Juste avant de rejoindre la manifestation du 10 décembre, à Lille, une délégation du Parti des travailleurs belges (PTB) a participé à l’assemblée des cheminots et a rencontré les responsables de la Fédération Nord du PCF. « Nous avons échangé sur notre expérience » , explique Benjamin Pestieau, responsable relations syndicales PTB. En octobre 2017, le ministre belge des Pensions avait annoncé l’introduction d’un projet de loi sur la pension à points avant la fin de l’année. Dès le 19 décembre, les trois organisations syndicales du pays ont réuni plus de 40 000 manifestants à Bruxelles. Dès ce moment, le gouvernement a commencé à reculer en reportant son projet à juin.
Deux fronts
Un combat impitoyable venait de commencer. Les syndicats et le PTB se sont battus sur deux fronts : la mobilisation sociale et une campagne intense pour gagner l’opinion publique. Ils ont monté un argumentaire efficace, allant du simple au plus complexe. À commencer par cette question : « Pourquoi travailler plus longtemps alors qu’il y a des centaines de milliers de chômeurs ? » Ou alors : « Ma pension est un droit, pas une tombola ». Avec le système à points tel qu’il était proposé, le travailleur n’aurait rien su du montant de sa retraite avant les trois ans précédant son départ. « D’ailleurs, il aurait été difficile de calculer l’âge réel de départ. Aurait-il fallu recalculer en fonction de l’espérance de vie ? Sur toutes ces questions sur lesquelles on n’a pas prise, les politiques avaient beaucoup de mal à s’expliquer » , se souvient Benjamin Pestieau. Alors, les opposants se sont organisés et sont entrés dans la brèche. Ils ont décortiqué un « mécanisme qui permet de changer les règles du jeu en permanence ».
« Pension tombola »
« Nous avons expliqué que l’on donnera des points aux salariés et non plus des euros. Ces points seront calculés à la fin de votre carrière. Mais ils seront variables en fonction du budget de l’État, du coût de la vie et de l’espérance de vie. Donc, si l’espérance de vie augmente, notre pension va diminuer. S’il y a de nouveau une crise comme en 2008, c’est à nouveau les pensionnés qui vont payer, automatiquement. C’est cela que nous avions appelé une “pension tombola’’. Une tombola organisée par la Commission européenne. Car la retraite à points est bien une ‘“demande’’ venant de l’Union européenne. » La campagne n’a pas omis d’analyser les systèmes allemands ou suédois montrés en exemples.
« Partout où ce système est imposé, les montants des retraites ont diminué, l’âge pivot a reculé. Comme en Allemagne, où les retraites ont baissé de 10 % par rapport aux salaires. Et où 2,7 millions des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Ou comme en Suède, où les travailleurs doivent bosser jusqu’à 68,5 ans pour toucher le montant qu’ils avaient avant la réforme, à 65 ans ». Autres arguments : le système à points favorise l’assurance privée. Ou encore : « Avec la fin du système par répartition, au revoir la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle. Au revoir les revendications collectives. Bonjour la privatisation des retraites. »
Pour asseoir leur action, outre les slogans et les tracts, de nombreuses publications ont été réalisées. Le PTB a publié une brochure très détaillée de 11 pages : « La “pension à points” : une tombola sans ticket gagnant ». Pour le public et les médias, il a aussi construit un argumentaire multi-format : 3 heures, 2 heures, 3 minutes, 3 secondes... Le 16 mai 2018, plus de 70 000 personnes étaient dans les rues bruxelloises. À quelques mois des élections communales d’octobre, le gouvernement a préféré renoncer.
Pression populaire et détermination
Un retrait du projet de loi est-il possible en France ? « En Belgique comme en France, répond Benjamin Pestieau, le mouvement social a connu beaucoup de défaites. On ne peut savoir à l’avance comment va se terminer un match. Si nous avons gagné en Belgique, c’est parce que le sujet de la retraite est l’un des plus sensibles chez les travailleurs. Ensuite, c’est grâce à la pression populaire : un large mouvement qui a réuni des travailleurs de tout le pays, en front commun syndical, interprofessionnel, mais aussi des associations citoyennes et avec le soutien de la population.
Oui, avec une telle détermination pour demander le retrait pur et simple, avec un mouvement qui s’inscrit dans la durée, il est possible de gagner ». Un an après leur victoire, les organisations syndicales belges et le PTB se battent pour une meilleure pension avec un seuil à 1 500 euros.
Cinq jours après l’énorme mobilisation du 5 décembre, celle du 10 n’a pas démérité. Dans toutes les villes de France, à Lille et dans toute la région, on a bien vu que l’on avait affaire à un mouvement interprofessionnel, citoyen et intergénérationnel. Les propos des lycéens et des étudiants qui disent s’inquiéter tant pour leurs parents que pour leur propre avenir sont édifiants. C’est la preuve que toucher à un système de retraite hérité du Programme national de la Résistance ne peut que susciter le désarroi et la colère.
Bien plus que les chiffres de la mobilisation, c’est la détermination des gens qui est importante. Leur message est clair, il faut retirer l’ensemble du projet. L’intervention du Premier ministre, le lendemain 11 décembre, n’a fait que les conforter dans leur position. Les organisations syndicales sont à l’unisson. Même le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, estime que « la ligne rouge est franchie » avec l’âge d’équilibre à 64 ans. Ce même dépassement est dénoncé par l’Unsa. Sa branche RATP veut une « mobilisation dans la durée » . Son secrétaire général Thierry Babec se dit persuadé que « le discours du Premier ministre était construit pour renverser certains secteurs de l’opinion publique ». Le doigt pris dans le pot de confiture en quelque sorte.
Pour FO, il faut renforcer la mobilisation. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, parle de « moquerie » et regrette que le « gouvernement veut individualiser le système de retraite » et fasse en sorte que tout le monde travaillera plus longtemps. Chez les enseignants, agacés par les récentes déclarations du ministre Jean-Michel Blanquer sur leurs salaires, le mécontentement reste le même.
Le député PCF du Nord Alain Bruneel a également vivement réagit aux annonces du Premier ministre. Il estime ce dernier « incapable d’écouter les Français. » Pour lui, toutes les craintes que les citoyens ont exprimées sont confirmées. « À l’inverse, dit-il, le mouvement social prouve au quotidien sa capacité à faire émerger des propositions alternatives pour une vraie réforme des retraites »