Nouvelles technologies

Pour une maîtrise populaire du numérique

par François Lariviere
Publié le 18 décembre 2020 à 16:04

À l’heure où le pouvoir des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) concurrence, voire dépasse, celui des États et affecte la liberté d’autodétermination des peuples, nous ne devons pas tomber dans une logique fataliste qui nous pousserait à devenir une colonie numérique des États-Unis. Pour cela nous devons (re)prendre en main notre souveraineté numérique.

Les États-Unis, via les GAFAM, possèdent aujourd’hui la toute puissance sur le cyberespace (Internet) et surtout sur nos données. Il nous incombe de construire un modèle alternatif, européen, français, à ce système numérique mettant en danger nos droits les plus fondamentaux. La souveraineté numérique intervient dans ce refus de voir les individus, communautés d’utilisateurs, peuples, États, perdre le contrôle de leur destin au profit d’organisations illégitimes, incernables et dont l’objectif est tout sauf l’intérêt général. Nous en arrivons à cette situation alors même que nous avons tous les atouts humains, scientifiques, culturels, créatifs et industriels pour créer un autre modèle de société de l’information. Nous en arrivons ici car nous n’avons pas cru en la technologie et en nos capacités à être dominants dans le secteur numérique. Nous en arrivons à cette situation car à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis n’ont pas eu intérêt à une Europe forte dans le domaine informatique, particulièrement à cause de la menace nucléaire, et font en sorte d’avoir le monopole dans ce domaine. Mais la France s’est tout de même lancée, après guerre, dans le domaine numérique en agrégeant des entreprises fortes afin de créer un pôle d’importance, avec la logique française du : « on fait tout nous-mêmes » comme pour le Minitel où tous les composants étaient français (le Minitel est la principale source d’inspiration de Steve JOBS pour ses Macintosh). Malheureusement la France est aujourd’hui tombée dans le « on ne fait plus grand chose nous même » (…).

Un péril pour la démocratie

Par ailleurs, la crise de confiance entre les peuples et les géants du numériques est de plus en plus présente. Le modèle de ces entreprises n’étant pas durable, cette crise peut s’expliquer par la prise de conscience de la toxicité de ces multinationales, montrée au grand jour grâce aux affaires Cambridge Analytica ou d’ingérence Russe dans la présidentielle américaine de 2016 (…). Cette toxicité économique et politique se remarque par les méthodes mises en œuvre par ces entreprises dans le seul intérêt de faire du profit. Ces géants, comme Google ou Facebook, ne se limitent plus à étudier nos données, ils étudient aussi nos comportements dans le but de transformer le comportement des individus afin de vendre des produits. Ce marketing comportemental, cette volonté de modification de la psyché des gens est dangereuse. Ce capitalisme de surveillance qui ne fait de nous que des êtres de consommation, ce capitalisme qui modifie notre comportement commercial, implique la modification de notre comportement citoyen. Par ailleurs, cette manipulation des données crée des bulles informationnelles au sein desquelles les utilisateurs ne rentrent jamais en contact avec des idées qui les dérangent, qui remettent en cause leur schéma de vie. Ces méthodes utilisées par les géants du numérique créent des groupes d’individus qui ne se parlent plus, qui ne se comprennent plus, car ils sont captifs d’une idéologie dans laquelle ils se complaisent. De plus, aujourd’hui, malheureusement, les plus grands génies mathématiques sont dévoyés en travaillant à l’optimisation du système de consommation, là où ils pourraient œuvrer pour le bien commun. Parmi les méthodes d’analyse de données, il en existe une qui est plus dangereuse que les autres, c’est le micro-ciblage (« microtargeting »), surtout quand il est utilisé par les politiques dans le but de cibler une personne et de prévoir son comportement. Vendre des produits de consommation ne mérite pas de mettre en danger la démocratie.

Pour un numérique au service de la société

Pour retrouver un numérique plus humain, plus respectueux, nous pouvons réfléchir à diverses solutions. Par exemple l’interdiction du micro-ciblage, et le démantèlement de ces sociétés qui ont une place quasi monopolistique et omnipotente dans leur secteur. Il n’est pas trop tard pour recouvrer notre souveraineté numérique et notre puissance en retrouvant une politique industrielle à la hauteur des enjeux. Historiquement, trois grandes idéologies de politique numérique existent, la vision états-unienne, d’essence libertarienne où l’individu est placé avant tout (…), la vision développée en URSS de cybernétique sociale qui peut tendre vers un système tel qu’il existe actuellement en Chine où la technologie a pour objectif d’organiser, d’harmoniser la population en repérant les défaillances individuelles, et enfin une vision européenne où la technologie doit être au service de l’ensemble de la société, au service du bien commun. Malheureusement cette vision a été abandonnée, par renoncement, résignation progressive. Paradoxalement, les deux (trois) principales technologies de domination ont été inventées en Europe : Linux et le Web (Protocole TCP/IP). Par manque de volonté nous avons laissé filer toutes ces technologies qui ont été dévoyées par les États-Unis. L’Europe et la France doivent donc adopter une posture et avoir la volonté de créer et d’être à la tête d’une alternative, afin de construire un nouveau modèle numérique qui soit bénéfique pour l’ensemble des peuples. Cela passe par le courage politique de se positionner sur ce sujet, de tenir tête aux géants du web et de créer une industrie européenne du numérique. Nous avons en Europe les cerveaux, les secteurs, et les moyens. De plus, la France forme parmi les meilleurs ingénieurs du monde, il nous faut une politique innovante sur ce secteur stratégique. (…) Nous n’avons pas forcément tous pris conscience de l’importance et de la nécessité de s’emparer du sujet mais celui-ci va devenir indispensable.

Relancer une politique industrielle ambitieuse

Il faut en finir avec ce dogmatisme libéral qui exclut l’intervention de l’État pour subventionner les secteurs stratégiques de la société, il faut arrêter de se voiler la face sur la régulation naturelle du marché : les géants du numérique américain ont tous été développés grâce à des fonds gouvernementaux (de tous les pays), les États-Unis ont une politique économique interventionniste. Nos politiques doivent clairement se positionner pour une souveraineté numérique qui nous protège, qui se questionne sur la collecte des données, son but et son utilité à court ou long terme. Nous devons en finir avec la régulation et la réglementation mondiale qui est faite au profit des entreprises américaines. Pour cela, nous devons mettre à profit ceux qui ont les compétences techniques des problématiques et des enjeux, nos ingénieurs et nos chercheurs doivent être inclus dans les processus décisionnels, les politiques ont trop souvent boycotté ceux qui avaient les connaissances techniques, pensant que le numérique ne se limitait qu’à la com’ (…). Quand nos politiques auront le courage et la volonté de se doter d’une politique industrielle audacieuse sur le long terme, permettant de retrouver notre souveraineté dans les secteurs stratégiques tels que le numérique ou l’énergie, alors la France et l’Europe pourront être des grandes puissances industrielles, sociales et économiques. Ces décisions nous permettront donc de retrouver notre souveraineté numérique et ainsi notre capacité à maîtriser l’ensemble des technologies, tant d’un point de vue économique que social et politique, et de se déterminer pour avoir notre propre trajectoire technologique. Cela implique l’extension de la République dans l’immatérialité informationnelle qu’est le cyberespace et l’expression de la volonté collective des citoyens sur les réseaux numériques.


François Larivière est élève Ingénieur de Centrale Lille - IG2I, représentant des élèves au conseil d’administration de Centrale Lille, apprenti chez Engie IT et militant de la cellule PCF de Lewarde.