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Débat

La gauche du travail vs la gauche des allocs

par Laurent Brun
Publié le 16 septembre 2022 à 15:51

Faux procès ou vraie ligne de rupture ? La polémique déclenchée par les propos du Secrétaire national sur le travail pour tous et contre la dépendance pérenne aux aides et autres allocations marque une vraie différence entre une ligne défendue depuis toujours par le parti communiste, et une autre qui se préoccupe plutôt de l’aide que l’on accorde -de plus en plus difficilement- aux privés d’emploi. Nous publions un texte de Laurent Brun qui, à notre sens, livre une analyse pertinente de la question.

Gauche des Alloc ou gauche du travail ?

Laurent Brun
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Au delà des polémiques stériles et pas interessantes, ce débat est presque aussi vieux que le mouvement ouvrier. Et il éclaire une partie du clivage entre réformistes et révolutionnaires. Les uns voulant « aider », les autres voulant « résoudre ». Le clivage n’est pas forcément indépassable car il peut y avoir des alliances objectives entre les deux (et il y en a eu plein dans l’histoire sociale de notre pays). Ce n’est donc pas parce qu’il y a confrontation d’idées, que des alliances sont impossibles. Mais il est toujours utile de clarifier le point de vue révolutionnaire, pour éviter les usurpations, les fourvoiements ou les impasses. Je n’ai pas la prétention de définir le point de vue révolutionnaire. Mais je vais essayer d’en dire ce que j’en comprend pour contribuer à la réflexion collective. Les militants ouvriers se sont toujours battus pour le salaire, c’est l’élément central de l’affrontement capital/travail.

De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.

Il s’agit bien sûr d’obtenir un salaire qui permette de vivre dignement (pouvoir se loger, manger correctement, se vêtir, se soigner, accéder au transport, etc...) mais pas seulement. Il s’agit de récupérer tous les fruits de notre travail donc avoir les moyens de vivre le mieux possible, notamment en accédant à des choses que les capitalistes voudraient nous faire concevoir comme superflus (le confort, la qualité des produits consommés, l’accès à la culture, au sport, aux loisirs, au temps libre, le droit aux vacances, etc...). Par conséquent, même quand on se bat pour une protection face à des situations spécifiques (maladie, vieillesse, chômage), on défend un revenu de remplacement complet, financé par les cotisations sociales, plutôt que des aides diverses.

De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. C’est universaliste et maximaliste. Au passage, on défend aussi la gestion ouvrière de ces sommes : puisque le salaire appartient au salarié, c’est à lui seul de gérer la partie qu’il socialise pour couvrir les risques de la vie. Mais alors pourquoi revendiquer un travail pour tous ? Pourquoi ne pas juste demander un revenu pour tous (universel, de base, d’existence) déconnecté du travail ? L’argument souvent utilisé c’est la productivité énorme générée par les nouvelles technologies qui réduirait drastiquement le besoin de travail humain et donc qui imposerait d’accepter la privation de travail d’une partie de la population. Par effort de justice on créerait donc un revenu pour les inactifs. Mais le chômage n’est pas lié aux progrès techniques. Le chômage de masse n’apparaît pas avec l’invention de la machine à vapeur ou de l’ordinateur. Le chômage est une construction économique lié à une mauvaise allocation des ressources guidée par la profitabilité. Le chômage de masse apparaît avec l’accélération de l’exploitation du travail, issue des politique néolibérales des années 70. Si ce n’était plus la profitabilite qui guidait la répartition du travail alors on pourrait le partager en réduisant le temps de travail, on pourrait changer la nature des productions (disparition du luxe mais réponse aux besoins sociaux comme les emplois dans les hôpitaux, les écoles...), on pourrait re-localiser les productions, etc. L’accès à un travail pour tous serait une réalité. Donc il faut s’attaquer à l’organisation du travail et à sa répartition. C’est pour cela que les communistes proposent la sécurité d’emploi et de formation. Pour moi, le salaire pour tous, c’est ceux qui veulent « aider ». L’emploi pour tous, avec un bon salaire, c’est ceux qui veulent « résoudre ». Pour terminer, ceux qui défendent les allocations existantes, ne sont ni ceux qui veulent « aider », ni ceux qui veulent « résoudre ». Ils sont de droite et défendent une logique de charité :on ne donne pas assez pour vivre car le bénéficiaire doit avoir honte de sa situation. Quand le RSA est créé (promu par Martin Hirsch et mis en place par le gouvernement Fillon/Sarkozy), ce n’est pas par souci de justice sociale, ce n’est pas pour sortir de la misère les gens en situation de chômage total ou partiel, et ce n’est pas à la suite d’une lutte qui leur aurait imposer un compromis. Le 1er avril 2021, le RSA socle s’élève à 565,34 euros pour une personne seule. Qui peut imaginer qu’on peut vivre correctement avec ça ??

Un horizon non acceptable

Il ne s’agit pas de le supprimer à ceux qui en bénéficient. Il s’agit de dire que ça ne peut représenter en RIEN un horizon ou une situation acceptable. Les communistes proposent la sécurité d’emploi et de formation. Autrement dit, on met en œuvre le droit au travail de 1871, inclus dans notre Constitution mais jamais appliqué. Chacun a le droit à un travail stable et bien rémunéré, et pour faire face aux restructurations technologiques sans passer par le mécanisme du chômage, on crée des transitions par des périodes de formation qui n’interrompent ni le salaire, ni l’acquisition et le maintien des droits liés au travail. Ce n’est pas suffisant pour transformer complètement la société. Mais c’est nécessaire. Et ça ne veut pas dire qu’on attend cela en laissant mourir les chômeurs. On se bat à leurs côté contre la réforme de l’intermittence, contre la réforme de l’indemnisation chômage, etc... en revanche notre action ne s’arrête pas là. Notre ambition va au delà. Il me semble que c’est le débat que veut lancer Fabien Roussel. Et personnellement je me retrouve plutôt bien dans la gauche du travail.

S’il tente aujourd’hui de se défausser, François Ruffin ne pas vraiment autre chose que Fabien Roussel. Nous avons d’ailleurs pu le constater en l’écoutant aun lmicro de France Inter, avant la Fête de l’Humanité et donc avant les propos tenus par Fabien Roussel sur le travail et les effets pervers des allocations et du RSA. « Nous sommes d’accord sur le diagnostic, mais pas sur l’horizon », dit en substance le député LFI. Ce dernier veut, « rassembler par-delà les frontières sociales, d’origines, ou géographiques. Ajouter et non pas retrancher. » Il précise bien : « Nous avons un bloc social à construire, aujourd’hui traversé par un double divorce : les classes intermédiaires et les classes populaires. Et au sein des classes populaires, celles des quartiers et des campagnes.  » A l’heure où l’extrême droite fait montre de poussées dangereuses en France, mais aussi en Suède et en Italie, il est temps de parler aux classes populaires et de s’intéresser vraiment à elles. Or, pour les personnes privées d’emploi et sans cesse stigmatisées, il importe de considérés qu’ils ne doivent justement pas être des assistés. C’est là qu’il ne faut pas laisser perdurer une rupture entre ceux qui gagnent peu tout en se levant tôt et ceux que l’on va montrer du doigt parce qu’ils ne se lèvent plus, parce qu’ils n’ont plus envie. Encourager au travail pour tous, avec un bon salaire et de bonnes perspectives de vie n’est pas un discours de droite. C’est un discours de gauche. Dans la tribune qu’il a confiée au Monde, Fabien Roussel pose précisément le débat. La grande ambition qui devrait rassembler la gauche consiste à éradiquer le chômage, car «  le chômage tue et bousille les vies. Il fait basculer des familles entières dans la pauvreté. Il instille partout le venin de la division entre ceux qui ont un emploi et ceux qui en sont privés (...) On sait intuitivement que le chômage est ‘’l’armée de réserve’’ du capital, comme le disait si bien Marx.  »

Philippe Allienne