8 mars

Le combat éternel des femmes algériennes

par Philippe Allienne
Publié le 13 mars 2019 à 17:59 Mise à jour le 8 mars 2019

Ce 8 mars, consacré « Journée internationale des droits des femmes », donne lieu à une multitude d’initiatives dans le monde. Les deux femmes dont nous avons recueilli le témoignage observent cette journée à travers l’actualité algérienne.

Rencontre impromptue sur le campus de l’université de Lille 1, à Villeneuve d’Ascq. Ouassila Lafri, la cinquantaine, se souvient des nombreuses marches auxquelles elle a participé, à Lille, durant les années 90. Elle militait alors contre les crimes des intégristes qui avaient plongé l’Algérie, son pays natal, dans un bain de sang. Face à elle, Mélissa Mahmoudi, 27 ans, ne peut se souvenir de cette période. Elle est née en 1992, année où le président Boudiaf est mort assassiné pour avoir voulu s’attaquer à la corruption. Vivant en France depuis trois ans, elle observe la rue algérienne et demeure partagée entre circonspection et espoir.

La lutte des années 90

Dès la guerre d’indépendance (du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962), les femmes algériennes ont joué un rôle essentiel. Mais très vite, l’Algérie nouvelle les a renvoyées, pour la plupart, dans leurs foyers ou dans la vie associative. Pas ou très peu de place pour elles aux postes de direction. Les choses se sont aggravées dans l’Algérie de l’après Boumediène avec, notamment l’instauration d’un code de la famille qui ramenait les femmes au rang de mineures à vie. Elles se sont battues avec acharnement contre cette loi qui, depuis, s’est « un peu assouplie ». Après la révolte de 1988 et, durant la décennie noire qui a suivi, elles étaient en première ligne pour manifester contre l’intégrisme. Et puis, l’arrivée du président Bouteflika à la présidence, en 1999, a bouleversé la donne. La réconciliation et la concorde civile ont éteint les protestations du peuple algérien. Jusqu’à aujourd’hui.

Ouassila Lafri se souvient des nombreuses marches auxquelles elle a participé, à Lille, durant les années 90. (photo Philippe Allienne)

Cela n’a pas échappé à Ouassila, la militante des années 90. « Je me rends en Algérie deux à trois fois par an, confie la Roubaisienne. La dernière fois encore, en octobre 2018, j’étais atterrée. Pour moi, c’était mort. Personne ne réagissait à rien ». Aucun rapport avec l’Algérie vivante et rebelle qu’elle aime. Mélissa est abasourdie par la confirmation de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat. Pourtant, Ouassila perçoit « une petite lueur en écoutant les chansons de stade, des chants populaires à travers lesquelles se disent beaucoup de choses ». « On y parle du bled et de la lassitude des gens, rapporte Mélissa. Sauf que les femmes doivent se contenter des enregistrements. Car elles n’ont pas le droit de se rendre au stade pour voir un match de foot ! De la même façon, les femmes doivent s’habiller pour se baigner sur les plages publiques. »

Sans violence

Il n’empêche, d’autres signes positifs émergent des manifestations actuelles. « Les jeunes crient franchement qu’ils en ont marre, et ils le font sans céder aux violences et à la provocation. Même dimanche soir, 3 mars, après l’annonce officielle de la candidature, ils sont redescendus dans la rue et cela s’est bien passé ». Mélissa note que les slogans parlent des femmes. « Cela veut dire que ça bouge. » Au départ, pour la première manifestation, un vendredi (jour de prière), elles étaient toutes deux dubitatives : le vendredi, c’est pour les hommes, c’est pour les mosquées.

Alors que la tentative de printemps arabe algérien avait fait long feu et en sachant que les soulèvements populaires n’ont jamais débouché sur une société qui se libère d’un système qui ne profite qu’au pouvoir et aux affairistes, le cinquième mandat sera-t-il la goutte qui fait déborder le vase ? « Ce système tient depuis 60 ans, dit Ouassila. Si les précédentes tentatives de soulèvement n’ont pas abouti, c’est que le peuple n’était pas prêt. Les jeunes aujourd’hui semblent conscients et déterminés. Comme si la génération des années 90, leurs parents, avaient su, même sans le vouloir, leur transmettre la force et la volonté nécessaire pour changer la société sans refaire basculer le pays dans la violence ».

A la veille de ce vendredi 8 mars, en Algérie, on annonçait un chiffre pharaonique de manifestants. Avec cette demande adressée aux hommes : laissez s’exprimer vos filles et vos épouses !

A SAVOIR : Rassemblement place de la République à Lille, ce vendredi 8 mars à 18 heures, contre le cinquième mandat de Bouteflika.