Dans le Nord, les expérimentations sur le RSA conditionné seront cantonnées aux villes de Tourcoing et Roubaix. © Houria Cherbal
Mise en place du RSA « conditionné »

La faute du gouvernement

par Nadia DAKI
Publié le 6 janvier 2023 à 09:54 Mise à jour le 25 janvier 2023

Le Nord fait partie des 18 départements volontaires pour expérimenter prochainement un RSA conditionné à 15 ou 20 heures d’activité hebdomadaire. Une remise en question du fondement même de ce minima social pour certains.

La réforme du RSA (revenu de solidarité active) est une idée du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne pour sa réélection. Il veut tester, entre autres, l’efficacité d’un « accompagnement rénové » et ne parle pas de conditions. Pourtant, certains allocataires du RSA (598 euros par mois pour une personne seule) devront désormais s’acquitter de 15 à 20 heures de travail par semaine, pour percevoir ladite allocation. Les départements retenus pour cette expérimentation vont mettre en place le dispositif dès ce mois de janvier. Même si la feuille de route n’est pas encore précisée, des sociologues et associatifs s’interrogent sur la remise en question du bien-fondé d’un tel minima social. « Le RSA est un minima social, ce n’est pas un minima vivable car on est bien en-dessous du seuil de pauvreté. La réelle motivation qui se cache derrière cette “contre réforme” est de remettre les gens au travail. Certains ont une projection fausse des allocataires du RSA. Ce serait des personnes qui ne veulent pas travailler. Or, les raisons d’être au RSA sont multiples et ne dépendent pas de la seule volonté de l’allocataire. On peut habiter dans un bassin d’emploi sinistré, ou avoir des parcours de vie difficiles ou encore être surdiplômé », met en perspective Stéphane Vonthron, membre du CNTPEP (Comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires). Même si le périmètre de l’expérimentation n’est pas encore défini, la question même de la contrepartie entraîne avec elle celle d’une motivation, toute relative, et d’un éventuel contrôle. « Le RSA est censé être une prestation non contributive qui offre notamment un système de protection sociale. Cette expérimentation va dépendre des acteurs locaux. Mais en réalité, elle paraît relativement infaisable car tous les bénéficiaires actuels n’ont pas de contrat d’insertion soit parce qu’il y a un engorgement des services soit à cause de la complexité administrative pour instruire les dossiers entre Pôle emploi, les associations d’insertion et le Département », renseigne Clara Deville, sociologue spécialisée dans les classes sociales du monde rural à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Avec plus de 100 000 personnes allocataires du RSA, le Nord fait partie des départements les plus touchés par la précarité. Or, la Cour des comptes a estimé, dans un rapport publié il y a un an, le non-recours à 30 %. « Comme pour le chômage, une grande partie d’ayants droit ne demande pas le RSA par honte. Les personnes allocataires, et non pas bénéficiaires car il n’y a pas de “bénéfices” ne le sont jamais par gaieté de cœur », indique Stéphane Vonthron. Certains renoncent à leurs droits à cause de la digitalisation des services de l’État. « Ce non-recours est un phénomène bien connu de l’action publique, poursuit Clara Deville. En ruralité par exemple, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, il y a une surreprésentation des classes populaires. Le retrait de certaines institutions et les démarches réalisables en ligne sont un frein pour certaines personnes pouvant prétendre au RSA. »

Une oisiveté imaginaire

Contacté, le Département a indiqué ne pas « réagir sur le sujet » pour le moment. Chez nos confrères de La Voix du Nord, Christian Poiret, le président, indiquait toutefois que cette expérimentation ne concernera pas tous les bénéficiaires et sera consacrée aux villes de Roubaix et Tourcoing. « Cette réforme n’est rien d’autre que du travail déguisé, estime Xavier Pottiez, responsable du MNCP (Mouvement national des chômeurs et des précaires) de Lille. Ce projet veut essayer de motiver des gens que certains imaginent chez eux toute la journée. » Or, les chercheurs sont catégoriques : les allocataires du RSA sont des personnes actives et certainement pas coupées de la société. « Toutes les études le montrent, ces gens sont en mouvement permanent et instable. Il y a comme une injonction de devoir remettre les gens au travail car au départ il y a une suspicion générale d’oisiveté. Ce postulat de départ est erroné », explique Blandine Mortain, sociologue membre du Collectif Rosa Bonheur qui a publié en 2019 une enquête sur Roubaix, « La ville vue d’en bas ». Pendant cinq ans, le collectif va interroger 200 personnes. « Nous n’avons pas rencontré une seule personne qui ne souhaitait pas une insertion professionnelle stable, poursuit-elle. Il y a tout un tas d’activités de subsistance qui ne sont pas dans le registre du travail au noir, de l’illégalité ou des trafics. » L’enquête a été menée auprès de mères de familles, de garagistes ou encore de personnes qui réhabilitent leur logement. « Les mères de famille par exemple recherchent constamment les produits à moindre coût. Ce qui nécessite au préalable un repérage, une mobilité, une activation des réseaux, un échange de services. » Clara Deville rejoint ce point de vue. « Il y a un travail coûteux en énergie et en temps pour se maintenir à flot, pour trouver quelques ressources supplémentaires pour le foyer. Or, ce travail de subsistance ne compte pas alors qu’il est partout et concret. Je n’ai jamais vu un allocataire du RSA passer ses journées à ne rien faire lors de mes travaux de recherche. »

Motivation contre rétribution

Les modalités se préciseront ces prochaines semaines. Mais le spectre de l’obligation plane. « Le dispositif est encore trop flou. Mais l’incitation au travail tous azimuts se conjugue avec le discours d’un allongement du temps de travail et le contexte de la réforme du chômage et de celle de l’enseignement professionnel. L’incitation au travail considère qu’il y a une faible motivation de la part d’une certaine population et qu’il faut donc la contraindre ou la conditionner », analyse François-Xavier de Vetter, économiste et chercheur au laboratoire Clersé (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) de l’Université de Lille. Or, la notion de motivation pose la question du sens du travail. « Le pauvre n’est pas un fainéant qu’il faut motiver. L’idée qu’une personne préfère ne rien faire et qu’il lui faut un choix monétaire pour le mettre au travail fonctionne peut-être en économie mais pas en sociologie car on ne travaille pas que pour l’argent », rappelle Clara Deville.

Diviser les pauvres

Un regard que partage Blandine Mortain. « Après la peste noire, on va commencer à distinguer les bons des mauvais pauvres. Les premiers méritent d’être assistés quand les seconds sont suspectés de vouloir échapper au boulot et il faut donc les remettre en mouvement. Cela présuppose que tout travail est plus digne que l’inactivité. » C’est justement sur ce point que Stéphane Vonthron se montre très vigilant. « Il y a une volonté assez claire de vouloir contrôler ceux qui ne sont pas dans l’emploi et donc de les obliger à accepter n’importe quel travail, qu’il soit aliénant, pénible ou mal payé. » Xavier Pottiez voit dans cette expérimentation une tentative de diviser les pauvres. « Au lieu d’augmenter les salaires, on dit : “Regardez, il y en a qui ne travaillent pas et on leur donne des sous.” Les pauvres sont une cible facile », regrette-t-il.

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