« Imaginons une COP, inspirée par celle pour le climat mais vouée aux dérèglements de la planète finance, à ses dérives, à la fiscalité inégalitaire : cette idée, nous l’avons émise dès 2016 ! Une COP mondiale à la mesure d’une ambitieuse perspective, celle de la justice ! » Voilà ce qu’écrivent, dans leur livre Milliards en fuite Éric et Alain Bocquet.
Absence de volonté politique
Les deux frères ont le nez creux. Mais la finance est têtue. L’évasion fiscale fait l’objet de nombreuses préoccupations depuis plus de dix ans avec la levée du secret bancaire suisse. C’était en 2009. En principe, les pratiques d’évasion fiscale auraient dû s’arrêter là, avec la réglementation de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Sauf que personne ne joue le jeu. Les « Pandora papers » alignent 300 personnalités publiques, 35 chefs d’État, 130 milliardaires. « Nous sommes dans le constat d’un manque de volonté politique ferme de s’attaquer à ce problème systémique au niveau de la finance mondiale », réagit Éric Bocquet. « Contrairement à ce qui avait été proclamé il y a 12 ans par l’ex-président de la République [Nicolas Sarkozy - ndlr], les paradis fiscaux existent toujours. Il avait dit, les paradis fiscaux c’est terminé. Or, le système s’adapte et il y a régulièrement des trous dans le bouclier. » Répondant aux questions du JT de Patricia Loison, sur France 3, l’élu pointe l’Union européenne. « Dans les révélations de “Pandora Papers’’, on trouve un État comme Chypre qui est membre de l’UE ! Or, selon l’UE, il n’y a aucun État membre parmi les paradis fiscaux. » Que dire alors de Chypre, du Luxembourg, de Malte, de l’Irlande, des Pays-Bas ? « Il faudrait donc commencer par cibler et nommer correctement les choses en reconnaissant qu’il y a des paradis fiscaux au sein de l’UE qui jouent la concurrence fiscale de façon absolument déloyale. Et cela fait perdre des centaines de milliards d’euros aux États membres. »
COP fiscale et organisation mondiale
Peut-on faire confiance aux politiques quand on sait que le nom de certains d’entre eux apparaît dans cette pratique ? Pour Éric Bocquet, la COP fiscale est une première réponse. Elle prendrait la forme d’une conférence mondiale qui mettrait sur la table des négociations les enjeux et les besoins de nouvelles règles et le besoin vital d’un consensus fiscal planétaire. Dans leur livre-propositions, les deux frères se veulent à la fois ambitieux et réalistes. « Les COP climatiques ne résolvent pas tout : aux laborieux échanges suivent des prescriptions mal respectées. Elles sont pourtant un des meilleurs exemples de coopération universelle. Elles ont le privilège de partager un constat planétaire, d’ouvrir la voie d’une mobilisation collective, de situer un cap que personne ne peut, sauf à se déclarer indifférent aux observations et conclusions scientifiques, mépriser. (…) Notre objectif est la naissance d’une finance éthique, seule voie de survie pour l’humanité. » Seconde proposition des frères Bocquet : créer une organisation qu’on appellerait Organisation mondiale de la finance (OMF), comme il existe l’OMS pour la santé ou l’OMC pour le commerce. « Il faut absolument, sous l’égide de l’ONU, en associant les 200 États de la planète, créer une OMF pour remettre la finance dans le sens de l’intérêt général. Ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui », insiste Éric Bocquet. Pour les auteurs du livre, la crise et la déconnexion entre finances et économie réelle « démontrent la nécessité d’instaurer un nouveau mode de régulation du système financier mondial ». Pour eux, il faut donc une sorte de « Bretton Woods rebaptisé qui redessinerait un nouveau système financier. Une nouvelle organisation qui respecte les équilibres du monde et soit capable d’irriguer l’économie par une finance au service des peuples ».
Chaîne des responsabilités
Pour l’élu du Nord, le problème n’est pas nouveau : il y a des proximités et des complicités partout, chez les politiques, les milieux d’affaires, les professions du chiffre, etc. « On connaît la chaîne des responsabilités dans l’évasion fiscale : les banques présentes dans les paradis fiscaux, les professions du chiffre, les notaires, les avocats fiscalistes… Mais il y a des politiques qui s’intéressent à ce sujet de manière transpartisane. Il faut que monte le rapport de force dans le pays et le monde. C’est l’affaire des peuples. C‘est un sujet hautement politique qui devrait figurer en première ligne à l’agenda des élections présidentielles qui s’annoncent en France. » Le candidat communiste Fabien Roussel ne s’y trompe pas, lui qui appelle à des sanctions très sévères contre les pratiquants et à la création d’une COP fiscale. Le manque à gagner pour les États est énorme. 25 % des bénéfices des banques placés dans les paradis fiscaux, c’est autant d’argent retiré pour l’action publique comme l’éducation, la santé, etc. Éric Bocquet n’hésite pas à parler d’un « attentat, d’une attaque contre l’autonomie des États. Et concernant la dette à rembourser après la pandémie, l’argent est là, dit-il, dans ces chiffres astronomiques, dans les paradis fiscaux. Il faut que nous nous en emparions. Il faut que tous les États de manière unanime s’attaquent régulièrement à ce sujet. Il n’y a aucune fatalité. On ne peut pas accepter ce monde qui nous mène au chaos. L’argent d’un monde nouveau existe. Remettons la finance sur ses pieds et dans le sens de l’intérêt général ».