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Anticor dans la tourmente

L’association anticorruption au défi de la transparence

par Philippe Allienne
Publié le 2 avril 2021 à 12:32

Où va Anticor ? Créée en 2003 par le juge Éric Halphen et par Séverine Tessier, l’association anticorruption se donne pour objectifs de réhabiliter la démocratie représentative, de promouvoir l’éthique en politique, de lutter contre la corruption et la fraude fiscale. Mais elle fait aujourd’hui l’objet d’un fort soupçon de non-transparence. Le renouvellement de son agrément, attendu ces jours-ci, pourrait lui être refusé.

Alors administrateur d’Anticor, Lionel Bretonnet met les pieds dans le plat en novembre 2018, à l’occasion d’une réunion du conseil d’administration. « J’avais alors découvert, raconte-t-il, que l’association bénéficiait de l’apport d’un donateur anonyme dont aucun administrateur ne connaissait le nom. C’est ahurissant. » Lorsqu’il pose la question, il n’obtient aucune réponse et on lui explique que ce donateur ne souhaite pas être connu. Qu’à cela ne tienne. Après le CA, il prend contact avec le président, Jean-Christophe Picard, et ne s’en laisse pas compter. Le président cède et lui lâche le nom de Hervé Vinciguerra. Pour autant, ce dernier restera dans l’ombre encore quelque temps. « Je suis fiscaliste. Je suis muet comme une tombe. Je n’en ai parlé à personne », dit Lionel Bretonnet. Cela ne l’empêche pas de se poser des questions. Pourquoi ce mystère ? La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) donnera par la suite raison à la direction d’Anticor lorsqu’elle maintient son refus de parler. « Que l’on respecte l’anonymat de ce monsieur est une chose, convient-il. Mais au moins, les administrateurs doivent savoir ! »

Donateur mystérieux

Ne pas répondre aux questions se révèle souvent contre-productif. C’est ce qui s’est produit pour les dirigeants d’Anticor. Un an après, en 2019, le scud leur revient dans la figure et l’on parle cette fois du financement d’Anticor. Hervé Vinciguerra est un homme d’affaires qui possède une holding au… Luxembourg. Ce n’est pas un crime, mais cela ne manque pas de faire dresser le poil à ceux qui font la chasse à la fraude et l’évasion fiscale. Lionel Bretonnet est de ceux-là. C’est d’ailleurs lui qui a remis le prix d’Anticor au sénateur communiste Éric Bocquet pour son travail parlementaire contre l’évasion fiscale. « M. Vinciguerra, affirme-t-il, a vendu une société de logiciels en Irlande où il a réalisé une forte plus-value. C’est comme cela qu’il arrose. » Mais aux dires de ceux qui sont devenus en quelque sorte « dissidents » de l’association, les dons du donateur ne sont pas vraiment gratuits. Ainsi, lorsqu’il rencontre Jean-Christophe Picard en 2018, il lui confie qu’il souhaite aider Arnaud Montebourg dans un éventuel retour en politique. Il détiendrait d’ailleurs 3,48 % des parts de la société de l’ex-ministre, Bleu-Blanc-Ruche. C’est aussi à ce moment que les deux hommes auraient décidé de s’attaquer à Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée. En même temps, il y a l’idée de mettre en cause le rôle d’Emmanuel Macron dans la vente d’Alstom à General Electric. De fait, Jean-Christophe Picard va proposer à son conseil d’administration, en mai 2018, de déposer plainte contre Alexis Kohler pour « prise illégale d’intérêt » et « trafic d’influence ». Pour cela, il faut de l’argent. Anticor fait un appel aux dons. Une somme de 20 000 euros tombe sur le compte de l’association qui dépose sa plainte le 28 mai 2018. L’argent a été versé par Hervé Vinciguerra.

Relations ambivalentes

Aujourd’hui, fort d’autres exemples, Lionel Bretonnet dénonce un fonctionnement anti-démocratique d’Anticor et des « relations ambivalentes entre la politique et l’indépendance de l’association ». Mais il le dit hors du CA car, comme huit autres administrateurs, il a été débarqué. Lors du CA du 30 janvier, ils sont plusieurs à s’exprimer et à sortir leurs conclusions. « Résultat, nous avons été révoqués », résume Lionel Bretonnet. Et de préciser qu’à Anticor, cela se passe ainsi : « Dès que l’on n’est pas d’accord, au lieu de débattre, on organise une AG dématérialisée (la bonne affaire, merci la Covid !). Les personnes concernées sont débarquées du CA. En toute tranquillité et en toute discrétion. » En fait, précise-t-il, les révocations ont été organisées par le vice-président Éric Alt après la démission de Jean-Christophe Picard. Au total, précise-t-il, neuf administrateurs ont été révoqués par onze autres. Lui-même ex-administrateur d’Anticor, l’ancien juge d’instruction Alain Bressy abonde et ne croit pas les explications récentes d’Hervé Vinciguerra qui assure dans l’hebdomadaire Le Point ne pas participer à « un combat politique en faveur d’Arnaud Montebourg. J’ai simplement été séduit à un moment par son discours anticorruption ». L’actuelle présidente d’Anticor, l’avocate Élise Van Beneden, assure quant à elle que le don de 20 000 euros n’était pas ciblé et qu’il a bien été reçu après la décision du CA de déposer plainte dans l’affaire Kohler. Elle dénonce une « cabale » contre Anticor. Quand à Arnaud Montebourg, il confirme que Hervé Vinciguerra a effectivement souhaité l’aider financièrement « dans le cadre d’une possible candidature à l’élection présidentielle ». Des divergences de vue auraient fait capoter ce projet. Mais la générosité de l’homme d’affaires ne s’en tient pas là. Il a aussi participé à la création du site d’information « Blast » avec Élise Van Beneden. Enfin, toujours selon Lionel Bretonnet, il financerait l’association non pas à hauteur de 7,46 %, mais à plus de 20 %. Ce que dément formellement la présidente pour qui tout financement de cet ordre est refusé, le maximum étant d’environ 10 %.

Un cas non isolé

Mais le cas d’Hervé Vinciguerra n’est pas unique, ajoute Alain Bressy. Selon lui, il faudrait aussi s’intéresser à Jean-Marc Governatori, un autre homme d’affaires richissime et lui aussi donateur d’Anticor. « Au lendemain de notre CA du 30 janvier 2020, se souvient-il, il est parti avec Jean-Christophe Picard pour Nice. Il s’agissait de mener bataille contre Christian Estrosi aux élections municipales. Lorsque nous avons critiqué M. Governatori, M. Picard répond que “l’optimisation fiscale n’est pas un délit” ! » Quoi qu’il en soit, maintient Alain Bressy, Anticor ne respecte pas les conditions pour obtenir le renouvellement de son agrément : la transparence et la démocratie. Le dossier de renouvellement est instruit par la chancellerie. Mais le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti faisant l’objet d’une action judiciaire (et pour cause, Anticor a porté plainte contre lui le 9 octobre dernier devant la Cour de Justice de la République), c’est le Premier ministre qui remettra ou non cet agrément. Semble-t-il, Jean Castex a demandé un complément d’investigation. En cas de refus de renouvellement de cet agrément, l’association ne pourra plus se constituer partie civile dans les procès. « Mais rien ne pourra l’empêcher de faire des signalements devant le Parquet ou le Parquet national fiinancier (PNF). Le vrai problème repose sur la mise en conformité de l’association et de son fonctionnement. » Car l’utilité d’Anticor demeure essentielle et ses ex-administrateurs ne disent pas le contraire. Ils demeurent d’ailleurs membres de l’association. Anticor a actuellement 90 dossiers en cours.

(Légende photo : Le vice-président Éric Alt aurait fait révoquer neuf membres du CA d’Anticor fin janvier.)