DOSSIER RETRAITES

« Tout le monde est concerné par la réforme des retraites »

DOMINIQUE SENS, SECRÉTAIRE RÉGIONAL DES CHEMINOTS HAUTS-DE-FRANCE

par FRANCK JAKUBEK
Publié le 13 décembre 2019 à 16:48

Quel est l’état d’esprit des cheminots et des salariés aujourd’hui ?

Les annonces faites par le gouvernement sont insuffisantes. Chez les plus jeunes, c’est le sentiment d’avoir été trompés, floués. Ça passe très mal chez les cheminots d’être pris pour des abrutis surtout après tout le travail d’information que nous avons fait en amont pour expliquer la réforme. Malgré les risques de perte de salaires, il y a toujours la volonté d’aller jusqu’au bout.

Qu’est-ce qui est le plus choquant dans les annonces faites par le gouvernement ?

C’est le passage à terme de toute la profession sous le régime général sans que ça rapporte quoi que ce soit. Tout le monde le sait. En plus, il n’y a aucune réponse aux revendications de la CGT visant au progrès social. Ce qui est le plus choquant, c’est la régression sociale. Tout le monde va y perdre. Tout le monde en est conscient malgré le bourrage de crâne médiatique des nouveaux chiens de garde. Et le gouvernement continue de diviser les générations et les catégories de salariés.

Comment sont ressenties les attaques permanentes contre les cheminots dans les médias ?

C’est inadmissible, d’autant que les cheminots les vivent dans le champ professionnel avec les voyageurs et les usagers, mais aussi dans leur vie privée et familiale, au quotidien. Et tout le monde témoigne que c’est de plus en plus difficile à supporter. Les stratégies de manipulation de masse se mettent en œuvre bien en avance. Par exemple, dès la fin de l’allocution du Premier ministre, deux mails sont partis de la direction vers l’ensemble des cheminots pour expliquer qui serait touché ou non par les changements. Il y a collusion d’intérêts entre ce gouvernement et la direction de la SNCF.

Est-ce que le fait que l’Unsa et la CFDT rejoignent le mouvement ce sera suffisant pour empêcher le gouvernement de mettre en œuvre sa réforme ?

L’unité syndicale est primordiale. C’est ce qu’on essaye de maintenir dans chaque assemblée générale. C’est le souhait des salariés et des cheminots. Le Premier ministre a bien senti le danger car il a tout de suite réagit en tendant de nouveau la main aux deux organisations. Mais nous avons besoin de cette unité, notamment pour la convergence des luttes.

Est-ce que vous ressentez des différences et des similitudes avec le mouvement de 1995 ?

Il y a des similitudes dans les propos de Juppé à l’époque et de Macron aujourd’hui dans le mépris de classe qui s’affiche. Il y a des similitudes dans la fébrilité de certains partis dont celui au pouvoir, LREM. Et c’est tant mieux que le vernis s’écaille. Il y a des similitudes aussi dans la fébrilité des dirigeants de la SNCF, surtout le nouveau directeur, qui voudrait qu’on lui laisse le temps d’arriver. Il y a aussi un effet générationnel sur les cheminots. Ceux qui ont connu 95 sont de moins en moins nombreux. Ceux qui ont une culture de la lutte sont moins nombreux aussi. Il y a de plus en plus de contractuels à la SNCF. Ils sont concernés aussi mais ne sont pas encore dotés d’une culture syndicale dans l’entreprise. La politisation, la conscience de devoir se battre par la grève, nous ne la retrouvons pas forcément aujourd’hui. Chez les cheminots oui, mais pas dans les petites boîtes.

Quel message justement envoyer vers ceux qui ne sont pas encore en grève, n’osent pas, ou sont isolés ?

Ce jeudi matin, après l’assemblée générale interprofessionnelle, à Sin-le-Noble, plein de gens que je n’avais jamais vus ont témoigné que, dans leur entreprise, ils sont seuls ou juste quelques-uns, quatre ou dix, à faire grève. C’est le rôle des organisations syndicales d’aller dans ces entreprises pour redire que tout le monde est concerné. Qu’il ne faut pas se laisser berner. Et surtout pas se laisser embarquer dans des solutions individualistes ni dans les divisions orchestrées actuellement. Les manifs, c’est bien, ça regonfle le moral. La participation est très importante, tant le 5 que cette semaine. Nous serons attentifs le 17. Mais ça ne suffit pas. C’est la grève pour bloquer l’économie et les appels au secours du grand patronat qui feront plier le gouvernement. Le PTB a su faire reculer le projet gouvernemental. Rien n’est inéluctable. La grève générale ne se décrète pas, elle doit se mettre en œuvre.

Le point pour mes petits-enfants

Édouard Philippe promet une « règle d’or » selon laquelle la valeur du point-retraite ne baissera pas. Mais de quelle valeur parle-t-il ? Car, il y a deux valeurs du point : la valeur d’achat et la valeur de service, aussi appelée « de rendement ». La première (valeur d’achat) est le montant en euros nécessaire pour acquérir un point comptant pour la retraite. La seconde (valeur de service) est la valeur de conversion en euros de ce point au moment du départ en retraite. Plus la valeur d’achat augmentera (et c’est peut-être de celle-là dont parle le Premier ministre), moins le salarié obtiendra de points. C’est automatique (contrairement aux antibiotiques). Selon que la valeur d’achat d’un point est de 10 euros, 11 euros ou 12 euros, le nombre de points obtenus avec 1 000 euros de salaire n’est pas le même. Ce nombre baisse. Et donc, avec moins de points - même à valeur de service constante - on aura moins de retraite. Si, comme l’a annoncé ce gouvernement, le montant total des sommes allouées aux retraites ne peut augmenter (pas question, a-t-il dit, de dépasser le seuil actuel de 14 % du PIB) et que le nombre de retraités augmente, comme c’est prévisible, forcément les décideurs augmenteront la valeur d’achat du point, et plus cette valeur d’achat du point augmentera, moins les retraités obtiendront de points et plus le rendement final baissera. Autrement dit, plus les pensions seront basses. Voilà, à mon avis, un bon problème de mathématiques à soumettre à Jade, Éliot et même Félix. En plus, cela les concerne en tant que futurs retraités.

Jean-Louis Bouzin