines de l’État. C’est au cœur du travail subordonné qu’il se dessine. » Toute sa vie, Jack Ralite fut un militant communiste, qui se définissait comme « un infidèle fidèle », un homme qui ne fut jamais propriétaire, vécut en logement social, refusa le petit héritage que son père lui laissait ainsi que la Légion d’honneur. Autodidacte d’une grande intelligence, il fut aussi un homme d’action, « un faiseux, pas seulement un diseux », comme l’écrit son ami Lucien Marest et comme on le dit chez nous.

Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, éd Le Clos Jouve, septembre 2021, 140 pages, 24 €. Pour le commander : editions-leclosjouve.org.