La lutte des blouses blanches

Pour un financement sain de l’hôpital public et une revalorisation des carrières

par Philippe Allienne
Publié le 3 juillet 2020 à 19:36 Mise à jour le 6 juillet 2020

Après la forte mobilisation des blouses blanches du 16 juin, la manifestation du 30 a vu un net recul des participants. Pas question pourtant, pour les soignants, de baisser les bras face à un Ségur de la santé qui s’achève en queue de poisson.

Un millier devant le siège lillois de l’Agence régionale de santé puis dans le cortège lillois jusqu’à la préfecture, une centaine dans les autres villes de la région (Boulogne-sur-mer, Calais, Arras...). Les responsables syndicaux voient deux raisons essentielles à cette modeste participation : la communication a été beaucoup plus faible et tardive que pour le 16 juin (la première grande mobilisation depuis la fin du déconfinement) ; par ailleurs il y a l’effet vacances. « Si les hospitaliers veulent prendre deux semaines de vacances d’affilée, ils ont intérêt à ne pas les poser en pleine saison », observe Isabelle Bosseman (Smict CGT du CHU de Lille). Or, les vacances, après l’épisode douloureux de la Covid-19, les soignants en ont bien besoin.

Contre-expression à Paris le 14 juillet

Il n’empêche, les revendications sont plus que jamais d’actualité. D’abord, la CGT Nord organise un transport par bus pour se rendre à Paris le 14 juillet. Il n’est en effet pas question de dire Amen à un défilé sur les Champs-Élysées et à la remise de médailles promise par le gouvernement. « Une contre-expression des blouses blanches est indispensable ce jour-là », affirme la syndicaliste. « Nous ne voulons pas des médailles, nous voulons des sous » pouvait-on lire sur les affiches et pancartes des manifestants du 30 juin. Les primes de 1 500 euros ont certes été versées - et encore, par pour tous. À titre d’exemple, les salariés de l’Établissement public de santé mentale de l’agglomération Lilloise, à Saint-André-lez- Lille, en sont exclus. « Nous sommes tous agents de la fonction publique hospitalière », se défendent-ils en dénonçant une injustice et un manque de reconnaissance. Ils ont lancé un mot d’ordre de grève pour ce lundi 6 juillet.

Mais le fond du problème est bien plus crucial. Au début de l’épidémie et du confinement, le président Macron avait déclaré que la santé était au-dessus du marché. « Il s’agissait de s’assurer que les hospitaliers allaient satisfaire à leurs devoirs », soupçonne Isabelle Bosseman. Comme ses collègues, elle ne croit pas une seconde au Ségur de la santé qui s’achève ette semaine. « Nous n’obtiendrons pas en sept semaines ce que nous n’avons pas obtenu en dix ans », s’exclame-t-elle. Certes, la manifestation du 16 juin a contraint le gouvernement à négocier et à proposer une enveloppe financière de 6,5 milliards d’euros. Mais c’est trop peu au regard des besoins. Elle ne suffira même pas à financer la hausse salariale des 300 euros net par mois réclamée par les soignants et avec effet immédiat.

Sauf qu’il reste les points essentiels sur lesquels on attend les conclusions, ce vendredi, de Nicole Notat à l’issue du Ségur. Il y a d’abord la pénibilité des métiers qui, avec des salaires très inférieurs à ceux des pays voisins et de l’OCDE en général*, rendent l’hôpital public peu attractif. Infirmier(e)s et médecins peinent à postuler.« On a du mal à recruter et à remplacer » rappelle Isabelle Bosseman. Il faut augmenter les salaires de façon substantielle, revoir la grille, recruter pour régler le problèmes des horaires en surchauffe. Il faut aussi revaloriser le travail de nuit et le travail dominical. Il faut penser à la revalorisation des carrières.

Quid des promesses de mars ?

« La question des effectifs, c’est notre deuxième priorité, et elle n’est pas incluse dans l’enveloppe des 6,5 milliards d’euros. » Mais surtout, il faut absolument revoir la question du financement. « Même Agnès Buzyn avait admis que la Tarification à l’acte (TAA) n’est pas une solution et qu’il faut trouver un autre moyen de financement pour l’hôpital public. »Mais à ce jour, on parle toujours de productivité et d’endettement. À ce titre, les promesses faites début mars ne sont pas abordées.De la même façon, il faut traiter de la question des recettes en optant pour les cotisations sociales, c’est-à-dire en en mettant au dispositif d’exonération.

Des blouses blanches à bout « Des médailles ? Une prime ? Pour faire quoi ? » Les applaudissements des derniers mois ont laissé place à la colère. « Il y a encore un mois, nous étions des héros... » Vêtue de sa blouse blanche et de son masque, c’est avec beaucoup d’amertume que Salma constate la situation actuelle des soignants français aux côtés de ses collègues. Infirmière depuis plusieurs années, elle dénonce une dégradation de la profession. « Ils nous parlent de prime, je n’en ai toujours pas vu la couleur. On est moins bien payé que les autres infirmières d’Europe. » Heures supplémentaires et manque de personnel, elle s’occupe aujourd’hui de 70 patients dans un Ehpad des Hauts-de-France. « Je suis seule. Je dois m’occuper de 70 patients, seule. C’est de l’exploitation. » Une répartition inégale du travail qui conduit les soignants au burn-out. Comme Nathalie. Même si elle s’est arrêtée pendant la crise de la Covid-19, la trentenaire a souhaité être présente pour soutenir ses confrères et consœurs. « Je n’en pouvais plus. La charge de travail était devenue trop importante. On manquait d’effectif, de matériel et le côté humain du métier se perdait. Ça devenait trop difficile moralement et physiquement. » À côté, Salma tend l’oreille et acquiesce. « On risque nos vies pour être payées à coup de lance-pierre. On n’a plus le temps pour les patients. Ils payent pour des soins que l’on ne peut plus leur offrir. » Un bilan alarmant pour les prochaines générations. « Pas de prime Covid alors que j’étais au front pendant le confinement. Quand j’écoute les anciens, je me demande si j’ai fait le bon choix. » Banderole « #lesoubliés » entre les mains, Lucie, étudiante infirmière en troisième année, craint pour son avenir. « L’argent n’est pas le problème, c’est plutôt la symbolique de cette prime qui est à revoir. Toucher une prime pour travailler dans des conditions misérables toute l’année, à quoi bon ? » Nassima Azizi.