Droits réservés
Dans le Dunkerquois

Covid des villes et Covid des champs

par Patrice VERMEERSCH
Publié le 9 avril 2021 à 12:35

Comment la médecine de ville et la médecine de campagne s’adaptent-elles à la pandémie ? Alors que le coronavirus rythme notre vie par écran plat haute définition interposé, le moindre symptôme physique qui aurait pu être anodin en temps normal devient motif de doutes, voire de panique. Le médecin de famille est le premier interlocuteur capable de nous accompagner. Nous avons rencontré deux d’entre eux.

Premier constat du Docteur Casimiri, médecin généraliste à Grande-Synthe : l’absence quasi-totale des enfants au cabinet depuis des mois. « Non seulement pour moi, mais pour l’ensemble des praticiens du cabinet ! On ne les voit plus. Peut-être sont-ils protégés par les parents ? » Seuls les nourrissons viennent encore au cabinet pour leurs consultations régulières. Pour Pierre Casimiri, il convient avant tout de rassurer les patients. « Pour moi, aucun dispositif officiel n’a été mis en place pour les médecins en réponse aux patients chez qui la maladie a été déclarée. Je n’ai eu de la part des instances médicales françaises aucun élément sur la conduite à tenir vis-à-vis de mes patients au sujet de la Covid-19. » Faute de consignes officielles à l’échelle nationale, le médecin n’a d’autre choix que de s’appliquer ses propres protocoles en s’appuyant sur des expériences ou modèles existant sur le territoire. Pierre Casimiri a fait son choix : « Moi j’applique le protocole de l’IHU de Marseille [1]. » Il ajoute : « Quand je reçois un patient, et a fortiori dans la situation actuelle, je traite mes patients de la même manière que s’il s’agissait de mon épouse ou de ma famille… » On ne saurait être plus clair. « Moi ce qui m’embête le plus, c’est qu’on ne parle que des vaccins ! Ce n’est pas le vaccin qui va à lui seul résoudre le problème, mais le médicament. »

Cacophonie…

Écho un peu différent pour le Docteur Bérengère Vergriete, jeune médecin installée plus récemment à Spycker, en zone rurale : « Mon problème c’est plutôt le flot ininterrompu de mails, d’informations que je reçois quotidiennement. La question, c’est qu’elles sont souvent contradictoires ! » Elles émanent de la direction générale de la santé, des magazine médicaux, de la Sécurité sociale, de l’Ordre des médecins, des syndicats de médecins généralistes, de l’Agence régionale de la santé… Le médecin doit digérer et analyser toutes ces informations. Pour Berengère Vergriete, c’est ingérable : « Ce qui me gêne, c’est le temps que cela prend pour lire jusqu’à 30 mails le soir. Et même en synthétisant tout ça, il m’est impossible de m’en servir auprès de mes patients le lendemain dans la mesure où ces infos ne vont pas toutes dans la même direction… »

Dr Bérengère Vergriete, jeune médecin généraliste à Spycker, s’inquiète pour le développement des jeunes enfants qui n’ont connu que des adultes masqués.
© Droits réservés

Pas facile dans l’agglomération dunkerquoise où l’omniprésence des pathologies liées aux pollutions permanentes sans oublier les ravages liés à l’amiante entraînent un taux de maladies respiratoires très au-dessus de la moyenne. De là à faire une corrélation entre une population à risque et un climat anxiogène plus marqué qu’ailleurs, il n’y a qu’un pas.

Le comportement du patient a changé !

L’une des grandes difficultés devant la détresse des gens face à la Covid, c’est de pouvoir leur apporter une réponse réconfortante. « Le médecin ne peut pas dire au patient qu’il ne sait pas traiter la maladie » dit le Docteur Pierre Casimiri. « Son rôle est de soigner le patient et de le rassurer, rien d’autre ! » Et d’ajouter que dans le débat médiatique actuel, les seuls spécialistes qui ont réellement raison sont ceux qui déclarent « qu’ils ne savent pas ! ». Ce qui n’empêche pas le praticien de soigner. « La Covid a changé le comportement des gens » constate Bérengère Vergriete. Et même si le coronavirus « dort » quelque peu dans son secteur rural, les consultations sont actuellement plus consacrées à l’écoute qu’à l’examen clinique. Les patients éprouvent le besoin de parler, et parfois même de pleurer. Ils évoquent le mal vivre lié au télétravail : « Marre de voir en permanence les quatre murs de ma maison. » On oscille entre les « je n’en peux plus des gosses » liés au télétravail où il faut tout gérer… et à l’inverse les appels au secours : « Je suis infirmière et je ne vois plus mes enfants. »

Et après ?

Une des grandes craintes des praticiens, c’est aussi d’assister à un report dans le domaine du dépistage. Les risques de développement de maladies graves et de cancers sont réels. Enfin, il faudra rapidement se pencher sur les dégâts collatéraux liés aux mesures de préventions contre la Covid, entre le phénomène de glissement propre aux plus âgés et la sociabilisation à terme des plus jeunes. « J’ai peur pour les gosses qui n’ont connu que des gens avec des masques » nous confie Bérengère Vergriete. Peur également pour le développement de leur langage : ils apprennent par mimétisme et le masque ne le permet plus ! Du pain sur la planche à court terme pour les orthophonistes, psychologues et psychiatres… Et de quoi aussi s’interroger sur les effets indésirables non pas liés à la Covid, mais aux mesures de restriction sociale, de distanciation et de toutes les barrières imposées. À Dunkerque comme ailleurs les populations subissent et résistent. Humain !

Dans la communauté urbaine de Dunkerque, et principalement sa zone urbaine, le mois de février dernier a été marqué par une explosion inquiétante du nombre de cas de contamination. Un taux d’incidence de 1 039 cas pour 100 000 habitants avait alors été constaté. Une étude de Santé publique France avait enregistré durant plusieurs semaines une augmentation du nombre de cas Covid parallèle aux épisodes de pollution. Une thèse en tout cas autrement plus crédible que l’annonce intempestive et dénuée de fondement scientifique [2] établissant un lien entre ce pic de contamination et d’hypothétiques chapelles de carnaval. Ceci avait d’ailleurs été fermement contesté, autant par les élus locaux que par les associations carnavalesques, qualifiant ces propos « d’irresponsables ».

Notes :

[1Protocole thérapeutique pour la prise en charge ambulatoire de la Covid-19 à l’IHU de Méditerranée infection du 29 janvier 2021. Un traitement est proposé au patient qui est informé qu’il n’y a aucun traitement contre le virus ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans la prise en charge ambulatoire de la Covid-19 en janvier 2021.

[2Suite à cette déclaration de Patrick Goldstein, responsable du SAMU, Patrice Vergriete, président de la CUD précisait : « Je fais le constat qu’à Dunkerque, il n’y a pas plus de chapelles clandestines que de fêtes clandestines à Lille, Arras ou ailleurs. » « Les Dunkerquois ont été très respectueux. » « Ceux qui expriment cela ne sont pas Dunkerquois », a poursuivi l’élu pour qui la raison de cette flambée épidémique « est à trouver ailleurs ».