De l’autre côté de la route

Quand la petite restauration ouvre ses bras aux chômeurs

par Philippe Allienne
Publié le 8 novembre 2019 à 16:13

Quand Thibault, la trentaine aujourd’hui, est arrivé sur le marché de l’emploi, il s’est rapidement tourné vers les métiers de la restauration. Entendons la restauration rapide. Dans ce domaine, nul besoin des offres -tellement rares- de Pôle Emploi. Tout peut commencer par la livraison de pizzas. Un boulot pénible, voire dangereux, et qui rapporte peu, mais un boulot quand même. Le président Emmanuel Macron, pour qui le demandeur d’emploi n’a qu’à traverser la rue pour trouver un job, n’a rien inventé dans le domaine du cynisme et de la précarité.

Le stock de frites

Mais l’autre côté de la rue, ce peut être aussi, et souvent, un poste d’employé dans un établissement d’une chaîne de hamburgers, pizzas, tacos, etc. À force d’expérience, Thibault a répondu à la proposition d’un groupe qui recherchait un manager pour son implantation régionale. Le premier entretien s’est révélé prometteur. Forcément, il avait lui- même , dans un passé récent, été co-gérant d’un établissement semblable. Mieux encore, le second entretien lui ouvrait une voie royale.

« Dans un an, m’a dit l’employeur, nous comptons ouvrir 15 magasins. Je vous vois responsable régional ». Pour ce type de métier, le salaire proposé (1 800 euros net) apparaissait raisonnable. « Et puis, apprécie Thibault, le concept était de bonne qualité : hamburgers constitués de produit frais régionaux, prélèvement sur chaque menu d’un centime rétrocédé à une association d’aide aux personnes démunies ». Mais la corbeille de la mariée s’avérait trop belle. « Lorsque je me suis présenté, un lundi matin, pour prendre mon poste, le contrat de travail n’était pas prêt. Motif invoqué : la comptable est en vacances. En attendant, on me propose un CDD d’une semaine ». Qu’à cela ne tienne. En trois jours, Thibault prend ses marques et réorganise le système de cuisine : étiquetage des produits pour faciliter la prise de commande (il y avait 7 sortes de hamburger), fiches techniques, etc.

Mais toujours pas de patron à l’horizon. Sauf au téléphone qu’il utilise sans modération pour s’inquiéter du bon fonctionnement du restaurant et de l’état du stock... de frites ! Finalement, toujours par téléphone, il propose un prolongement du CDD d’une semaine supplémentaire, mais payée au smic avant d’atteindre, après un troisième CDD, le niveau de salaire initialement promis (mais jamais par écrit).

« Au moment où je suis arrivé, raconte Thibault, la chaîne venait d’embaucher un employé sri-lankais. Peu expérimenté et ne maîtrisant ni le français, ni l’anglais, il avait du mal à suivre, surtout en période de rush où il fallait servir jusqu’à 100 couverts en une demi-heure ».

Recruté via une association de soutien aux réfugiés, il a travaillé dix jours consécutifs de 10h à 23h30 dont une très courte pause. « Il logeait dans une auberge de jeunesse où l’employeur lui réservait un lit. Mais quand ce dernier oubliait, il dormait dans le magasin ».

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300 g de poulet perdus

Pour Thibault, qui est allé jusqu’à héberger son jeune collègue, la situation n’est plus possible. Tout va casser un soir. En plein coup de feu, le patron qui s’était enfin déplacé, entame la discussion. Mais pour remettre en cause les compétences de son futur manager. Pour lui, le service du soir s’était mal passé et la gestion s’était avérée catastrophique. Il reproche notamment la perte de 300 grammes de poulet. Rien quand on sait que la législation prévoit une perte de 5 % du stock. Mais au lieu de mettre un terme à la collaboration naissante, il propose à nouveau un CDD rémunéré au smic.

Colère et détresse de l’intéressé qui ne pourra même pas se reposer l’esprit. Le lendemain, c’est dimanche. Dans la soirée, un SMS l’avertit qu’il peut rester chez lui le lendemain. Fin de l’histoire.

« Ils ne veulent pas travailler ! »

« En fait, analyse Thibault, j’étais employé polyvalent. Dans la restauration, nous sommes toujours polyvalents. Mais en plus, j’avais la responsabilité de négocier les prix, de préparer les commandes, de m’occuper de la sécurité... »

Mais pour un salaire très inférieur à ce qui avait été convenu et avec des contrats précaires. Dans certains établissements de cette chaîne, on voit passer 40 employés par an alors que l’effectif moyen est de 15 salariés. Les cadences, les mauvaises conditions de travail et l’absence de perspective font fuir. Pour l’employeur, ce turn over ne s’explique que par le manque de volonté des jeunes « qui ne veulent pas travailler ». Au dernières nouvelles, Thibault n’a pas droit aux indemnités chômage.