Dossier Santé

Santé en souffrance, hôpitaux en soins palliatifs

par Philippe Allienne
Publié le 18 juin 2019 à 18:22

Les services des urgences sont en grève depuis près de trois mois. Loin de faiblir, le mouvement touche près d’une centaine de services en France. Mardi 11 juin, alors que le Sénat examinait le projet de loi Santé porté par Agnès Buzyn, une mobilisation a été organisée à Paris. A Lille, les représentants syndicaux du secteur ont été reçus par la direction de l’Agence régionale de santé (ARS).

« Je suis salarié d’un hôpital en fin de vie. Son service d’urgences compte encore vingt médecins. Ils ne seront plus que trois à quatre d’ici fin septembre pour faire fonctionner trois lignes de garde. Tout le monde est épuisé. »

Infirmier anesthésiste au centre hospitalier de Lens, et par ailleurs Premier adjoint au maire d’Avion, Jean Letoquart participait samedi 8 juin, au débat sur la santé que proposait la Fête de l’Humain d’abord à Avion. Le titre était évocateur : « État d’urgence à l’hôpital ». Mais, si Jean Letoquart n’hésite pas à se fendre de formules choc comme « l’hôpital est en soins palliatifs » , c’est bien l’ensemble du système de santé français qui est malade.

On l’a encore bien entendu mardi 11 juin, lors de la mobilisation des urgentistes. « Madame Buzyn affirme que certains patients n’ont rien à faire aux urgences, dit Candice Lafarge, urgentiste à Paris. C’est faux. Les urgences sont la première porte d’entrée pour les patients. Nous sommes là pour soigner le tout venant. On ne peut pas culpabiliser les malades en leur disant que si les urgences explosent, c’est leur faute. » Même son de cloche à Lille, le même jour devant l’Agence régionale de santé (l’établissement public chargé de la mise en œuvre de la politique de santé).

« S’il existait une médecine de ville suffisante, avec les services nécessaires et disponibles, les gens n’auraient pas besoin de se diriger automatiquement vers les urgences. Le vrai problème porte sur les moyens et sur les effectifs ». Jean Lotoquart en appelle à un dispositif exceptionnel permettant la jonction entre les médecins de ville et les hôpitaux.

Dans les urgences précisément, le personnel est en permanence en situation de souffrance (ou de « burn out » pour reprendre l’expression consacrée). Cela engendre de l’agressivité et de la violence de la part des patients (on se souvient par exemple de cet épisode douloureux, en 2016, quand le personnel du Centre hospitalier Dron, à Tourcoing, a été violemment pris à partie par des proches d’un patient venus en « expédition punitive »).

Mais cela conduit aussi à un mal être chez les soignants. « Le personnel soignant a appris la bien-traitance, mais il est amené à faire de la mal traitance » , dit le député (PCF) Alain Bruneel. Pour lui, « on remplace du personnel épuisé par du personnel éreinté ». La preuve, ultime, la récente réquisition de grévistes qui ont reçu la visite de policiers à 1 heure du matin. « Un comble » , tonne Alain Bruneel.

« On ferme les lits à un rythme effréné »

Etant donné le contexte particulier (on traite de l’humain), la grève est encadrée. C’est pour cela que de nombreux urgentistes arborent un brassard lorsqu’ils sont en grève. « Nous en sommes au point, ajoute Jean Letoquart, qu’en période de grève, les effectifs minimum se trouvent être supérieurs aux effectifs quotidiens ! » . En même temps, on ferme les lits à un rythme effréné.

Au Centre hospitalier de Lens, le nombre de lits est passé de 1200 à 800, il y a quatre ans pour descendre à 600 aujourd’hui. Résultat, les patients restent beaucoup plus longtemps aux urgences. « J’ai même vu un médecin urgentiste, raconte un patient, s’en prendre à un autre médecin pour exiger un lit qu’il croyait, à tort, disponible ! »

A Avion, Alain Bruneel a rappelé le ras-le- bol des hospitaliers et une « situation qui ne peut plus durer » . Prenant le président Emmanuel Macron au défi, il a lancé une pétition le 17 mai. [1]

« Vous nous avez annoncé un million de signature pour saisir le parlement. Chiche. Nous les aurons pour dire stop aux fermetures de services, de lits, d’urgences et de maternités » . Ce jeudi 13 juin, elle avait recueilli 16 274 signatures. Le député communiste se donne un an pour parvenir au million. En attendant, avec les autres députés de son groupe (GDR), il a préparé un projet de loi cadre pour instaurer un moratoire sur les fermetures de lits, de services, d’établissements de santé et sur l’arrêt des regroupements dans le cadre des Groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Le 11 juin à Lille, lorsque la délégation syndicale (CGT, Sud) a été reçue par le directeur général de l’ARS par intérim, M Corvaisier, directeur de l’offre de soins pour les Hauts-de-France, ce dernier s’est retranché derrière les proposition de la loi Santé de Mme Buzyn pour repousser leurs revendications. « L’objectif de cette loi et des orientations gouvernementales est de privatiser la santé et de la sacrifier sur l’autel de l’argent », juge Gervais Debaene, membre du bureau de

l’USD CGT.

EN CHIFFRES

1200

C’est le manque de médecins généralistes (200) et spécialistes (1000) dans le Nord-Pas-de-Calais.

3500

C’est, en euros, le coût d’une journée de réanimation.

100 000

C’est le nombre de lits fermés ces vingt dernières années, selon le médecin urgentiste (CGT Santé) Guillaume Prudhomme.

10 000

Le nombre d’agents hospitaliers qui manque actuellement dans les hôpitaux publics, selon Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, qui a réclamé mardi 11 juin un moratoire sur les fermetures de lits.

23 milliards

En euros, c’est ce que rapporterait à la Sécurité sociale une réelle égalité hommes-femmes.

Notes :

[1Pour signer la pétition : urgencesante.fr