Plan vaccination

« Nous allons demander des comptes au gouvernement »

Entretien avec Pierre Dharréville

Publié le 8 janvier 2021 à 13:28

Membre de la commission permanente des affaires sociales, à l’Assemblée nationale, le député communiste (groupe de la Gauche démocrate et républicaine) estime que la lenteur de l’organisation de la vaccination relève d’un choix politique en matière de santé. Elle s’inscrit dans la lignée de la gestion de la distribution des masques et de la mise en place des tests.

Comment expliquez-vous la lenteur du plan de vaccination français par rapport aux autres pays européens ? Nous sommes dans une gestion qui se fonde sur un mauvais logiciel depuis le début. Au lieu de se donner véritablement les moyens d’une action efficace sur l’ensemble du territoire, le gouvernement donne le sentiment d’une sorte d’organisation poussive qui n’est pas du tout à la hauteur des enjeux. Depuis des semaines, l’ambition en termes de vaccination n’a pas été prise au bon niveau. Nous savions depuis des mois que l’on était en train de déboucher sur un vaccin. Les initiatives qui ont été prises ne font que solliciter le marché, autrement dit les big pharmas, pour répondre au problème. Ça ne peut pas marcher comme ça. Nous avons l’impression qu’un contrat a été passé à l’échelle européenne et, à partir de là, on applique, on fait ce qu’on peut faire. Cela n’est pas sérieux. Voilà pourquoi nous demandons à ce que le vaccin soit un bien commun, que les formules soient rendues publiques et utilisables au maximum. Si un vaccin est validé par les autorités sanitaires, il faut tout faire pour garantir à tous le droit à la vaccination contre la Covid-19. Or, les moyens n’ont pas été pris pour produire massivement ce dont nous avons besoin.

Une pétition a été lancée par plusieurs organisations et partis (dont le PCF) pour que le vaccin soit accessible pour tout le monde en Europe, et dans le monde. Elle n’a donc pas été entendue par nos gouvernants ? Cette action se poursuit. Nous n’avons pas obtenu réellement gain de cause. C’est toujours la course à l’échalote entre les labos pour vendre leurs produits et essayer de tirer bénéfice de la situation. Cela ne peut pas fonctionner. On ne peut pas répondre à l’intérêt général de cette manière. Il faut sortir de cette logique. La puissance publique doit intervenir pour organiser les choses autrement. Nous avons proposé que le vaccin soit effectivement un bien commun. Nous ne pouvons nous contenter de discours.

Sur le plan des chiffres, même si cela a évolué depuis les 500 vaccinations en France, notre pays demeure très en deçà de ses voisins. Quel est votre regard ? On a le sentiment qu’un circuit spécifique s’est mis en place pour la distribution du vaccin. On ne comprend pas pourquoi on n’a pas cherché à utiliser des circuits plus ordinaires qui devraient être en état de fonctionner et de couvrir l’ensemble du territoire. Par exemple, dans ma région [Bouches-du-Rhône, ndlr], on me dit que six hôpitaux vont être livrés en vaccins. Ce n’est pas sérieux. On a besoin de vacciner les soignants dans tous les hôpitaux. On va demander aux soignants de se déplacer à 40 ou 50 kilomètres de chez eux pour aller se faire vacciner dans un autre hôpital ? C’est une organisation insensée. Cela veut dire que l’on a décidé de ne pas mettre en œuvre les moyens nécessaires et de concentrer, encore une fois. Il y a toujours cette sorte de logique que l’on a vu à l’œuvre dans la période précédente quand on a institué par exemple de grands GHT (Groupements hospitaliers de territoire). On a voulu créer des hôpitaux de proximité dont les attributions sont en réalité extrêmement réduites. On décide en fait de ne pas s’appuyer sur un maillage hospitalier dans toute son ampleur. C’est un choix politique et non simplement un problème logistique. On continue de gérer la pénurie. C’est ce qui a d’ailleurs été reproché pour l’affaire des masques puis celle des tests.

Vous avez pourtant interpellé le gouvernement. Oui, dès le mois de novembre. Nous lui avons demandé comment il se préparait pour ne pas se retrouver en face du même problème [celui des masques ou des tests – ndlr]. La question a été balayée d’un revers de main par le ministre de la Santé Olivier Véran qui nous a accusé de faire des procès d’intention et de nous comporter en défaitistes. Nous considérons qu’il y a besoin d’un service public fort et que l’affaiblissement de ce dernier continue à poser des problèmes lourds.Quels sont vos moyens d’action ? Nous allons demander des comptes. C’est à nous, parlementaires, que le gouvernement doit rendre des comptes et non à un échantillon tiré au sort ou à un cabinet d’experts international qui viendrait nous expliquer comment il faut procéder. La demande est partie mais nous n’avons pas de réponse jusqu’ici. Nous allons aussi demander des comptes au plan local. Des administrations sont chargées de mettre en œuvre les directives du ministre. Ce sera aussi une manière de faire remonter nos exigences et celles qui s’expriment dans le pays.

Les professionnels de santé continuent de porter les revendications qu’ils portaient avant la crise. Tout cela reste d’actualité ? Le gouvernement fait comme s’il avait réglé le problème de l’hôpital et de notre système de santé, notamment avec le Ségur de la Santé. Il n’en est rien. Quand on voit que le budget de la sécurité sociale persiste à compresser les dépenses, même s’il intègre les dépenses incontournables liées au Covid et les quelques mesures du Ségur, on reste sur la même logique d’avant crise. L’aspiration à ce que l’on prenne en compte les besoins et bel et bien là. La situation demeure très tendue sur le plan social et dans la pratique quotidienne dans les établissements de santé. Et je ne parle pas des oubliés du Ségur qui ne peuvent comprendre avoir été exclus

Que pensez-vous de la demande des élus, comme Alain Bocquet à Saint-Amand, qui se disent prêts à mettre en place des « vaccinodromes » ? On voit bien qu’il y a une disponibilité des élus locaux pour agir concrètement. Cela montre qu’il y a des possibles. C’est d’ailleurs une sacrée épine dans le pied du gouvernement qui dit avoir fait tout ce qu’il pouvait et qu’il n’y a pas d’alternative. La preuve est faite que ce n’est pas vrai. Même si rien n’est simple, il y a des solutions. Par ailleurs, à l’Assemblée, le Groupe de la Gauche démocrate et républicaine fait des propositions. Je pense par exemple à cette proposition de loi, que nous avons encore étoffée récemment, pour un pôle public du médicament et des produits de santé. Si nous avions un secteur public organisé pour répondre à ce type de besoins, cela changerait la donne. Nous ne serions pas entre les mains des grande entreprises pharmaceutiques mondiales.

Propos recueillis par Philippe ALLIENNE