© Justine Frémy
La gratuité des mobilités ?

Pas une mode, une nécessité !

Tribune

par PIERRE CHERET
Publié le 11 juin 2021 à 16:35

Aujourd’hui, nombre d’élus de métropoles ou d’agglomérations, et non des moindres comme Paris ou Lille, posent avec raison cette question sous des formes différentes, d’autres, au nombre de 36, y sont déjà engagées avec des résultats probants mais aussi nuancés. Ici, Dunkerque, Calais et récemment Douai s’y sont plongées. L’aventure ne fait que commencer et fait découvrir de nouvelles situations et comportements dans l’appropriation des habitants face à la facilité qui leur est accordée et surtout à la qualité des réseaux qui leur sont proposés et qui ont fait l’objet d’adaptations.

La gratuité des transports collectifs, plus exactement des mobilités, est une question immédiate, d’avenir, qui prend de l’ampleur au regard de quatre questions essentielles :

1. L’urgence de s’attaquer à la baisse des gaz à effet de serre (GES). Récemment, un objectif européen a été fixé pour participer à cette exigence mondiale pour garantir la viabilité de notre humanité, de notre planète, soit d’ici 2030 une baisse de 40 % des émissions, que le gouvernement Macron a baissé à 30 % en France, et une neutralité carbone d’ici 2050. Même si l’on peut considérer cette orientation comme insuffisante, il s’ajoute aussi aux projets « Green Deal » d’électrification en masse des véhicules avec l’objectif d’abandonner des productions de moteurs diesel et qui voit naître ici les Gigafactory de productions de batteries comme Douvrin et Douai. L’usage automobile est l’un des plus importants émetteurs de GES, pas seulement par le fait de son moteur diesel mais aussi par l’aspect massif de son usage. Si on en reste là, demain tous les bouchons avec des voitures thermiques pourront peut-être être remplacés par des bouchons avec des véhicules électrifiés et qui seront pour d’autres raisons producteurs de GES et de pollutions diverses liées à l’intensité des circulations. Dans les années qui viennent, ne pas anticiper sur ces objectifs de baisse des GES pourrait amener les autorités organisatrices de mobilités à être contraintes de le faire dans la douleur dans les années à venir.

2. L’impact de la surutilisation de l’automobile sur notre environnement, sur la qualité de l’air, sur les pollutions diverses et donc notre santé à tous, sur notre cadre de vie, en particulier dans les urbanités avec les questions lourdes du stationnement et des comportements contradictoires voire agressifs qu’ils entraînent pour cause d’insécurité ou de stress ou d’abandon des temps de marche. Cette surutilisation concourt aujourd’hui à saturer des axes importants comme les rocades ou les autoroutes métropolitaines comme l’A1, l’A21, l’A25 et les rocades, les RN et les RD qui s’y connectent en se cumulant à un trafic de fret routier provenant de nos zones d’activités mais aussi les trafics de transit pour éviter les thromboses de l’A1 en particulier. L’abandon du fret ferroviaire SNCF, qui ici a accompagné la disparition de l’extraction charbonnière et des industries lourdes, n’a pas rendu service à nos territoires . Petits accrochages et accidents se transforment à chaque fois en gâchis de temps, d’énergie, en pollutions supplémentaires et en stress quasi quotidien en heures de pointe.

3. L’impact de la surutilisation de l’automobile sur le pouvoir d’achat, c’est la réalité des familles contraintes d’avoir plus d’un véhicule supplémentaire. Parfois jusqu’à trois ou quatre et souvent pour de bonnes raisons, parce que les parents travaillent chacun de leur côté et les enfants aussi, et parce que le réseau des mobilités alternatives n’est pas adapté à leurs horaires ou très éloigné. Mesurons que le coût annuel d’un véhicule acheté neuf oscille entre 3 500 et 6 500 euros par an, alors quand vous en avez plusieurs ? Or, les véhicules supplémentaires sont souvent des occasions « diesel » et anciens. Pour d’autres, c’est le seul véhicule qui est entretenu au gré des moyens du bord. La réalité des bassins d’emplois en Nord-Pas- de-Calais montre bien qu’à la pauvreté et la précarité s’ajoutent les difficultés de la mobilité et bien d’autres comme celle du logement. Il faut savoir mettre également devant cette question du volume des ménages en difficulté de mobilité les ménages avec des revenus smicards, mais aussi pour la frange basse des catégories moyennes. Pour comprendre cet enjeu des déplacements quotidiens, ce n’est donc pas que la question des sans véhicules ou des scolaires. Ne sous-estimons pas que demain les véhicules ne seront pas moins chers à l’achat et à l’entretien. Cela supposera une consommation d’électricité plus élevée en volume chez soi alors que l’on nous annonce des prix plus élevés avec les énergies décarbonées. De nombreuses familles ne pourront pas supporter ce coût s’il n’y a pas une volonté politique dans notre pays d’une transition énergétique et écologique profitable à tous et partagée.

4. Il est urgent de comprendre que ce n’est plus la mobilité que l’on doit donner qu’a ceux qui n’en n’ont pas mais de proposer une alternative forte à tous. Il s’agit maintenant de mieux cibler ceux qui utilisent pour l’essentiel leurs déplacements automobiles vers le travail, les stages ou les formations, pour aller vers les zones de loisirs ou commerciales, pour aller vers les services publics de santé. Les réseaux de transports collectifs ont souvent une histoire prépondérante liée aux besoins scolaires très nombreux et au désenclavement des quartiers éloignés. L’évolution des réseaux doit se poursuivre par le dialogue, sur ces enjeux de transformation à opérer, en associant les entreprises qui paient le versement mobilité et leurs représentants du personnel, en consultant les communes et leurs habitants, les collectivités territoriales qui contribuent souvent à l’équilibre financier du service public et qui décident de leurs orientations. Aujourd’hui, il s’agit de désaturer nos voiries locales et nos rocades, de dépolluer l’air que nous respirons, de réduire nos factures d’énergie et d’accompagner le combat essentiel de la baisse des GES auquel nous serons contraints si nous ne faisons rien. L’évolution du réseau des mobilités devra se faire aussi par l’usage d’autres mobilités, associées à celle du bus, telles la marche à pied, le covoiturage, l’autopartage, le train (TER/TGV), le vélo et la trottinette, électrique ou pas, mais surtout être bien connectées les unes aux autres, permettant un déplacement agréable à vivre, loin des tourments et du stress automobile. Tout ne passera pas seulement par moins d’automobiles et des réseaux de bus performants mais aussi :

  • par des dessertes ferroviaires suffisantes comme l’axe Béthune-Douai ou enrichies par le barreau TER entre Lille et le bassin minier bien relié aux réseaux de bus ;
  • par le retour du fret ferroviaire en traitant les trafics de passage dès leurs origines portuaires, mais aussi en proximité en s’appuyant dans ce domaine sur des atouts existants comme le triage de Somain et la plateforme multimodale de Dourges et le futur canal Seine-Nord ou en construisant une nouvelle plateforme rail/route entre le Béthunois et le Lensois ;
  • en reconnectant au ferroviaire ou aux voies navigables les importantes zones d’activités économiques comme Douvrin ou Renault Douai, entre autres.

Associer gratuité d’accès aux mobilités à un réseau mieux adapté à ceux qui travaillent en intégrant toutes les mobilités, tels sont les leviers pour porter forts les objectifs d’une alternative réduisant la part de l’automobile dans les déplacements, sans l’exclure.

  • Plus de billetterie, plus de fraudes et les personnels, chauffeurs comme contrôleurs, comme nous le constatons à Dunkerque, se concentreront pour l’essentiel sur la sécurité des circulations et des personnes.
  • Nous libérons les voyageurs de cette tension du contrôle ou de l’insuffisance d’argent pour se déplacer pour les plus modestes, surtout les jeunes générations.
  • Nous économisons une gestion des recettes des billets à tarifs déjà très bas, qui représentent souvent moins de 10 % des recettes de fonctionnement, pour orienter ces moyens humains et ces investissements matériels vers la gestion de la qualité et de la fluidité des mobilités. Les efforts faits par les collectivités territoriales pour aller dans ce sens est possible plus rapidement si toutes avaient la même solvabilité pour le faire. S’il y avait une volonté gouvernementale d’appui, comme l’a avancé le député du Nord Alain Brunel au nom de son groupe, à ce qui est pourtant de l’ordre du vital et du mieux-être pour nos populations, nous aurions pour cela peu de réticences pour aller dans ce sens.

Juridiquement et fiscalement, il faut donner aux autorités organisatrices de mobilité les moyens manquant en réorientant l’argent public de l’État et en partageant mieux les richesses de notre pays, en permettant que les réseaux de bus soient en pointe dans les énergies électriques renouvelables et décarbonées, qui aujourd’hui sont très chers à l’achat et à l’investissement (hydrogène, bus à charge rapide, etc.). Là où c’est possible, c’est déjà d’engager cette construction alternative avec l’objectif de montrer en proximité que les services publics sont bien au cœur des réponses à donner efficacement aux grands problèmes des déplacements des populations, de notre humanité et d’une planète respirable pour nos enfants et de ne rien lâcher pour l’avenir.

Avion, le 4 juin 2021