Entretien avec Chloé Smidt-Nielsen, coordinatrice de Human Rights Observers

« Les violences contre les exilés sont systémiques »

par Philippe Allienne
Publié le 31 décembre 2020 à 10:54 Mise à jour le 30 décembre 2020

Créée en 2017, après le démantèlement de la « jungle » de Calais, Human Rights Observers (HRO) est un projet collectif financé par l’Auberge des Migrants, une des associations d’aide aux exilés qui, à Calais, attendent d’embarquer pour la Grande-Bretagne. Son fonctionnement se rapproche de la méthode du « copwatching ». Cela consiste à être présent autant que possible lors des contrôles de police et des expulsions et de documenter les opérations de police.

  • La maire de Calais, qui avait introduit une requête en référé auprès du tribunal administratif de Lille pour obtenir l’expulsion d’une centaine d’exilés, a obtenu satisfaction. Vous vous y attendiez ? Malheureusement oui. La décision du tribunal administratif ne nous surprend pas. Nous nous sommes engagés pour soutenir les requérants en sachant qu’ils avaient de faibles chances de voir la demande de Natacha Bouchart rejetée. En novembre, la mairie de Calais avait introduit une procédure identique contre 80 exilés qui campaient sur un bout de pavé abrité du complexe sportif municipal Calypso. Comme pour le dernier référé jugé le 23 décembre, il s’agissait d’un référé de « mesure utile » et la Ville a gagné.
  • Ici, il s’agissait d’expulser des personnes qui vivent sous les ponts, en ville. Pourquoi un référé de « mesure utile » ? Il y a deux types d’expulsions : les expulsions des lieux de vie auxquelles la police procède toutes les 48 heures et celles qualifiées de « mesures utiles » qui sont des opérations dites de « mise à l’abri ». Elles interviennent tôt le matin, souvent entre 5 h 30 et 7 h 30. 250 à 300 policiers se déplacent et créent un périmètre de sécurité afin d’empêcher les curieux et les journalistes d’approcher. Ensuite, ils forcent les personnes à prendre place à bord de bus qui les emmèneront vers un Centre d’accueil et d’orientation (CAO), ou un Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES). C’est de la mise à l’abri forcée. Le but est d’emmener les personnes le plus loin possible afin de les dissuader de revenir. Mais elles sont nombreuses à revenir quand même pour tenter la traversée vers les côtes anglaises. C’est comme cela depuis octobre 2016, quand la jungle de Calais a été détruite. Et si elles refusent de monter à bord des bus, il y a toujours des minibus de la Police de l’air et des frontières pour les embarquer. Là, c’est le risque du centre de rétention administrative et de l’expulsion hors du pays. Dans tous les cas, les tentes sont détruites ou confisquées.
  • Concrètement, ces opérations se passent toujours avec violence ? Ces violences sont inouïes et systémiques. On nasse, on jette vêtements, couvertures et objets personnels dans la boue. On confisque les téléphones en sachant que les dépôts de plainte n’aboutiront pas. J’ai moi-même ramassé des billets pour une somme de 130 euros qui avaient été déchirés par la police et je suis allée les faire changer. On tabasse, on casse des bras et on disloque des épaules. On l’a encore vu ce mercredi 29 décembre à Grande-Synthe où les policiers sont accompagnés d’équipes de nettoyeurs privés, payés par l’État, qui lacèrent les tentes alors que les occupants sont toujours à l’intérieur, qui jettent les couvertures, les couettes, les vêtements et tous les effets personnels. Peu importe la météo. Le froid et la pluie, en ce moment, n’empêchent rien. Les policiers procèdent à des nassages et à des gazages. À Grande-Synthe, il y a eu 86 expulsions depuis janvier 2020. Ce mercredi 30 décembre, un très grand dispositif policier a mis en œuvre une expulsion à Coquelles, près de Calais. L’objet de ces violences est de précariser les personnes au maximum afin de les dissuader de rester ou de revenir.
  • Que préconisez-vous ? Nos équipes surveillent régulièrement et sont toujours sur le terrain pour témoigner. Au-delà, il faut ouvrir les frontières, arrêter ces expulsions qui violent les droits fondamentaux des personnes, mettre en place un accueil digne, aider les migrants à réfléchir à leur projet migratoire, mettre un terme à la procédure de Dublin.