Il n’y a, paraît-il, que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis… ou d’idées. À ce titre, le nouveau ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, est très certainement un parangon d’intelligence et de souplesse. D’abord membre du Parti communiste français (enfant, à Clichy-sous-Bois, il vendait l’Humanité et Pif Gadget avec son père), il a rejoint le Parti socialiste en 2006 avant, 14 ans plus tard, se laisser séduire par le macronisme. Lors des élections municipales de 2020, où il était candidat à sa succession, il a intégré des co-listiers LREM sur sa liste. C’était la condition pour que La République en marche ne présente pas de candidat contre lui. Un marché qui lui a valu d’être exclu du Parti socialiste. Pas de quoi l’émouvoir. En octobre 2021, il annonce son soutien à Emmanuel Macron dans sa candidature à l’Élysée. Juste avant le premier tour, il le reçoit dans sa commune et déambule à ses côtés. Pour ce défenseur des quartiers, Emmanuel Macron est la « seule voie possible pour leurs habitants ».
Situation critique pour les familles
Nul doute, pour cet homme qui a grandi dans le quartier déshérité du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois, la question du logement et de la ville le préoccupe depuis longtemps. Élu maire de cette commune en 2011, il a multiplié les actions : constructions de logements neufs, arrivée du tramway, construction d’une piscine et d’un observatoire, soutien aux petites associations de proximité, etc. Autre corde à son arc, en 2018, il est nommé président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Il devient également vice-président de la métropole du Grand Paris où il est délégué à l’habitat et à la mixité. Le président de la Confédération nationale du logement (CNL), Eddie Jacquemart, n’en disconvient pas : « L’homme connaît ses dossiers. J’attends de voir son action au gouvernement. » Mais la tâche est énorme. Premier poste dans le budget des familles, le logement n’a pourtant pas été pris au sérieux durant la campagne des élections législatives. Certainement pas, en tout cas, chez les candidats de Renaissance (ex-LREM), de LR ou du RN. « La nomination d’Olivier Klein intervient à un moment où la situation est particulièrement critique pour les familles », observe Eddie Jacquemart. Or, poursuit-il, le ministère de l’Économie lui a déjà balisé le terrain, avant son arrivée, notamment avec l’Indice de référence des loyers (IRL). « Cet indice s’applique pour la revalorisation des loyers, mais il est calculé avec de nombreux produits inflationnistes eux-mêmes. » L’IRL sorti au premier trimestre 2022, et publié en avril, s’affichait à 2,48 %. Les projections pour le second trimestre étaient annoncées autour de 5 à 6 %. Or, le gouvernement propose de le plafonner à 3,5 % pour un an. C’est la fameuse proposition de « bouclier loyers » de Bruno Le Maire. « De qui se moque-t-on ? » tonne Eddie Jacquemart. Cela veut dire que, dans le parc social, les bailleurs ont la possibilité d’augmenter les loyers de 3,5 % à partir du 1er janvier 2022. Pour un loyer de 600 euros, cela revient à une hausse de 21 euros. « Ce n’est pas absorbable par les locataires, surtout dans le contexte de la crise sanitaire hier et de la crise économique aujourd’hui. D’autant qu’il faut ajouter les charges de chauffage et d’électricité, la hausse du coût de l’énergie et des prix alimentaires. »
Se battre contre Bercy ?
Avec un tel plafonnement, on peut calculer une augmentation des loyers de 7 % sur deux ans (3,5 % au 1er janvier 2023 et 3,5 % au 1er janvier 2024). « Dans le parc privé, c’est pire, poursuit le président de la CNL. L’augmentation correspondant à l’IRL du 1er trimestre 2022 (2,48 %) s’applique au bail anniversaire. Il faudra ensuite y ajouter les 3,5 %. Et dans tous les cas, l’augmentation de l’APL (3,5 %) sera insuffisante pour compenser. D’ailleurs, tout le monde ne la touche pas, à l’image des smicards. Le plafond de salaire, pour y avoir droit, devrait être relevé à 1 500 euros. » Pour la CNL, le taux de revalorisation des loyers devrait être de 0 % en 2022 et en 2023. Ainsi, et toujours sans préjuger de la capacité d’Olivier Klein à traiter ses dossiers, Eddie Jacquemart s’interroge sur sa possibilité de discuter, voire de se battre avec Bercy et à persuader le ministre de l’Économie de revoir sa copie. Sauf que, en l’occurrence, le ministre de tutelle n’est pas Bruno Le Maire mais Christophe Béchu qui, lui, est responsable de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. On devine dès lors que la mission confiée au maire de Clichy-sous-Bois ne sera pas facile du tout. Les dossiers sont lourds et nombreux. Dès son arrivée à l’Élysée, en 2017, Emmanuel Macron s’en était pris au logement. Les mesures contre les APL, présentées comme devant être au plus près des besoins des locataires, relevaient en fait d’une politique budgétaire. Elles ont permis d’économiser 15 milliards d’euros en cinq ans. Les jeunes, notamment, en ont fait les frais.
Une crise du logement à régler
Mais les APL n’étaient que l’arbre masquant la forêt. La loi Élan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) était entre autres sensée relancer la construction de logements. Aujourd’hui, la construction de logements sociaux est en berne. « On compte actuellement deux millions de demandeurs de logements sociaux. Et encore, il y a tous ceux qui ne font pas de demande, découragés par le délai, environ huit ans, qui leur est imposé. » Parmi ses dossier, Olivier Klein a donc à régler une grave crise du logement. « Il lui faudra aussi parler avec les représentants des locataires et non pas seulement avec les propriétaires. Il lui faudra donner les moyens aux organismes de construire du logement abordable et cesser d’aider le secteur privé en leur accordant des millions d’avantages fiscaux. Il doit au contraire restaurer l’aide à la pierre. » La feuille de route du ministre est énorme. Encore faut-il que les dés ne soient pas pipés.