Spécial Habitat

« La loi Elan est un instrument de privatisation »

Entretien avec Eddie Jacquemart

par Philippe Allienne
Publié le 5 novembre 2020 à 17:41 Mise à jour le 6 novembre 2020

Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, les attaques contre le mouvement HLM et le modèle français de logement social s’accélèrent à vitesse grand V. Le point avec le président de la Confédération nationale du logement (CNL).

Comment Emmanuel Macron s’est-il attaqué au modèle français de logement social ? Le premier ministre du Logement du gouvernement Philippe a été Richard Ferrand.

On s’en souvient peu parce qu’il fut un ministre éphémère (du 17 mai au 19 juin 2017). Avant d’être remplacé par Jacques Mézard à la Cohésion des territoires et Julien Denormandie comme secrétaire d’État au Logement, il avait déclaré qu’il n’y aurait pas de grande loi sur le logement. Nous craignions alors le pire et le pire est arrivé peu après, avec le projet de refonte massive du logement social. Dans l’idée du président Macron, il n’est pas possible de laisser 20 milliards de loyer administré (dans le logement social) échapper ainsi au secteur privé et libéral.

Cela commence par la réforme de l’APL et la baisse de 5 euros.

Voilà. Pour faire compenser la baisse de l’APL, le gouvernement met en place la Réduction du loyer de solidarité (RLS).Elle devient applicable dans le parc social à compter du 9 janvier 2018. En fait de solidarité, la baisse de l’APL revient à économiser 2 milliards d’euros pour l’État et à faire payer les bailleurs sociaux via la RLS. À partir de là, le gouvernement assèche les trésoreries des organismes HLM.

La baisse des APL et la RLS ne sont qu’une première étape avant la loi Elan.

Avec la loi Elan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) qui est présentée dès le 4 avril 2018 avant d’être promulguée le 23 novembre 2018, il s’agit de mettre en place une réforme structurelle du secteur du logement social. En fait, il s’agit tout simplement de poursuivre la libéralisation du secteur. Avec l’attaque contre les APL, la diète imposée aux bailleurs et la loi Elan, c’est la fin du modèle social des HLM qui est visée.

Face à la grogne des bailleurs sociaux, le gouvernement a proposé une « clause de revoyure » pour alléger les conséquences. L’USH se félicite de l’avoir signée. Vous êtes toujours en désaccord sur ce point ?

Face aux attaques gouvernementales, le Mouvement HLM a opposé une résistance. Mais après la colère affichée lors du congrès de Strasbourg, en 2017, l’opposition a commencé à s’étioler et effectivement, l’USH a signé des accords dans le dos des locataires. Les plus résistants ont été les offices publics de l’habitat, mais cela n’a pas suffi.

Entre autres nombreuses mesures, la loi Elan prévoit la fusion des petits organismes de moins de 12 000 logements. Où en est-on ?

En fait, pour l’instant les petits offices peuvent continuer à exister grâce à la création de sociétés anonymes de coordination (SAC) qui sont des outils de regroupement des organismes de logement social, des sortes de holdings. C’est moins grave qu’une fusion, mais les décisions sont prises par la maison mère (la holding). Sur le plan de la représentation démocratique des locataires, il y a des conséquences. La CNL a perdu de nombreux élus dans les SA de HLM. Une centaine environ. C’est bien l’un des objectifs de ce gouvernement qui vise à retirer des outils et des pouvoirs aux locataires. Mais c’est aussi une façon de s’attaquer aux maires. Il leur retire la taxe d’habitation et leurs outils de proximité. Avec la loi Elan, il a vraiment créé les outils d’une privatisation du logement social avec la disparition programmée des offices publics.

La crise sanitaire freine-t-elle le mouvement ?

Pas du tout. L’actuelle ministre du Logement, Emmanuelle Wargon a bien affirmé son intention de poursuivre la réforme malgré la crise.

La loi Elan prévoit également la vente de logements sociaux. Où en est-on ?

Il s’avère difficile de vendre les logements à l’unité. Alors, le gouvernement a trouvé une astuce. Il a créé un opérateur national de vente (ONV) en ponctionnant de l’argent sur le 1 % logement. Ce n’est pas l’argent de l’État ! Le principe est que cet organisme achète en bloc des immeubles à des bailleurs. Ces derniers passent une convention de gestion afin de demeurer gestionnaires de la résidence. Ainsi, les 40 000 logements par an qui doivent être vendus ne le sont pas à l’unité.

Parce que le gouvernement ne veut plus mettre d’argent dans l’aide à la pierre ?

La politique du gouvernement est de dire aux bailleurs : si vous voulez construire, vendez une partie de votre parc. L’objectif est de ne plus mettre un centime dans le logement social. Pour l’instant, les ventes en bloc n’ont pas commencé. Mais pour accélérer le mouvement, l’ONV paie comptant aux bailleurs. Sauf qu’il le fait avec l’argent des salariés.