Au temps du coronavirus

Un ramadan qui restera gravé dans les mémoires

par Ousmane Mbaye
Publié le 22 mai 2020 à 10:46 Mise à jour le 8 juin 2020

Actuellement dans l’ultime semaine du mois de jeûne, les musulmans se souviendront de ce ramadan 2020.Et pour cause : la Covid-19 est passée par là. Alors que la rupture du jeûne est prévue pour la nuit du 23 au 24 mai, nous avons voulu savoir comment a été vécu ce mois à l’épreuve de la crise sanitaire.

« C’est un ramadan très particulier. D’habitude il est synonyme de prières à la mosquée et de regroupements familiaux » déclare Karima 39 ans, femme au foyer et mère de trois enfants. La roubaisienne estime que le confinement a aidé les gens à se recentrer sur eux-mêmes et a été, pour sa part, une bonne préparation au ramadan. Avec son mari elle a ainsi imaginé des activités pour ses enfants (deux garçons et une fille) âgés respectivement de 11, 10 et 8 ans, comme la création d’un calendrier du ramadan et l’apprentissage de sourates [1] afin de leur faire comprendre l’importance de la foi. Face à la contrainte de rester confiné, la mère de famille tient à souligner le travail des conférenciers musulmans qui ont su d’adapter à la situation et proposer des contenus de qualité.

Confinement et réseaux sociaux

Le ramadan est un moment de convivialité où l’on se retrouve en famille le soir pour partager le repas du ftour [2]. Dans le contexte actuel de pandémie, le gouvernement a interdit les regroupements.La nouvelle a été difficile à encaisser. Pour Karima, le fait de ne pas voir ses parents pourtant à quinze minutes de chez elle a été un véritable crève-coeur. Ce qui ne l’empêche pas d’être lucide sur la priorité : la santé. « Ils sont fragiles et ont traversé beaucoup de problèmes de santé, on ne veut pas les mettre en difficulté. La plus grosse frustration, c’est l’absence de contact avec ses parents. » Face à cette absence de contact physique, les réseaux sociaux ont joué un grand rôle comme l’affirme Hakima, roubaisienne de 28 ans et mère deux jeunes garçons : « C’était compliqué mais heureusement qu’il y avait internet pour communiquer, même si on pas pu faire le ftour en famille. »

Karima reconnaît que les appels en visio avec la famille ont permis de ressouder les liens familiaux. Pour sa part Inès, étudiante de 20 ans en technique de communication à Arras est mitigée. Si elle ne nie pas l’importance des réseaux sociaux dans ces moments de partage, ils restent tout de même virtuels. « La plus grande difficulté pendant ce ramadan a été de ne pas pouvoir aller les uns chez les autres, partager des moments de convivialité et aller à la mosquée » explique-t-elle. Hakima, quant à elle, a trouvé ce ramadan confiné plus facile que d’habitude : « On est moins tenté par le fait de manger.Tout était fermé on ne sentait pas l’odeur des frites par exemples (rires). »

Dans ma famille on est devenu plus soudé.Ça m’a appris à développer la religion chez moi (...).

Courses alimentaires : entre plaisir et équilibre

Durant le ramadan, les foyers ont tendance à effectuer d’importantes dépenses alimentaires. Mais avec la crise du coronavirus qui a paralysé l’économie du pays, les prix de certaines denrées ont augmenté. Ce qui n’a visiblement pas empêché les familles de se faire plaisir. Dans la famille d’Inès qui vit chez ses parents avec sa grande soeur de 22 ans la dépense moyenne a été d’environ 250 à 300 euros. « C’était un peu moins l’an dernier », précise-t-elle. L’étudiante reconnaît que le confinement a poussé à plus de gourmandise : « On n’a pas voulu se priver !  » lâche t-elle. Karima, elle, se veut plus mesurée : « Pour beaucoup, le ramadan c’est des dépenses alimentaires. Ce qui implique plus de repas, pour moi ce n’est pas le cas. » Pour la jeune femme, ce mois doit permettre de se recentrer et d’avoir un regard critique sur notre mode de consommation. Elle regrette le fait que certains musulmans n’aient pas à l’esprit cette faculté de remise en question. Par rapport aux années précédentes, son foyer n’a pas eu plus à faire de dépenses alimentaires.

Du côté de la famille de Hakima, le budget courses est passé de 170 euros l’an dernier à 250 euros cette année pour deux semaines de provision, cumulées sur plusieurs magasins (boucheries, supermarchés, etc.). Elle précise que la hausse est due à la combinaison confinement-ramadan. « Au début du confinement, tous les gens se ruaient sur la nourriture, ce qui nous a amenés avec mon mari à prendre nos dispositions. Par exemple, si on voit de la farine, on va plus avoir tendance à prendre ça en gros » explique-t-elle. Elle s’est également tournée vers les bons plans, comme certains magasins qui vendent des produits en gros volumes à des prix raisonnables.

Un ramadan riche d’enseignements

Ce ramadan 2020, bien que particulier, aura cependant permis une autre approche de la religion et de la spiritualité. Inès retient de celui-ci le partage sous une forme nouvelle. « Dans ma famille on est devenu plus soudé. Ça m’a appris à développer la religion chez moi. J’ai pu écouter des sourates, lire le Coran, ce que je faisais d’habitude mais que j’ai pu encore plus faire avec le confinement. » Pour Karima, cette épidémie nous a permis de prendre conscience de la fragilité humaine et lui a permis d’être plus impliquée dans sa pratique religieuse tout au long de ce mois. Enfin, Hakima, retient surtout l’importance des proches.

On est moins tenté par le fait de manger.Tout était fermé on ne sentait pas l’odeur des frites par exemple (rires)

Un Aïd el-Fitr [3] spécial

Qui dit fin de ramadan, dit fête de l’Aïd. Ce moment, qui est habituellement synonyme de joie, de partage et de retrouvailles va prendre une tournure particulière cette année. Conformément aux mesures sanitaires liées au coronavirus, les mosquées seront à priori encore fermées [4] et les rassemblements de plus de dix personnes interdits ce week-end. Si ces règles sont comprises et respectées, elles n’empêchent pas le regret de ne pas voir sa famille, avant tout : « L’Aïd c’est la fête, qui dit fête dit famille » rappelle Karima. Ses parents ont exprimé leur volonté de ne pas voir trop de monde afin de se protéger, étant donné que le virus circule toujours. Si la situation est difficile à vivre, elle reconnait que la prudence est de mise. Hakima quant à elle convient que « ce ne sera pas top pour les gens qui ont des grandes familles et avaient l’habitude de se déplacer en Belgique ou Hollande ». Inès de son côté craint une fête triste « dans le sens où on pourra pas se déplacer, aller à la mosquée, se faire la bise, se serrer la main et qu’il faudra respecter les distances sociales ». Cette année, ils pourront néanmoins encore partager repas et pâtisseries avec le voisinage, dans le respect des gestes barrière, bien entendu. Aïd Mabrouk [5] !

Notes :

[1Chapitres du Coran.

[2Repas de rupture du jeûne pris chaque soir après le coucher du soleil.

[3Repas de rupture du jeûne pris chaque soir après le coucher du soleil.

[4Sauf si les mosquées arrivent à rouvrir leurs portes, conformément à la recommandation du Conseil d’État qui a ordonné à l’État de lever l’interdiction de réunion dans les lieux de culte d’ici le 26 mai, ndlr.

[5Bonne fête de l’Aïd.