• Le dernier rapport du GIEC [1] alarme sur l’urgence climatique. Quel regard portez-vous sur l’enjeu climat-énergie ? Le rapport explique que la consommation effrénée de combustibles fossiles depuis l’ère industrielle a dégagé des quantités colossales de gaz carbonique (CO2) qui accentue l’effet de serre. Le niveau de l’eau monte et les phénomènes extrêmes se multiplient. L’activité humaine émet 35 millions de tonnes de CO2. 25 % sont absorbés par les forêts, 25 % par les océans, et 50 % s’accumulent chaque année. Les océans ont absorbé 90 % du CO2 dégagé entre 1970 et 2010. La température et l’acidité de l’eau augmentent, menaçant les écosystèmes et la biodiversité exposée à d’autres pollutions. Tous les leviers énergétiques doivent être mobilisés pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les enjeux climatiques imposent de réduire la consommation d’énergie et la quantité totale de sa production tout en augmentant la part d’électricité.
• Oui, mais comment ? Le débat sur les enjeux énergétiques ne doit pas se limiter à l’opposition simpliste « nucléaire contre renouvelable ». Le fonctionnement de la société ne peut pas dépendre d’énergies intermittentes soumises aux aléas météorologiques. L’accès constant à l’électricité doit reposer sur un socle solide associant des énergies disponibles et pilotables. Le nucléaire produit une électricité décarbonée. Le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE) adapte la production aux besoins grâce à l’hydraulique.
• La solution réside donc bien dans le mix énergétique ? La multiplication par cinq du nucléaire est l’un des scénarios du GIEC de 2018. La répartition assez équitable de l’uranium dans le monde diminue le risque de chocs économiques ou de conflits meurtriers autour de l’accès à l’énergie. Le déploiement de l’éolien, du photovoltaïque et de la géothermie doit être réfléchi en fonction des particularités des territoires, sachant que la construction des équipements utilise des matières premières rares et importées. Le reboisement doit compenser les émissions résiduelles de CO2.
• Il reste cependant la question des déchets nucléaires. Nous savons aujourd’hui gérer les déchets pour rendre la Terre au vert. Le volume des déchets est petit par rapport au service rendu. Ils sont coulés dans des matrices en verre, stockées dans des cuves d’acier où la radioactivité décroît. Des géologues cherchent des bassins sédimentaires argileux stables et hermétiques sur plusieurs millénaires pour y enfouir les cuves. Des linguistes travaillent pour indiquer leur emplacement aux générations futures.
• Que répondez-vous à ceux qui agitent le risque d’accident ? Les accidents peuvent être évités par un service public de contrôle de la sécurité et uneautorité de sûreté nucléaire indépendante. Une étude épidémiologique menée par l’Organisation mondiale de la santé a évalué le bilan humain de Tchernobyl à 4 500 morts, toutes causes confondues. L’indignation est à géométrie variable. L’accident chimique de Bhopal en 1984 a causé 25 000 morts. Les mines à charbon tuent 10 000 personnes chaque année.
• Que pensez-vous des projets d’EPR qu’annonce le gouvernement ? Le défi du réchauffement climatique ne peut pas être relevé sans une filière nucléaire nationalisée. S’il tente de s’en justifier, Emmanuel Macron a vendu les turbines électriques d’Alstom et nos compétences à General Electric en 2015. L’installation d’EPR [2] et l’extension d’énergies renouvelables impliquent un investissement massif dans la formation d’ingénieurs et de techniciens. EDF doit redevenir 100 % publique et maîtriser ses chantiers. Tous les rapports du RTE sur les futurs énergétiques recommandent l’électrification des véhicules et des procédés industriels.
• Vous défendez aussi un pôle public de financement. Les critères écologiques doivent conditionner l’attribution de crédits par un pôle public de financement. L’isolation des logements est cruciale pour réduire la facture énergétique, comme l’utilisation de nouveaux matériaux. Il faut imaginer des entreprises relocalisées, alimentées en énergie par des SMR [3] dont la chaleur dégagée pourrait être recyclée. Une fois la neutralité carbone at- teinte, la curseur du nucléaire dans le mix énergétique pourra être déplacé. La vraie bataille est là : s’engager dans une transition énergétique au service de l’intérêt général, indépendante des lois du marché.