Les soignants face au Coronavirus

« Où sont les masques ? »

Crise sanitaire

par Philippe Allienne
Publié le 20 mars 2020 à 12:15 Mise à jour le 27 mars 2020

Depuis quelques soirs, les fenêtres et balcons s’éclairent pour donner libre cours aux applaudissements des habitants qui acclament le personnel soignant. Dans les communes rurales et les habitations les plus éloignées, certains citoyens, relevant leur isolement habituel, suggèrent aux ruraux d’accrocher un linge blanc. Cette reconnaissance est belle. Mais si, comme l’a dit notre président, « nous sommes en guerre » contre un ennemi invisible, il faut regretter que l’intendance ne suive.

Après la première prise de parole du président de la République sur la crise sanitaire dans laquelle nous sommes plongés, les éloges à l’égard du personnel soignant sont devenus la règle. Emmanuel Macron bénit l’hôpital public et notre système de santé, un certain vendredi 13 mars sur nos écrans de la télévision publique, et peu après, le peuple lui emboîte le pas en applaudissant le personnel soignant chaque soir.

Mais le personnel hospitalier a-t-il besoin que nous ouvrions notre fenêtre ou que nous sortions sur notre balcon (confinement oblige) pour applaudir celles et ceux qui font leur travail depuis toujours et qui le font dans les conditions précaires que l’on sait ? « Depuis lundi soir [16 mars - ndlr] , les personnels hospitaliers, du social et du médico- social, avec les annonces du président, sont en attente de masques et du matériel nécessaire à la protection des agents ! » , dénonce un communiqué de la CGT de la Santé et de l’Action sociale Nord-Pas-de-Calais et Picardie.

Les infirmières à domicile essaient de contrôler les risques.
© Philippe Allienne

Situation anxiogène

Et ce communiqué, en date du 18 mars, de préciser : « La gestion du manque de matériel vient ajouter à la crise sanitaire des difficultés à la gestion de la permanence des soins. Que ce soit l’utilisation des stocks périmés de l’épidémie de H1N1 de 2008 dans certains établissements, ou le changement de norme le 1er mars 2020 pour l’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2, cette situation est anxiogène pour les personnels qui les utilisent, leur famille et la population. »

Car la crise sanitaire dans laquelle nous somme entrés, aussi terrible qu’elle soit ici ou partout dans le monde, souffre bien de la destruction systémique de l’hôpital public à laquelle travaille, depuis trente- cinq ans au moins, le modèle néo-libéral qui s’est imposé à notre pays. On en vient même à regretter de nous être moqué de la gestion de la crise du virus H1N1 par la ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy, Roselyne Bachelot. Oui, 12 ans plus tard, les soignants ont dû avoir recours à des stocks périmés de masques datant de cette époque.Exemple pour le personnel soignant de ce centre de santé infirmier de Lomme, qui agit quotidiennement au domicile de patients fragiles entre les Weppes et Lomme : « Nous avons récupéré notre première dotation de masques chirurgicaux ce 18 mars », dit l’un des infirmiers. Car au début de l’épidémie, cela s’est révélé difficile.

« Je porte un masque que je me suis procuré par mes propres moyens » expliquait peu auparavant Myriam*, par ail- leurs maman de deux jeunes enfants. Autant dire que pour les proches des patients, l’obtention de cette protection est quasiment impossible. Comment faire, toutes précautions prises, lorsqu’il faut administrer des doses de ventoline à l’aide d’un spray ? Ici, la distance du mètre réglementaire est tout simplement impossible à respecter. Même chose pour les solutions hydro-alcooliques dont le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire assure que ce qui manque, ce sont les fla- cons en plastique, c’est-à-dire le contenant et non le contenu !

À lire :« Des propos présidentiels qui résonnent comme un aveu »

Stocks insuffisants

« Le stock de masques qui vient d’être livré au centre de soins infirmiers de Lomme ne comporte qu’une centaine d’exemplaires », déplore Fanny*, une autre praticienne. C’est bien peu au regard de la quarantaine de patients visités chaque jour par une équipe de 6 infirmiers et infirmières sur un rayon d’un peu plus de 7 kilomètres autour d’Haubourdin, dans l’ouest de la métropole lilloise.

Ces visites peuvent aller jusqu’à trois par jour, en fonction des besoins et du degré de dépendance. Et en aucun cas, les soignants n’économisent leur temps d’écoute. Pour s’adapter aux pathologies, ils demeurent toujours au contact du médecin traitant et sont de vrai(e)s indicateurs pour le suivi médical de chaque personne. « Mais dans le contexte actuel, nous sommes bien conscients des réalités et tout a été fait pour limiter les risques de contamination de nos patients » , explique Myriam. Ainsi, précise Maxime*, « nous avons divisé notre territoire d’action en deux par- ties. Là où nous intervenions à tour de rôle, nous avons concentré deux intervenants seulement, en fonction de leur domicile ».

Cela limite les déplacements. Sur l’organisation générale, les infirmiers n’ont plus l’occasion de se rencontrer. Les échanges se font par messagerie sécurisée et par audio ou visio- conférence. Même chose avec le siège, à Wambrechies : « Un référent Covid-19 assure tous les retours. Nous faisons un point sur les besoins et sur la situation tous les jours à 14 h, via internet. Cela inclut les relations avec l’Agence régionale de Santé et la Cnam. »

À 700 kilomètres de Lille, sur la frontière franco-suisse, Marie Cordonnier vit à Morteau (dans le Doubs). Elle est travail- leuse transfrontalière et est employée dans une maison médico-sociale (l’équivalent d’un Ehpad) en Suisse. Elle fait le trajet chaque jour. Au lendemain du confinement français, il lui a fallu trois heures pour franchir les trois derniers kilomètres avant de rentrer chez elle. Pas de souci pour passer la frontière : son laisser-passer était en règle et les douaniers français n’ont pas fait d’histoire. « Pourtant ils n’apprécient pas trop les transfrontaliers », dit-elle. Pourquoi un tel embouteillage ? Sans doute contrôlait-on rigoureusement les travailleurs français (de l’industrie horlogère ou médicale) qui ren- traient chez eux et ne possédaient pas encore le sésame. « Je suis restée confinée trois heures dans une voiture avec deux collègues et des masques périmés. » Joli contre-exemple propice à la contamination.

En Suisse aussi

Au-delà, la maison médico-sociale suisse propose à ses employé(e)s de réserver des chambres d’hôtel s’ils ne souhaitent pas rentrer en France. Mais elle ne dit pas quel sera le montant de la location pour le personnel. « En tout cas, commente Marie, ils n’ont pas intérêt à ce que nous partions. La grande majorité du personnel est français. »

« Pour le reste, confie-t-elle , sur mon lieu de travail, mon employeur m’a ouvert un compte pour que je puisse prendre un café (la somme sera défalquée de mon salaire, bien-sûr). Cela permet d’éviter tout contact avec les “surfaces’’. Pour ce qui concerne les masques, pas de souci, nous en disposons. Il s’agit de masques chirurgicaux (et non de PPF2 ) que nous portons trois heures durant au lieu des 20 minutes réglementaires. Ils sont donc vite inefficaces. Et nous sommes presque à court de solutions hydro-alcooliques. » En Suisse non confinée, on lutte bien contre le Covid-19, mais les moyens ne sont pas supérieurs à ceux du voisin. Le virus, quelque part, va faire de nous des frères et sœurs.

* Les prénoms ont été changés