Point de vue

Potion amère…

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 22 janvier 2021 à 16:04

Le père Noël prépare une seconde tournée. Mais celle-ci s’adressera aux actionnaires de Sanofi. Leurs actions sont promises à un bonus de 24,51% à trois mois pour atteindre la coquette somme de 101,63 euros. L’accord des traders et des analystes boursiers sur l’avenir de l’entreprise pharmaceutique cotée au CAC 40 est total : « Ça va juter ! » Les comptes en banque vont gonfler un peu plus, sans avoir à bouger le petit doigt. Cette bonne nouvelle pour les actionnaires de Sanofi tient à un alignement « remarquable » des planètes : la pandémie dure, mute et se développe, couvrant au passage les retards dans la recherche ; les aides multiples de l’État ne faiblissent pas et la direction annonce la suppression de 400 nouveaux postes liés à la recherche. Comme le rappelle le député communiste Fabien Roussel « cette saignée s’ajoute aux 5 000 postes qui ont déjà été supprimés en France par le groupe en l’espace de dix ans ». Résultat de cette conjonction : des profits augmentés et des dividendes qui grimpent. Le groupe pharmaceutique va pouvoir conforter son rang de plus gros distributeur de dividendes du CAC 40. En 2020, plus de 4 milliards d’euros l’ont été. L’État aura apporté sa contribution à cette manne. Depuis dix ans Sanofi bénéficie d’une ristourne fiscale annuelle de 130 millions d’euros au titre de la recherche et du développement. Ces millions d’argent public ont été autant d’« économisés » au bénéfice des dividendes. Ces largesses de l’État français n’ont cependant pas empêché la direction du groupe d’annoncer qu’une priorité serait donnée aux États-Unis pour la livraison des vaccins anti Covid-19. Une décision qui doit tout à l’actuel PDG du groupe, Paul Hudson, qui émarge à 5,1 millions d’euros par an hors stock-options. Cette annonce a été particulièrement mal reçue par le corps médical. En revanche, au palais de l’Élysée, elle n’a pas ému outre mesure. On y a plutôt vu l’empreinte naturelle de la loi du marché. Bonne fille et pas rancunière, la présidence de la République a même promis une aide supplémentaire de 200 millions d’euros pour la recherche lors d’une visite d’Emmanuel Macron sur le site lyonnais de Sanofi en juin dernier. Elle se fit en présence de Serge Weinberg, président du conseil d’administration du groupe. Une vieille connaissance du président puisque c’est ce même Weinberg qui lui permit naguère d’entrer au sein de la banque Rothschild et qui le soutint encore, lors de sa course au pouvoir. Accordant leur priorité aux intérêts des actionnaires, les dirigeants de Sanofi retardent la production sur leurs lignes de vaccins concurrents mais déjà opérationnels comme le réclament les syndicalistes CGT du groupe au nom de l’urgence sanitaire. Les syndicats s’opposent actuellement aux nouveaux licenciements annoncés qui continueraient à affaiblir dangereusement les capacités du groupe dans le domaine de la recherche. Les retards pris dans la mise en œuvre d’un vaccin anti-Covid leur donnent raison. Sanofi n’est pas le seul industriel à faire prévaloir la rentabilité sur le service. Faute de stocks, ou du fait d’une production modifiée pour des raisons financières, 2 400 ruptures de livraison de médicaments ont été constatées l’an passé. C’est « six fois plus qu’il y a quatre ans » révèle une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Aucune sanction sérieuse ni disposition particulière n’ont été prises par les autorités pour remédier à cette situation. Tout ça fait trembler. Au nom de la concurrence libre et non faussée et en vertu du profit maximum, c’est la santé d’une nation qui est en jeu ainsi que l’avenir professionnel de milliers de salariés comme ceux de Sanofi qui ne comptent ni leur temps ni leur talent pour porter cette entreprise et cette industrie essentielle au plus haut niveau. La potion est trop amère. Ce n’est plus acceptable.