Attribution essentielle, l’Assemblée départementale vote le budget départemental et prend les délibérations nécessaires à la définition des politiques départementales et au fonctionnement des services publics, dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Ce lundi 28 septembre va être voté le budget supplémentaire nécessaire pour faire face aux dépenses engendrées par l’épidémie de coronavirus. À six mois de la fin de son mandat, Jean- René Lecerf aurait voulu présenter un excédent exceptionnel de 175 millions d’euros. Se félicitant de la maîtrise des dépenses et de la « bonne dynamique fiscale », il comptait sur cet excédent pour aller plus loin dans le désendettement du Département. C’était sans compter sur les coûts engendrés par la crise sanitaire. La Covid-19 a grignoté près de la moitié de la cagnotte, soit plus de 80 millions d’euros. Les dépenses de fonctionnement ont porté sur 15 millions d’euros pour le matériel de protection, les masques pour les collégiens, les travailleurs sociaux, les dentistes et les kinés intervenant en Ehpad. S’ajoutent à cela 15,7 M€ pour les primes versées aux aides à domicile et 20 M€ de RSA supplémentaires par rapport à 2019. Enfin, côté investissement, 6,2 M€ ont servi à équiper les collégiens en numérique.
Double peine
Dans l’opposition, on ne lit pas les chiffres de la même manière. Pour son groupe, Charles Beauchamp aura l’occasion de l’exprimer le 28 septembre. Mais le nœud de la question budgétaire demeure le même depuis le début de la mandature, en 2015. Ainsi, résume le conseiller communiste, « les Nordistes ont eu droit à la double peine : augmentation de la fiscalité et diminution voire suppression de politiques départementales plus importantes les unes que les autres. Le Département a par exemple coupé drastiquement dans les crédits aux collèges et en ce qui concerne les personnes âgées ou en situation de handicap, il a mis en place les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPA). En soi, c’est une bonne chose puisque ceux-ci permettent de prévoir l’avenir. Sauf que dans le cas présent, ils ont plutôt servi à couvrir la baisse des moyens. Sous couvert de CPA, on a réduit les budgets ».
L’ombre de la tutelle
Cette politique visant à réaliser des économies mène à une situation difficile pour les personnes âgées et les familles. Les dossiers APA (allocation personnalisée d’autonomie) ont pris un retard considérable. L’allongement du traitement des dossiers va de pair avec les suppressions de personnel dans les services départementaux. « Dès avant 2015 [c’est-à-dire avant la gestion Lecerf - ndlr], nous avions toujours cette demande de l’UPN (la droite et le centre) de réduire la masse salariale. Ils s’y sont attelés dès leur arrivée à la tête du Département en s’attachant à réduire la masse salariale de 10 %. » En décembre 2018, on recensait 7 489 agents territoriaux. La réduction des effectifs se traduit forcément par une diminution du service public et de la qualité de ce service.Pour parvenir à ses objectifs, la majorité a expliqué que le Département était financièrement dans le rouge et même au bord de la faillite. Elle évoquait alors le risque d’une mise sous tutelle. « Il eut été cocasse, commente Charles Beauchamp, que le préfet du Nord mette le Département sous tutelle parce que l’État ne compense pas à la hauteur les dépenses générées par les transferts des charges (APA, PCH, RSA) aux collectivités et alors que le budget départemental dépasse les 3 milliards d’euros. » À cela s’ajoute la suppression d’un certain nombre de fiscalités comme la taxe professionnelle ou la taxe d’habitation et le remplacement annoncé de la taxe foncière par de la TVA. « En un mot, nous n’avons plus de maîtrise de la fiscalité, nous sommes sous perfusion de l’État. Jamais la droite départementale ne s’est montrée revendicative en direction de l’État sauf en début de mandat, c’est-à-dire pendant le dernier temps du quinquennat Hollande. »En 2018, Charles Beauchamp et son homologue Didier Manier à la tête du groupe Socialiste, radical et citoyen (par ailleurs ex-président du Conseil général) ont écrit aux maires du Département pour leur faire part de ce qu’ils considéraient comme le « vrai bilan ». Il porte sur neuf points pour aboutir à un constat : l’affaiblissement de la politique départementale et les risques que cela comporte.
Les deux élus pointent d’abord la hausse de la taxe sur le foncier bâti de 25,7 % dès 2016. En 2018, cet impôt demeurait supérieur de 13,07 % par rapport à 2015. Vient ensuite le transfert de charges sur les communes et intercommunalités. Ainsi, écrivent-ils, « la réforme du financement des salles de sport municipales utilisées par les collèges a généré une perte financière pour de nombreuses communes avec un tarif horaire de compensation qui est passé de 14 euros à 7 euros par heure d’occupation ». Dans le même domaine, le transfert du transport des collégiens en zone urbaine aux autorités organisatrices du transport urbain a permis au Département de se défausser et de supprimer la gratuité.S’agissant des partenaires associatifs, ils souffrent du désengagement imposé par la majorité départementale. Par exemple, les budgets des politiques volontaristes consacrés au sport ou à la culture « ont été rognés pour des économies, parfois symboliques ». On notera que des dispositifs comme le Pass’Sport ou le chéquier jeune ont disparu. Concernant les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les dotations ont diminué de 3% ce qui a conduit à les fragiliser. Charles Beauchamp et Didier Manier s’interrogent aussi sur l’insertion et sur la baisse du nombre d’allocataires du RSA (en 2018, mais on sait qu’il a remonté depuis la crise sanitaire) qui demeurait inférieure à la diminution constatée au niveau national. Le conseiller communiste regrette à ce sujet que l’on associe trop souvent les allocataires du RSA à la fraude. « Nous avons pris des dispositions contre les fraudeurs, souligne-t-il. Mais quand nous parlons RSA, nous entendons aussi formation, Éducation nationale, lutte contre l’illettrisme, politique industrielle, etc. Les licenciements économiques génèrent de la précarité et du RSA, il faut donc de l’accompagnement social, de l’aide au logement, à la santé, à la mobilité. Sinon, il n’est pas crédible de ne parler que de retour à l’emploi alors que les freins l’y empêchant ne sont pas retirés. »
Défendre l’égalité territoriale et les services publics
Les autres points du courrier adressé aux maires du Nord il y a deux ans et demi dénoncent un abandon d’une politique ambitieuse pour les collèges, l’absence de nouveaux projets structurants (contournements routiers, équipements culturels...), la disparition d’une politique ambitieuse d’aménagement du territoire, l’abandon de la prise de compétence de l’aide à la pierre.Sur cette base et ces constats, les priorités pour une nouvelle assemblée départementale doivent, selon Charles Beauchamp, porter sur la politique de solidarité qui doit passer par une lutte visant à récupérer la compensation de l’État. Cela porte tant sur le transfert des charges du RSA, que de l’APA et de la PCH (prestation de compensation du handicap). « Il n’est pas normal que l’État participe à hauteur de 48% pour 52% à la charge des Départements. » Les Départements de l’Orne, du Calvados et de la Manche viennent d’ailleurs de gagner une action en justice, en première instance, contre l’État. « S’il devait rembourser l’ensemble des Départements français, l’État devrait débourser 4 milliards d’euros. » Autre priorité : les collèges publics dont la dotation de fonctionnement a diminué de 25 % en 2016 avec une baisse de 50 % des crédits consacrés aux activités pédagogiques. « Il importe, dit Charles Beauchamp, de retrouver une politique en direction des collèges ». Quant à l’aménagement du territoire, il appelle de ses vœux une augmentation des soutiens aux projets communaux. « Il est urgent, dit-il, de préserver le couple commune-Département et d’accompagner les communes rurales. » À l’heure où d’aucuns souhaiteraient faire un sort aux collectivités départementales, le combat s’avère essentiel. « Si le Département est supprimé, qui agira pour défendre l’égalité territoriale, l’accès aux services publics, l’accompagnement des communes, la ruralité ou le désenclavement des territoires ? » interrogent les auteurs de la lettre aux maires. Reste que, d’ici mars 2021, les forces progressistes doivent jouer la carte du rassemblement.