Catastrophe de Rouen

La fumée n’en finit plus de s’étendre

par Franck Jakubek
Publié le 4 octobre 2019 à 20:18

Jeudi 26 septembre, les Rouennais se sont réveillés face à l’enfer. Le ciel obscurci par un nuage gigantesque masquant le ciel et l’horizon. L’usine Lubrizol est la proie des flammes à la grande stupéfaction de tous. Depuis, le feu est éteint, l’heure est aux interrogations. Notre région est aussi concernée.

Les pompiers à l’œuvre dans des conditions difficiles sont finalement venus à bout des flammes en 24 heures. Parmi les premières questions viennent automatiquement celles concernant la sécurité sur un site classé Seveso. Un incident en 2013 dans le même établissement, une fuite d’un marqueur pour gaz de ville, n’a pas eu de conséquences sur l’entreprise à l’époque, sous prétexte qu’il s’agissait d’un produit non toxique - ce qui s’est avéré faux par la suite -, l’affaire s’est terminée devant le tribunal de police et s’est conclue par une simple amende, légère vu la taille du groupe. Il s’avère qu’ici, la préfecture a fait le choix d’une extension en matière de stockage quelques temps avant l’accident qui n’a eu pour l’instant que des conséquences matérielles.

Cependant, parmi les « dysfonctionnements » constatés notons plus particulièrement l’absence d’évacuation de gens du voyage, dont les enfants sont scolarisés à proximité. Logés à quelques centaines de mètres, sur un terrain sans lieu de confinement, ils n’ont eu comme refuge que leurs caravanes. Les masques portés par les forces de police à proximité du site ont inquiété aussi les riverains n’ayant pour toute protection que les modestes masques anti-microbes achetés dans les pharmacies aux stocks vite épuisés.

Rouen se remet peu à peu

Pas de blessés, peu d’hospitalisation signalées directement à cause de la catastrophe. À part justement parmi les soldats du feu dont certains se plaignent de migraines, de vomissements et de problèmes aux pieds dus aux liquides divers et toxiques répandus sur le site. Alice, aux premières loges lors de l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, n’avait pas souffert alors malgré son asthme du terrible feu ravageant la cathédrale. Cette fois-ci, les odeurs d’hydrocarbures étaient incommodantes et elle ne cache pas qu’elle a ressenti quelques picotements et maux de gorge. Une légère gêne respiratoire dont elle a pu cependant vite se débarrasser grâce à son traitement. Elle s’interroge maintenant sur les lenteurs de transmission des infos et sur la qualité de l’air à l’intérieur de son appartement. Tout comme Pauline, jeune maman, qui elle aussi regrette de ne pas avoir reçu plus tôt d’informations concrètes des autorités et s’interroge sur l’eau. Rouennaise depuis peu, elle n’a pas ressenti de gêne particulière mais a bien respecté les consignes de confinement.

21 septembre 2001 : AZF explose
Près de 400 tonnes de nitrate d’ammonium déclassé explose à 10h17 précises. Le bruit de l’explosion s’entend à 80 km à la ronde. On relèvera 31 morts et plus de 2 500 blessés. L’usine de Grande Paroisse à Toulouse, se trouve à proximité du centre-ville. Le choc est immense dix jours après le 11 septembre et la thèse de l’accident est celle qui prévaudra au regard de l’enquête approfondie menée par les services de l’État.
Gilles Bouly, artiste graphiste polymorphe, habite alors quasiment en face de l’usine au moment des faits. Cette sérigraphie est un des nombreux fruits de son travail artistique autour de cette catastrophe

Dans le Pas-de-Calais, loin de Rouen, mais au cœur des préoccupation sanitaires, Jean-Louis Fossier est tout aussi vigilant, mais pour d’autres raisons… «  Au conseil municipal lundi soir, je suis intervenu sur l’accident de Rouen pour indiquer ma certitude qu’un accident similaire avec incendie spontané par contact de substances incompatibles peut intervenir - il y en a déjà eu un - à Sotrenor Courrières, une usine de stockage et d’incinération de déchets industriels classés Seveso. J’ai une nouvelle fois interpellé le maire pour qu’il accepte enfin de relayer les inquiétudes de la population et les propositions du PCF (voir encadré)  ». Le maire a agité en réponse la crainte de la psychose à Courrières. «  Un argument massue qu’il ressort à chaque fois » déplore le conseiller municipal PCF. Il soulève pourtant le vrai danger de ce type d’installation, l’ignorance des populations, voire des autorités.

En matière agricole, les débats sur le glyphosate à proximité des habitations est relégué en arrière plan par le phénomène que provoque l’incendie de Lubrizol. Les premiers dégâts sont visibles mais épars. Des poussières, des suies, des débris de plaques de fibro-ciments, des coulées sombres et huileuses sur les toitures, les bâches, les champs ou les récoltes. D’où un premier communiqué des autorités demandant aux habitants de prendre des mesures de précaution avant toute consommation d’un produit alimentaire ayant pu être en contact avec des retombées. Les mesures de consignation sont à l’œuvre désormais dans certaines commune

L’environnement sensible au capital

Dans l’Aisne, par exemple, c’est le cas pour 14 communes où un arrêté a été pris par la préfecture pour le lait, les œufs, le miel et les productions végétales. Du côté des agriculteurs, le préjudice est important et déjà la question de la prise en charge financière par l’État est posée. Mathieu, apiculteur, ne constate pas de dégâts «  a priori  ». Ses ruches ne seraient pas sur le parcours des fumées. Ses récoltes sont faites mais il anticipe sur la suite. « Sur le plan réglementaire, il est précisé les communes concernées par les restrictions de mise sur le marché et leurs conditions. Charge à l’exploitant, par exemple, de procéder à des auto-contrôles. Questions : qui va réellement s’astreindre à ces auto-contrôles ? Qui va payer les analyses ? Le texte impose des mesures aux “exploitants agricoles” ; quid des apiculteurs amateurs qui commercialisent leur production ? »

Dans la Somme, 39 communes sont visées par l’arrêté incluant aussi les élevages et toute production animale. La question du fourrage est posée. À laquelle s’ajoute la gestion de l’eau et l’infiltration des eaux pluviales. Nombre de producteurs en bio ou en transition sont maintenant dans l’expectative.

Tous les textes sont disponibles sur les sites des préfectures, de la DREAL ou des chambres d’agriculture. Aisne : Omissy, Bohain, Hannapes, Saint-Quentin, Brancourt, Beaurevoir, Sissy, Thenelles, Grougies, Le Nouvion, Buironfosse, La Capelle, Hirson et Vervins. Nord : Villereau et Douai.