Entretien avec Benoît Teste

« Jean-Michel Blanquer est dans le déni »

par Philippe Allienne
Publié le 28 août 2020 à 11:08

La rentrée des classes aura bien lieu ce mardi 1er septembre, avec masque obligatoire à partir de 11 ans. Le secrétaire général de la FSU porte un regard très critique sur la manière dont le ministère présente les choses.

Votre syndicat estime que la circulaire de rentrée publiée par le ministère de l’Éducation nationale confirme le déni de ce dernier de la situation vécue par l’école et du besoin des élèves de se retrouver et de retrouver un collectif de travail. Pouvez- vous expliquer ?

Oui, nous sommes très critiques sur l’organisation de la rentrée. Il y a la situation sanitaire telle qu’elle est. Mais il y a aussi un déni lié à une politique d’austérité menée par Jean-Michel Blanquer depuis plusieurs années. Ce déni consiste à dire qu’il n’y a pas de problème à l’école, pas de problème de personnel, pas d’insuffisance en matière d’effectif d’adultes. Il n’y a que des procédures : ici, on va vous mettre des masques, là du gel hydroalcoolique et tout va aller très bien. En fait, on a vraiment le sentiment que Blanquer essaie de faire la démonstration que des classes à 35 élèves, ça doit être la norme, qu’il y ait épidémie ou pas. On ne parle jamais de mettre du personnel en plus. L’épidémie révèle les gros problèmes de l’école : on a des classes surchargées et quand il y a une épidémie, cela se voit encore plus et c’est pire. On va avoir devant nous des classes de 35 élèves voire plus, à qui il va falloir faire porter le masque toute la journée, qu’il va falloir diriger dans les cours de récréation de manière à ce qu’ils ne croisent pas trop, auxquels il faudra faire se laver les mains, etc. Et on n’a même pas envisagé de recruter un peu de personnel supplémentaire. En Italie, il y a 50 000 personnes en plus pour faire face aux besoins liés à l’épidémie. Ça va être extrêmement fatigant de faire cours. Ce sera fatiguant aussi pour les élèves de recevoir un cours avec un masque (à partir de 11 ans). Qu’au moins on permette d’avoir de petits moments où les élèves soient pris en groupes de 10 ou 15 et qu’ils puissent enlever le masque. Cela nécessite un enseignant en plus. Cela n’est jamais envisagé par le ministre.

À un moment, il a été question de classes de 24 élèves...

C’est dans les grandes sections et cela ne pourra être appliqué partout. Nous sommes inquiets.

Comment les retards consécutifs au confinement peuvent-ils être rattrapés ?

Là aussi nous sommes inquiets. Les élèves n’ont pas eu de cours en présentiel depuis la mi-mars. Certains ont décroché, d’autres ont raccroché. La seule réponse du ministre est de dire : on va vous donner des heures supplémentaires pour prendre les élèves les plus en retard après la classe pour des cours de rattrapage. C’est du travail en plus pour les enseignants, et donner plus d’heures de cours aux élèves en retard n’est pas la meilleure solution. Ce qu’il faut, c’est pouvoir passer dans les rangs et pouvoir aider les élèves. Cela suppose d’avoir des classes un peu moins chargées.

Comment jugez-vous l’idée de vacances apprenantes ?

Ce n’est pas une mauvaise idée en soi d’offrir aux enfants des vacances éducatives, même si les vacances sont faites pour se reposer. Nous avons toujours porté le concept de vacances éducatives à travers l’éducation populaire, les colonies de vacances, etc. Mais ce n’est pas là que l’on rattrape des retards scolaires. Les colonies socialisent mais ça ne remplace pas le temps scolaire. Le temps scolaire, c’est à l’école.

On a vu affluer des offres privées pour aider les enfants. C’est inquiétant ?

Il y a toute une série d’entreprises privées qui ont surfé sur la vague pour proposer des cours supplémentaires, des préparations à la rentrée. Le ministère favorise ce genre de choses. Cela génère plus de stress là où il y en a déjà.On fait croire aux parents que si l’on envoie les enfants une semaine avant la rentrée dans des cours privés qui permettent de réviser une partie du programme, c’est absolument utile pour leur enfant. C’est lié à la dégradation de l’école publique. En classe, il y a moins de possibilités d’apprentissage et les parents se retournent vers les cours privés. De la part du ministère, il y a la volonté de mettre en concurrence, de proposer des offres éducatives diverses, le public, le privé, et chacun est sensé choisir entre ce qui lui convient le mieux. Et ça, c’est vraiment le modèle que promeut Jean-Michel Blanquer, cette espèce de concurrence à l’intérieur du public et entre le public et le privé. Il a toujours favorisé les solutions éducatives proposées par des associations, des entreprises privées.

Il a toujours été favorable au développement de ces entreprises d’éducation parce qu’il a une vision d’un système éducatif qui doit être mis en concurrence. Il faut pour lui que l’aiguillon du privé vienne titiller le public afin de l’améliorer. Ce n’est pas du tout comme ça que nous voyons les choses. On pense que le développement du privé favorise ceux qui peuvent payer, donc les classes les plus aisées, ça introduit l’idée qu’il faudrait être dans une compétition et qu’il faut faire des choix individuels. Cela nous éloigne de l’objectif qui consiste à donner la même chose à tout le monde et qui crée de la culture commune. Toute la politique de Blanquer vise à casser ça. On l’a vu aussi avec l’idée d’avoir un lycée un peu plus à la carte et où chacun construit son parcours. C’est typique de la mise en concurrence qui favorise les plus favorisés.

S’il faut reprendre des mesures pour raison sanitaire, le numérique sera à nouveau très sollicité. A-t-on tiré les leçons du confinement ?

Pendant le confinement, on a vu que tout le monde n’était pas à égalité et que tout le monde n’était pas prêt. L’Éducation nationale n’était pas prête parce que les plateformes ne fonctionnaient pas, les procédures n’étaient pas claires... Cela se comprend, on était en situation d’urgence. Mais maintenant, cela devient problématique parce qu’on n’a toujours pas développé une vision nationale. Tout le monde se débrouille dans son coin. Les enseignants ne savent pas trop ce qu’il faut préparer si jamais des écoles sont refermées. Là aussi il y a une forme de déni de Blanquer qui affirme que tout va bien, qu’on est prêt. Ce n’est pas vrai. Et puis, sur le numérique, faire du cours à distance a été l’occasion de se poser la question de sa signification. Comment faire pour ne pas trop creuser les inégalités, comment embarquer tout le monde dans la classe, comment faire du lien scolaire ? Cela nécessite que les enseignants aient de la formation, du temps et qu’on leur donne des outils.

Faire un cours à distance, ce n’est pas comme faire un cours en présentiel. Souvent, les enseignants ont essayé d’adapter vaguement les cours prévus en présentiel. Mais ça ne suffit pas. L’enseignement à distance ne permet pas les mêmes interactions avec les élèves permettant de voir si une notion est comprise ou pas. Dans le cours classique, on peut corriger la façon dont l’élève aborde son exercice. C’est souvent dans la correction que l’on se rend compte si l’élève a compris ou pas et que l’on peut lever les incompréhensions. Avec le numérique, vous ne l’avez pas vu en train d’élaborer sa réponse. Il faut davantage découper les séquençages pour montrer les étapes, le cheminement menant à l’acquisition des connaissances. Élaborer un cours en numérique nécessite beaucoup plus de temps. S’ajoute la question de l’équipement du prof et de la famille.

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