PARCOURSUP

Les futurs infirmiers dégoûtés

par Philippe Allienne
Publié le 1er août 2019 à 17:20

Le gouvernement peut toujours affirmer que Parcoursup, après avoir essuyé les plâtres l’an passé, est aujourd’hui mieux rodée, voire moins chahutée. Censée mieux orienter les lycéens vers les études supérieure, elle pose en fait de nombreux freins et maltraite les filières BTS et DUT ainsi que des formations comme le sport ou les soins infirmiers. Gare, par exemple, à celles et ceux qui ont fait le choix d’étudier dans un IFSI.

Les Ifsi. Ce sont les Instituts de formation de soins infirmiers. Jusqu’à l’an dernier, on y entrait sur concours. Mais justement, lorsqu’il a lancé l’application de la réforme Parcoursup, le gouvernement en a profité pour, discrètement en juillet 2018, supprimer ce concours d’entrée. Pour intégrer une école d’infirmier(e)s, il faut désormais passer par une procédure sélective d’admission via... la plateforme Parcoursup.

Le problème, outre les affres de Parcoursup ( lire l’encadré ci-dessous), c’est que ces nouvelles dispositions ne fonctionnent qu’à partir de cette année. Pour les élèves qui ont décroché le bac en 2018 et qui envisageaient de faire un Ifsi, il n’y a pas d’alternative. Ils ne peuvent se réorienter et perdent une année. De quoi déstabiliser les jeunes et leurs familles. En même temps, les écoles sont engorgées.

« Comment peut-on confier l’avenir de nos enfants à des robots ! ».

C’est ce qui arrive à Thibault [1]. Après un parcours scolaire un peu difficile et quelques doublements de classes, il a obtenu le bac l’an dernier, en juin 2018. C’est-à-dire juste avant la réforme concernant les Ifsi. Il avait alors 20 ans, mais il en était persuadé, les difficultés scolaires et les incertitudes sur son avenir, c’était du passé. Car le jeune homme s’est découvert une vocation et un choix de vie : il veut devenir infirmier.

Thibault s’est inscrit en préparation de soins infirmiers en pensant préparer le concours d’entrée. Il s’est appliqué durant six mois qui ont coûté la bagatelle de 4 000 euros à ses parents. Il a aussi fait un stage très formateur de deux mois en hôpital.

Avec un tel bagage, pas de souci. Il ne pouvait que réussir son entrée en Ifsi, d’autant qu’il avait déjà commencé à travailler le programme de première année. C’est là que tout bascule. Il s’inscrit sur la plateforme Parcoursup, mais il va très vite déchanter. « L’algorithme ne tient pas suffisamment compte des prépas, dénonce sa mère. Il tient surtout compte des jeunes qui ont passé le bac en 2019. Comment peut-on confier l’avenir de nos enfants à des robots ! ».

Clara est outrée, désemparée. Elle témoigne à la place de son fils qui, abasourdie par la manière dont son projet professionnel est traité, préfère se réfugier dans le silence. En fait, lorsque Thibault a transmis ses vœux, il s’est polarisé sur une école d’infirmier (e)s ignorant que la prépa qu’il venait de faire ne compte que pour 30% dans la décision.

Et comme son carnet scolaire, depuis la seconde jusqu’à la terminale, n’est pas particulièrement brillant, avec des appréciations pas toujours flatteuses, il se retrouve 400e sur la liste d’attente de Parcoursup. Le verdict est tombé le 19 juillet, date de clôture de la plateforme. Un désastre. Il se retrouve sans école pour la rentrée de septembre. Mais il n’est pas question de céder au découragement. Thibault appelle le numéro donné par Parcoursup pour chercher une solution[Au jeu du vrai ou faux, tout semble facile].

« On lui répond de manière évasive et on lui conseille d’aller voir les directeurs d’Ifsi pour plaider sa cause » , dit Clara. Il l’a fait, mais les directeurs l’ont renvoyé vers Parcoursup. Petite lueur d’espoir, il a décroché un rendez-vous au Centre d’information et d’orientation de Douai. Là, on lui demande de faire un vœu complémentaire dans une formation universitaire. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le vœu est rentré à 18h. Il est rejeté le lendemain dès 9h. Le robot a encore frappé.

Par la petite porte

Retour à la case départ. Mais comme un vœu complémentaire a été émis, Thibault peut saisir la commission d’accès à l’enseignement supérieur (CAES) du rectorat ; comme l’ont fait 30000 candidats l’an passé. « Mais tout se fait par mails. Il ne peut pas se défendre valablement », reproche Clara. Alors ça traîne. Si une perspective doit s’ouvrir, ce ne sera pas avant 2020. C’est décidé, Thibault refuse de décrocher ou de changer d’orientation. Il fera une formation d’aide-soignant et intègrera la profession d’infirmier par la petite porte. C’est ce qu’il espère.

« En son temps, le sociologue Pierre Bourdieu avait dénoncé l’université qui fabrique des chômeurs. Aujourd’hui, même le lycée est une usine à chômage » conclut amèrement Clara. Cette année, le métier d’infirmier a été l’un des plus plébiscités sur la plateforme Parcoursup.

PARCOURSUP EN CHIFFRES

59 000

Les candidats sans affectation au 19 juillet.

789 000

Les lycéens et les étudiants en réorientation.

110 000

Les adultes qui se sont inscrits sur Parcoursup pour reprendre des études.

92 000

Les places qui demeurent disponibles (dont 50% en licence) et ouvertes pour la procédure complémentaire.

Notes :

[1Les noms ont été modifiés