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Marine Tondelier, conseillère régionale des Hauts-de-France

« Le symbole de la réussite des jeunes ne doit plus être leur départ »

Publié le 10 mars 2023 à 11:54


Liberté Hebdo : Comment créer un fort sentiment d’appartenance dans une région où apparaissent des dichotomies fortes, comme par exemple entre le Nord et la Somme ? Marine Tondelier  : Si on se réfère aux chiffres du sondage, on voit que les jeunes affichent un sentiment d’appartenance conséquent à la région. Pourtant, quand les Hauts-de-France ont été créés, nous trouvions l’opération étrange. L’Oise et la Somme sont plutôt tournés vers Paris, tandis qu’aller de l’ex-Picardie à l’ex-Nord-Pas-de-Calais en train reste compliqué. On ne pourrait donc ne pas en vouloir aux jeune Ch’tis et aux jeunes Picards de ne pas se sentir particulièrement attachés à leur nouvelle région. Le fait que de nombreuses activités économiques et culturelles soient centralisées dans la seule métropole lilloise n’arrange pas les choses.

LH : Le sondage fait apparaître que les jeunes les plus diplômés sont les plus optimistes quant à leur avenir. En revanche, ceux de l’Aisne ou du Pas-de-Calais sont les plus pessimistes et les moins diplômés. Comment recréer de la cohésion sociale ? MT : Cela peut et doit passer par des politiques de justice sociale et d’égalité. Quand vous habitez Hénin-Beaumont, vous avez cinq années d’espérance de vie en moins par rapport à un Parisien. Les habitants subissent la pollution des sols, la pollution industrielle et la précarité tue dans l’indifférence générale. Ici, on sait ce que veut dire placer la valeur travail au-dessus de tout, y compris de l’environnement et de la santé. J’ai d’ailleurs déposé une motion à la Région pour que le bassin minier ne soit plus la poubelle des Hauts-de-France, bassin où l’on voulait implanter une déchetterie ultime. Il faut pouvoir nous projeter vers un avenir sans simplement récupérer les miettes de Lille.

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LH : En tête des raisons pour quitter la région : la difficulté à trouver un emploi. Comment interprétez-vous cet élément ? MT : On voit bien, dans votre sondage, que les deux principales inquiétudes des jeunes tournent autour de l’emploi et de la sécurité. Justement les deux axes prioritaires que s’était fixé Xavier Bertrand, le président de Région. C’est donc un échec personnel. Depuis la fermeture des mines qui ont montré que dépendre d’une mono-activité est dangereux à moyen terme pour un territoire, il a fallu faire venir de l’emploi à tout prix, y compris les plus polluantes à coups de subventions. Aujourd’hui, les plateformes logistiques fleurissent le long de nos axes routiers et nous sommes quasiment en train de nous renfermer dans une mono-industrie. Il faut favoriser la transition écologique qui est bonne pour l’emploi, la planète et l’humain.

LH : Pour les catégories les moins diplômées, ne faudrait-il pas renforcer la formation et réindustrialiser une région jusqu’ici tournée vers l’agriculture ? Et par extension, rendre le logement plus accessible ? MT : On en est toujours à se battre pour conserver des emplois… Il faut trouver des emplois qui correspondent aux formations initiales. Ce n’est pas une question d’idéologie, mais de santé publique et d’espérance. Mais faut-il encore que les jeunes puissent avoir accès aux formations proposées. Beaucoup d’entre eux doivent y renoncer faute de moyens de transport. Quand ils n’ont pas de logement sur le lieu de formation, ils subissent la double peine du chômage et de la mobilité.

LH : Le sentiment de déclin de la région atteint les 42 %. Que peut-on faire pour contrarier cette impression, s’il s’agit bien d’une impression ? MT : Cette impression de déclin est sans doute due à un problème de centralisme et le sentiment que tout se passe à Paris ou en Île-de-France. Contrairement à Marine Le Pen qui s’est servi de la colère des gens pour se faire élire à Hénin-Beaumont, mais qui habite Saint-Cloud (92), j’ai fait le choix de rester auprès de ma famille, sur mon territoire auquel je suis attachée.

LH : Dynamisme, études, emploi… L’Aisne est très mal cotée. Quelles solutions envisagez-vous pour ce département ? MT : C’est difficile. Il s’agit d’un territoire enclavé, trop mal relié aux autres départements par les transports en commun, une fois de plus. À l’époque des fusions de régions, il était question de le rattacher à la Champagne-Ardenne. Car ce département connecté au sud du nord regarde également vers la Champagne. Pour preuve, la célèbre foire aux Champagnes de Château-Thierry.

LH : Que faire pour favoriser la culture auprès des jeunes ? MT : Dans ce domaine aussi, la question des mobilités pèse énormément. Il y a pourtant un large choix culturel qui va de choses pointues, comme les Nuits secrètes d’Aulnoye-Aymeries à des manifestations plus grand public, comme le Main Square Festival d’Arras. Il y a aussi, dans notre région, une forte densité de population et une tradition des fêtes populaires qui favorisent l’émergence culturelle : le Carnaval de Dunkerque, la Sainte-Barbe dans le bassin minier, etc. Faut-il encore que ce soit accessible financièrement.

LH : Une nouvelle épicerie solidaire vient d’ouvrir à Lille. Que cela vous inspire-t-il ? MT : J’ai rencontré le fondateur et les équipes de cette association la semaine dernière qui m’annonçait l’ouverture d’une antenne à Lille. C’est alarmant de voir à quel point la précarité a gagné tous les territoires et pas seulement les grandes agglomérations. À tel point que les étudiants soient obligés de s’auto-organiser pour y faire face. Certains disent que les jeunes devraient travailler en plus de leurs études. Mais c’est déjà le cas pour 80 % de celles et ceux qui fréquentent cette distribution alimentaire. Se loger, se nourrir, s’habiller est devenu un véritable casse-tête. Fort heureusement, ils sont résilients. Au-delà de tous ces aspects, je pense que pour amener les jeunes à rester dans leur région il faut qu’ils se sentent considérés au travers des politiques publiques, qu’ils se sentent aimés, même. Et que le symbole de la réussite ne soit plus le départ.

Propos recueillis par Mourad GUICHARD