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À la veille de devenir un établissement public expérimental

« L’Université doit quitter la posture du bon élève »

par Philippe Allienne
Publié le 5 novembre 2021 à 11:03

Les étudiants semblent s’en préoccuper très peu. Pourtant l’université lilloise s’apprête à devenir un établissement public expérimental, à compter du 1er janvier 2022. Cet Epex regroupera l’université actuelle et quatre écoles supérieures qui auront un statut d’établissement composant. D’ici là, des élections auront lieu ces 8, 9 et 10 novembre afin d’élire ceux qui piloteront cette nouvelle organisation au sein des conseils centraux [1]. Un second tour est prévu en décembre. De nombreuses questions et inquiétudes se posent.

Un peu plus d’une semaine avant le scrutin, les représentants des listes qui seront déposées dans deux collèges électifs au moins, ont été invités à échanger sur leurs projets respectifs par l’administration provisoire et les collectifs candidats à ces élections. Régis Bordet, chercheur et ancien membre de la direction universitaire, s’est exprimé au nom d’« Élan collectif », très favorable à l’Epex. Georgette Dal, professeur des sciences du langage, en charge des ressources humaines, représentait le collectif « SERVIR l’Université de Lille » et a notamment défendu la notion de démocratie et de solidarité. Seul partisan d’une sortie de l’Epex, Thomas Alam a défendu les idées du collectif « Pour une alternative à l’Epex ». Élu au conseil d’administration de l’Université en mars de cette année et opposé depuis le début au projet de construction de l’Epex, ce dernier n’est pas dupe. Il dénonce une stratégie de triangulation de ses adversaires qui, il en est certain, sauront s’entendre pour le second tour. Il faut dire qu’avec les membres du collectif Epexit, il a avalé les couleuvres servies en avril dernier lorsqu’un référendum réalisé auprès du personnel enseignant et administratif et auprès des étudiants (1 200 votants au total) s’est clairement positionné contre le projet. Mais la direction n’en a pas tenu compte et a même tout fait pour entraver cette consultation. À l’époque, on en était encore à convaincre les écoles supérieures de rejoindre l’université de Lille en vue de créer cet établissement expérimental. L’École centrale de Lille s’y est refusée. Tel ne fut pas le cas pour l’École nationale supérieure des arts et industries textiles (Ensait), l’Institut d’études politiques (IEP), l’École nationale supérieure d’architecture et des paysages de Lille et l’École supérieure de journalisme de Lille. Nous avions alors évoqué dans ces colonnes la pression qui avait été exercée. On peut raisonnablement imaginer, par exemple, que l’ESJ ne pouvait risquer de perdre une participation financière de l’État pour son académie. Voilà donc pour les quatre établissements qui, avec l’université actuelle, composeront l’Epex. Aujourd’hui, assure Régis Bordet, « il n’y a aucune raison de rejouer le match ». Il demande juste un moratoire sur la subsidiarité entre les composants du futur établissement et souhaite que « l’université ne fonctionne pas en silos ». Georgette Dal souhaite quant à elle un « travail collaboratif avec les composantes de la direction et des conseils centraux [2] [auxquels se présentent les candidats - ndlr] qui ne se soient pas des chambres d’enregistrement ». Elle veut des lieux où l’on « parlera stratégie et où l’on fera vivre la démocratie ». Le respect de la démocratie ? « C’est au cœur de notre profession de foi », répond Thomas Alam. « Et pas seulement parce que c’est écrit dans les textes ! » C’est que pour lui, et il s’appuie systématiquement sur des textes et des rapports officiels, la direction de l’université a décidément de gros problèmes avec la démocratie. « C’est d’ailleurs écrit dans un rapport pour France Stratégie, cite-t-il. “La dynamique de restructuration de l’université s’accommode fort bien d’un despotisme éclairé’’ ». Il met en cause la manière dont les textes ont été imposés pour la faculté Santé et Sport (UFR3S), l’IUT (la question de la fusion des trois IUT n’a d’ailleurs pas été actée) ou encore la faculté LCS (langues, cultures et sociétés). Les exemples de non-respect de la démocratie ne sont pas rares. En témoigne aussi la manière dont les choses se sont passées à l’École d’architecture pour que son adhésion au projet Epex soit acquise. Rien n’a de toute façon empêché le premier ministre de signer le décret de création de l’établissement public expérimental qui est paru le 21 septembre dernier. Le collectif représenté par Thomas Alam vient de déposer un référé suspension au Conseil d’État. Le Sgen CFDT U Lille a lui aussi demandé l’annulation du décret. Précisément, explique Thomas Alam, « il est temps que l’Université quitte sa posture de bon élève qui applique servilement les directives ministérielles ». Les expériences précédentes en matière d’« excellence » (regroupements des trois universités lilloises, Parcoursup, Iabel I-site, etc.) montrent que tout cela se fait au détriment des étudiants et des personnels universitaires que l’on met en concurrence. La liste « Pour une alternative à l’Epex » veut se battre pour les personnels titulaires et précaires et pour les intérêts des étudiants, pour des droits d’inscriptions accessibles, contre le gel des postes et l’allongement du temps de travail. Elle milite aussi pour un plan d’urgence pour l’université. Et puis, l’Epe devrait déboucher, à partir de 2026, sur un autre projet : celui d’une grande université avec des droits d’inscription très élevés, à l’exemple de Paris-Dauphine. Thomas Alam a interpellé les autres candidats aux élections universitaires en leur demandant s’ils comptaient prendre les dispositions pour que toute la communauté universitaire soit consultée. Lors du débat, ils ont botté en touche.

Notes :

[1Conseils centraux : le Conseil d’administration, la formation et la vie universitaire, le conseil scientifique.

[2Conseils centraux : le Conseil d’administration, la formation et la vie universitaire, le conseil scientifique.