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TÉMOIGNAGE

La voix qui monte des fers parle aux hommes de demain

Bel hommage en ce 25 septembre aux 218 martyrs de la barbarie nazie fusillés dans les fossés de la Citadelle d’Arras.

par Alcide Carton
Publié le 30 septembre 2022 à 15:57

Quelques rayons d’un pâle soleil d’automne éclairent ce matin ce profond fossé de la Citadelle d’Arras devenu un haut lieu de la mémoire arrageoise abritant les 218 plaques à l’honneur des résistants patriotes qui y furent exécutés pendant les heures noires de l’occupation et qu’envahissent progressivement, aujourd’hui, les mousses et les lichens. Autant que j’ai l’ai pu, depuis mon passage à l’École Normale, j’ai honoré de ma présence la cérémonie automnale qui leur est dédiée et, faisant visiter à des amis éloignés ou étrangers ma belle ville, je termine toujours mon parcours par ces lieux. Mon « Nord », terre d’accueil, de labeur et de résistance n’a jamais si bien porté son nom qu’ici et, en franchissant l’imposante grille, je songe, envahi par l’émotion et le respect à ces 218 patriotes tombés ici sous les balles nazies dans ces petits matins gris de l’hiver où dans la lumière de nos soleils d’été pour que « Vive la France » et que leurs enfants vivent enfin des jours heureux dans la liberté et la fraternité. Mes yeux qui parcourent ces plaques -que je connais presque par cœur- se brouillent et mon corps se glace devant celle de Julien Delval, 16 ans et demi, l’âge de me petits-enfants… Qu’en est-il advenu des idéaux qu’ils défendirent jusqu’au sacrifice de leur jeune vie ? De la déclaration des droits de l’homme et de la révolution socialiste qui conjuguerait justice sociale et fraternité ? Ce matin, la radio hypocrite feint de s’émouvoir du futur accès des néo-fascistes thuriféraires de Mussoloni à la tête de l’Italie. Qu’a fait l’Europe, depuis Maastrich pour éviter la guerre, aujourd’hui à nos portes par l’entêtement des fauteurs de guerre plus soucieux de la redistribution des richesses et des profits que de la vie des peuples ? Que se passe-t-il donc dans mon propre pays, dans « mon Nord » qui semble aujourd’hui oublier ses racines ouvrières et révolutionnaires ? Tout cela se bouscule dans ma tête à me donner le vertige. Leur sacrifice n’aurait-il servi de rien ? Je ne puis m’y résoudre. Et c’est pourquoi je suis là. J’ai rejoint le carré silencieux des fidèles comme moi de la mémoire. Je salue d’un sourire les visages amis et ceux de la jeune génération. Sur l’estrade, les représentants de l’ANACR du Pas-de-Calais procèdent à l’appel des personnalités. Le préfet est représenté par son secrétaire général en uniforme. La gendarmerie est présente, la région militaire absente. Il y a aussi les élus représentant le conseil régional et départemental, la députée et la sénatrice de la circonscription. Seul le maire d’Arras est ceint de tricolore. « Ne sois pas vieux jeu me dit mon petit-fils, il faut vivre avec son temps ». Je ne me fais toujours pas à l’absence des symboles. Nos martyrs ont donné leur vie pour ces couleurs ?

« Soyez fiers de notre combat »

Grand moment d’émotion toutefois, quand les représentants de l’ANACR, maîtres d’ouvrage de la manifestation, lisent deux lettres de fusillés écrites dans les heures qui précédèrent leur exécution. « Soyez fiers de notre combat  » nous disent-ils par leurs mots remplis de dignité de courage et d’amour. « Je leur montrerai comment meurt un Français » écrivit l’un eux. Vint ensuite la lecture de la longue liste des résistants suivie de la mention «  morts pour la France.  » Et par-delà la solennité du moment, il nous fut rappelé qu’ils étaient employés, enseignants, agriculteurs, commerçants, mathématicien pour l’un d’entre eux, et mineurs dans leur immense majorité (130 sur 218). 146 étaient communistes et combattaient au sein des FTPF. « Communistes pas Français  », «  pantins moscoutaires », disait-on à l’époque ! Mais «  morts pour la France  », néanmoins, pas celle des compagnies minières et de l’État collaborateurs qui contribuèrent dans bien des cas à leur arrestation, non, mais celle des travailleurs, de Ferrat et qui répond toujours de Robespierre. Le mot mineur, camarades, ! Quelle corporation ! Elle a payé chèrement sa grève patriotique de mars avril 1941, véritable humiliation pour ce Reich triomphant : Le Mur des fusillés en est le témoin et le triste rappel ! Moi, fils et frère de mineur, je vous salue, en ce lieu.

L’internationale

Ceux qui sont tombés ici, dans l’honneur, non seulement luttaient pour libérer le pays, mais pour que naissent des jours heureux, «  des jours d’épaules nues où les gens s’aimeraient  » (disait Aragon, lui-même grand résistant) et en finir avec le racisme, la haine raciale, l’antisémitisme, et l’exploitation sans limites par un capitalisme « préférant Hitler au front populaire. » C’est en substance ce que nous rappela la déléguée nationale de l’ANACR clôturant les prises de parole. Après l’appel aux drapeaux, dans le silence respectueux dû à ce lieu, le maire de Grenay, Christian Champiré, a entonné l’Internationale. Et à cette ferme voix, qui venait du fond des corons miniers, répondirent en écho, celles de la foule assemblée rappelant à chacun que nos martyrs l’entonnaient dans leurs cellules ou face au peloton, « finissant ainsi la Marseillaise pour toute l’Humanité ». Merci Monsieur le Maire.

Que l’histoire n’échappe pas à nos mémoires

Au retour, réconforté par l’initiative de notre édile grenaisien, je restai cependant sur ma faim. Certes, on rappela par l’éloge que lui fit la précédente préfète, qui fut Pascaline Vandorme, dernière résistante encore vivante et qui s’est éteinte dernièrement. Jusqu’au crépuscule de sa vie, elle alla à la rencontre des lycéens pour que la mémoire de la Résistance ne s’effaçât point en entrant dans l’histoire. Que son exemple nous inspire. Il y a tant de re-visiteurs de celle-ci aujourd’hui qui aimeraient jeter ces belles pages ouvrières dans les poubelles de l’oubli. Aussi je suggérerais quelques modestes pistes.

  • Monsieur le Préfet, de grâce, au nom des mes 218 frères morts, pourriez-vous rappeler aux différents corps de l’État leur indispensable présence à la commémoration de ce lieu qui rassemble dans toute la France, le plus de résistants fusillés par les nazis.
  • Monsieur le Préfet, de grâce, ces 218 combattants de l’ombre, « morts pour la France », par votre voix, ne pourraient-ils avoir le témoignage annuel de la reconnaissance de l’État ? Cela se fait d’entre d’autres lieux. Vous fûtes bien silencieux, ce dimanche.
  • Monsieur le Préfet, de grâce, pourriez-vous solliciter la présence de Madame la Rectrice d’Académie, tant l’école compte beaucoup pour enseigner l’histoire – toute l’histoire @à nos jeunes générations.
  • Madame la Rectrice, de grâce, auriez-vous l’obligeance, en lien avec l’ANCR et le concours national de la Résistance et de la déportation, d’encourager vos inspecteurs et vos professeurs à assurer la présence de délégations lycéennes en ces lieux ?
  • Mesdames et Messieurs les élus ne serait-il pas temps, à deux ans du 80e anniversaire de la Libération d’accorder un « coup de jeune » à ce haut-lieu de l’Histoire de notre région, de notre département et ma belle ville ? Aujourd’hui, si, à la disparition des derniers survivants, notre « Mur des Fusillés » entre dans l’Histoire, faisons en sorte que celle-ci n’échappe pas à nos mémoires.

La voix qui monte des fers parle aux hommes de demain (Louis Aragon).