Liberté Hebdo : Les Hauts-de-France sont, comme la plupart des nouvelles régions, des ensembles complexes qui se traduisent par des disparités entre des départements avec de fortes métropoles (le Nord avec Lille et l’Oise avec Paris) et les autres. Comment créer un lien qui suscite un fort sentiment d’appartenance ? Xavier Bertrand : Après la fusion des deux Régions, nous avons réussi à développer rapidement un sentiment d’appartenance et c’est une chance pour les Hauts-de-France même s’il peut y avoir encore parfois des nostalgies. Notre région a des atouts parce que chaque département a les siens qui permettront la transformation économique de notre région. Dans l’Oise, avec l’hydrogène et le Canal Seine-Nord-Europe. Dans la Somme, avec des entreprises innovantes comme Ynsect et InnovaFeed pour l’alimentation animale et le Canal, là aussi. Pareil pour le Pas de-Calais avec la Gigafactory Stellantis de Billy-Berclau ou le Nord avec le pôle de décarbonation, le Canal, EuraTechnologies [1] ou encore e-Valley [2]. On a aussi de quoi penser l’avenir avec les nouveaux EPR de Gravelines. Le Valenciennois est une place forte des industries automobile et ferroviaire et le restera tout comme le Douaisis. L’Aisne profitera du doublement de la RN2 qui mettra fin à son enclavement. Pour le développement de la Région, je crois autant aux métropoles qu’aux villes moyennes et à la ruralité. Les Hauts-de-France, cela ne peut être Lille, Amiens et le désert autour. En deux mandats nous aurons investi près d’un milliard d’euros dans l’aménagement du territoire. Le défi d’une Région plus grande, c’est d’être toujours plus proche de ses habitants et c’est ce que nous faisons avec des aides directes. En six ans, deux millions de personnes ont été aidées directement par la Région.
Lire aussi : « Sondage exclusif Ifop-Liberté : 80 % des 18-20 ans prêts à quitter les Hauts-de-France ! » LH : S’agissant de lien, le sondage de l’Ifop fait apparaître que les jeunes les plus diplômés sont les plus optimistes quant à leur avenir. En revanche, ceux du Pas-de-Calais et de la Somme sont les plus pessimistes, avec ceux des classes moyennes et les moins diplômés. Que peut-on faire pour recréer une cohésion sociale et de réunir cette jeunesse ? XB : Pour moi, c’est le défi essentiel. Le sondage est en ligne avec l’objectif que nous nous sommes fixés. Je veux qu’à la fin de la décennie, un jeune né dans les Hauts-de-France se dise que c’est la région dans laquelle il veut faire sa vie et que celui d’une autre région ait envie de s’installer dans les Hauts-de-France. Je veux qu’au-delà de la résilience, après toutes les épreuves que nous avons vécues, notre Région soit synonyme d’espoir et d’avenir. Je ne veux qu’aucun jeune soit prisonnier de son territoire. C’est ce que nous faisons avec les trains du quotidien, des bus scolaires gratuits, des transports interurbains à un euro ou des voitures à un euro pour ceux qui reprennent un emploi. LH : Existe-t-il des actions particulières pour le premier emploi dont on sait qu’il est difficilement accessible pour les jeunes ? XB : Le taux de chômage, dont on a dit qu’il resterait à des sommets himalayens, baisse plus vite en Hauts-de-France que la moyenne nationale mais nous devons toujours continuer à nous battre. En plus de l’aide au permis de conduire ou de la mise à disposition de voitures, il y a Proch’Orientation et Proch’Emploi. Près de 285 000 jeunes ont été touchés par Proch’Orientation et nous avons 1 800 ambassadeurs qui expliquent et font découvrir leur métier dans les collèges et les lycées. Le rôle du politique, c’est de donner un carnet d’adresses à ceux qui n’ont pas celui des parents. La première ligne sur un CV reste encore trop souvent une galère pour de nombreux jeunes. LH : La nature des emplois à créer ou à maintenir concerne les catégories les moins diplômées. Cela passe ne passe-t-il pas par une réindustrialisation et une meilleure formation générale des jeunes ? Y a-t-il des projets en la matière et singulièrement dans les régions vouées jusqu’ici à l’agriculture ? XB : Je suis un militant de l’industrie. Elle répond à un enjeu des villes moyennes et de l’aménagement intelligent du territoire. Elle crée de la valeur, les salaires y sont plus élevés que la moyenne et c’est un instrument de promotion sociale. Par exemple, nous sommes en train de bâtir une « vallée de la batterie » dans la Région avec trois gigafactories de batteries pour l’automobile et nous voulons aussi toute la filière. L’économie circulaire peut être aussi une opportunité de développement économique pour des territoires plus ruraux comme dans l’Aisne. Par ailleurs, j’alerte sur un sentiment de dépossession de nombreux jeunes qui ne peuvent plus se loger là où ils ont grandi ou à proximité de leur travail. Avec les ZAN [NDLR : zéro artificialisation nette], on est en train de mettre notre pays sous cloche. C’est une bombe à retardement. Ceux qui y ont pensé ne se sont pas mis à la place des jeunes. Dans certains territoires, vous avez un emploi, mais vous n’avez pas de toit, c’est pour moi inacceptable. LH : Le sentiment de déclin de la région est relativement fort chez les jeunes (42 % des citations). Au-delà de la désindustrialisation qui a marqué les esprits, que peut-on faire pour corriger cette impression ? XB : Quand on voit la situation internationale ou nationale, il est compliqué pour les jeunes de s’imaginer dans une oasis. Le déclin n’est pas une fatalité. C’est pourquoi avec la troisième révolution industrielle, nous allions économie et écologie, développement économique et progrès social. La nouvelle industrie, c’est dans les Hauts-de-France qu’elle se crée. Par ailleurs, je note que les jeunes sont optimistes pour leur propre destin même si leur regard sur la société a pu changer. Je ne suis pas étonné, notamment au lendemain du Covid-19, que la famille ou les amis représentent un socle comme le montre ce sondage. Dans notre pacte républicain, il y a également la question de l’accès aux services publics : il est urgent de construire un nouveau projet de société. LH : Dans le domaine culturel, Paris est un pôle d’attraction pour le sud de la région, de même que Lille l’est pour le nord. Que peut-on imaginer pour l’Aisne ou le Pas-de-Calais ? XB : La culture est un atout. Elle permet de faire reculer la misère ou la colère et donc les extrêmes. Nous ne sommes pas partis d’une page blanche. Lors du premier mandat, le budget de la culture a été augmenté de 40 % et nous avons la plus forte dépense par habitant en matière culturelle de toutes les Régions. Mais là également, il faut travailler en réseaux pour couvrir tous les territoires. Les places fortes que nous avons dans chaque département aujourd’hui ont vocation à essaimer.