DR

Les Français inégaux devant les vacances

Publié le 19 août 2022 à 17:44

Plus de quatre-vingts ans après l’instauration des congés payés en 1936 et la démocratisation des vacances qu’elle a initiée, Jérôme Fourquet et David Nguyen, de l’Ifop, et Simon Thirot, délégué général de l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat), analysent, à partir d’une étude sur le rapport des Français aux vacances, les clivages sociaux, générationnels ou territoriaux qui perdurent dans l’accès à cette pratique qui occupe une place importante dans nos sociétés modernes.

Les vacances ont deux dimensions principales aux yeux des Français : le repos et la découverte. Elles représentent en premier lieu une période de récupération au sein d’une société encore largement structurée par le travail : 35% des Français associent les vacances à « un moment de déconnexion par rapport au quotidien » et 31% à « un repos bien mérité  ». Elles constituent ensuite une possibilité d’ouverture sur le monde, de découverte et d’aventure : 33% associent les vacances «  à la découverte d’un nouveau pays, d’une nouvelle région ». Le « temps consacré à sa famille et à ses amis » n’arrive lui qu’en troisième position (29%). Il est intéressant de noter que parmi les Français qui déclarent être partis en vacances lorsqu’ils étaient enfants ou adolescents, la hiérarchie des évocations de ces vacances passées est inversée : leurs souvenirs sont d’abord liés à « du temps passé avec sa famille » (53%), la « découverte de nouveaux territoires » (34%), des « périodes où [ils] fais[aient] des activités qu’[ils] ne pratiqu[aient] pas au quotidien  » (28%). Si les dimensions « repos » et « découverte » s’imposent donc spontanément lorsqu’on évoque les vacances de manière générale, le fait de porter un regard a posteriori sur ses congés passés et ses souvenirs d’enfance rend la dimension familiale beaucoup plus importante. Toujours est-il, qu’au présent comme au passé, les Français associent des sentiments positifs aux vacances (seuls 5% évoquent un « moment ennuyeux »), ce qui confirme la valeur accordée à cette pratique.

Une observation plus fine des résultats laisse apparaître des clivages sociaux marqués selon les différentes définitions des vacances : ainsi, la notion de « découverte » est d’abord retenue par les retraités (47%) et les catégories sociales supérieures (31%) bien davantage que les catégories populaires (22%). Inversement, ces derniers privilégient beaucoup plus la définition de « repos bien mérité » (45%) que les catégories supérieures (34%) ou les retraités (19%). On peut penser que ces différences de conception des vacances entre découverte et repos sont liées à la fois à la pénibilité des métiers des uns et des autres, mais surtout à la possibilité financière de « partir » pour ses vacances. Les catégories populaires envisagent dès lors davantage leurs congés comme l’occasion de se reposer et les catégories supérieures et les retraités comme l’opportunité de s’ouvrir à de nouveaux horizons.

L’effet Gilets jaunes

De manière tout à fait révélatrice, les plus hauts taux de renoncement aux vacances sont atteints parmi les Français qui se disent « gilets jaunes », 61% des « gilets jaunes » disaient avoir dû renoncer «  souvent » à des vacances pour des raisons financières contre 45% pour ceux qui ne se disent pas « gilets jaunes » mais soutiennent le mouvement, 28% de ceux qui ne se disent pas « gilets jaunes » et 39% pour l’ensemble des Français. Ainsi, alors que les catégories populaires et moyennes associent les vacances à un « repos bien mérité  », ces dernières se voient fréquemment dans l’impossibilité d’en profiter pleinement quand d’autres catégories de la population ne connaissent que très peu de contraintes financières. Ces écarts profonds dans l’accès aux vacances participent inévitablement d’un sentiment d’incapacité à jouir des fruits de son travail et d’injustice sociale. On retrouve ici une dimension au cœur de la mobilisation des « gilets jaunes », comme l’illustrent par exemple les propos de Joseph, plombier interrogé par La Provence : « On attend quelque chose de concret, qui nous permette de recommencer à vivre plutôt que de survivre. Chaque mois, on est à découvert. On n’est plus partis en vacances depuis des années... ». Ce constat est dressé par de très nombreux «  gilets jaunes », dont Danièle, ouvrière à la retraite en Lorraine : « Avec mon mari, une fois qu’on a payé les factures, il ne reste rien. Heureusement qu’on a le jardin. On compte tout. Les loisirs, on n’y pense pas. Les vacances encore moins... ».

Autre clivage net : la coupure territoriale entre les habitants de l’agglomération parisienne qui sont 38% à déclarer « changer de pays régulièrement  » lorsqu’ils partent en vacances, contre 26% des habitants de communes urbaines de province et 25% des habitants de communes rurales. On retombe ici sur un écart important entre un îlot parisien plus à même de découvrir le monde et ses différentes cultures, d’user pleinement des opportunités de voyages offertes par la mondialisation et une France plus éloignée de ces pratiques.

Montée en gamme de l’offre touristique et difficulté à suivre

Aux écarts de revenus entre classes sociales s’est ajoutée une évolution de l’offre qui a pu accentuer ces inégalités d’accès aux pu accentuer ces inégalités d’accès aux vacances au cours des dernières années. Dans tout le secteur du tourisme et notamment dans les villages de vacances et les campings (rebaptisé « hôtellerie de plein air »), la tendance de fond est celle de la montée en gamme. Selon une note publiée par l’Insee en 2017, les campings ont effectivement connu une transformation profonde marquée par le remplacement de terrains nus (où l’on peut installer des tentes et caravanes) par des bungalows plus onéreux (+20% en six ans), conduisant à un parc aujourd’hui composé à près de 30% par des bungalows et mobil-homes. Ce phénomène s’accompagne par la montée en gamme des campings qui a abouti à une part désormais dominante de campings 4-5 étoiles (34%) et 3 étoiles (34%) comparée aux 18% pour les 2 étoiles et 14% pour les 1 étoile. Cette tendance conduit les professionnels à accroître les services et activités proposées (piscines, animations, cours de sports...) pour séduire une nouvelle clientèle plus aisée et disposée à séjourner dans une « hôtellerie de plein air » qui n’a plus grand-chose à voir avec le Camping des Flots-bleus popularisé au cinéma par Franck Dubosc... Si l’offre de services, la qualité de l’hébergement et les activités proposées ont été sensiblement « upgradés », les tarifs ont inévitablement été réévalués en conséquence. Une évolution qui a rendu les campings, qui constituaient traditionnellement le type d’hébergement le plus prisé des milieux populaires et du bas de la classe moyenne, moins accessibles à cette clientèle. (sources : Fondation Jean Jaurès – juillet 2019)