En grève depuis le 21 décembre

La police scientifique clame la réalité de son métier

par Philippe Allienne
Publié le 14 février 2020 à 17:49

En plein conflit sur la réforme des retraites, les « experts » de la police technique et scientifique réclament un statut qui reconnaisse la pénibilité de leur travail. À ce jour, ils sont considérés comme des sédentaires.

Voilà, encore un aspect de la réforme des retraites qui reste dans le flou et l’ombre du projet gouvernemental. La fonction publique distingue deux catégories d’agents : les sédentaires (comme les fonctionnaires de la Direction générale des finances publiques ou de la Bibliothèque nationale de France) et les catégories actives (égoutiers, police municipale, pompiers...). Les catégories actives regroupent des métiers qui se caractérisent par leur pénibilité, voire leur dangerosité. Le projet de réforme des retraites prévoit d’abolir la catégorie active et, par voie de conséquence, de ne plus reconnaître la pénibilité, un des points de crispation du conflit en cours.

Grève illimitée

Or, les fonctionnaires de la police technique et scientifique sont classés dans la catégorie des sédentaires. Eux qui aspirent à obtenir le statut d’actifs pour justement faire reconnaître la pénibilité de leurs missions ont vu rouge en prenant connaissance du projet de réforme. Dès le 5 décembre, ils étaient dans la rue avec les autres professions pour la première manifestation contre le projet. Le 21 décembre, ils ont souligné leur spécificité et ont déposé un préavis de grève illimitée.

Une action difficile d’autant qu’ils ne disposent pas de caisse de solidarité pour les grévistes. Alors, ils ciblent leurs actions. Des actions d’autant plus difficiles à mener qu’ils sont peu nombreux : 2 600 sur le territoire national (DOM-TOM compris), dont 1 750 qui travaillent sur le terrain et 850 en laboratoires. Dans les Hauts-de-France, ils sont 375 au total avec une forte concentration dans la métropole lilloise.

La pénibilité concerne surtout les policiers de terrain. Dans la région, ils l’ont fait savoir lors d’une action à Lille, place de la République, ce mercredi 12 février. Face à la préfecture, et à quelques pas de la police judiciaire et du laboratoire scientifique, ils ont organisé une réplique de scène de crime délimitée par le ruban jaune de la police nationale. Mannequin représentant un cadavre ensanglanté, (fausses) mains humaines sectionnées, objets divers, etc.

Tout pouvait évoquer une scène de série télévisée. Sauf que la réalité de ces policiers très spécialisés est bien là. « Nous sommes des scientifiques, pour certains ingénieurs. Nous ne sommes pas formés au self défense et bien évidemment, nous ne sommes pas armés » ,explique Xavier Depecker, secrétaire national du Syndicat national indépendant des personnels administratifs, techniques et scientifiques (Snipat).

Travailleurs isolés

Or, l’intervention sur le terrain ne ressemble pas forcément à ce que l’on voit dans les séries télévisées. « Pour ce qui concerne la petite et moyenne délinquance, nous sommes des travailleurs isolés. Il faut savoir que lorsque nous arrivons sur le terrain, les auteurs sont parfois encore là. Ou alors, il leur arrive de revenir. Et nous sommes bien identifiés policiers. » Fin novembre 2019, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a promis de créer un groupe de travail sur la sécurité de la police scientifique. Depuis, c’est le silence.

500 km de tripes

Le temps de travail est de 40 h 30 par semaine. Comme le crime n’attend pas, un service de police scientifique doit tourner 24 h sur 24, ce qui suppose des astreintes, donc des heures supplémentaires. Mais les policiers peuvent aussi être appelés en dehors de leurs heures de travail. Ce peut être pour effectuer des prélèvements sur une scène de cambriolage ou sur une scène de crime. Si le policier est appelé dans la nuit, il pourra terminer sa mission à 4 h du matin. Mais dans ce cas, comme il est « sédentaire » ,il doit être présent au bureau dès 8 h.

Les prélèvements sur les scènes de crime ou de délinquance sont le quotidien. Il faut compter une intervention chaque minute en France. Il y a aussi les analyses en laboratoire le visionnage de vidéos pédo-pornographiques, etc. « La fatigue est réelle. Notre métier n’a rien à voir avec les réalités d’un emploi de comptable ou de secrétaire » , dit encore Xavier Depecker. Fatigue, physique, fatigue psychologique dangerosité, pénibilité. Sur une affichette, accrochée lors de la manifestation du 12 février, on pouvait lire : « J’ai vu plus de 500 km de tripes et je ne suis pas boucher. » Une demande de reconnaissance, toujours.