Réflexion sur la crise sanitaire

L’après ? Seulement « un peu pire » qu’avant ?

Par André CICCODICOLA et Dominique SICOT*

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 12 mai 2020 à 12:20

Le coronavirus frappe et la récession menace. Les pays dits riches seront particulièrement touchés : - 6,1 % dans l’ensemble des pays développés. Soit - 5,9 % aux États-Unis, - 6,5 % au Royaume-Uni, - 7 % en Allemagne, - 7,2 % en France, - 9,1 % en Italie et - 8 % en Espagne. 

En tablant sur une croissance de 4,5 à 6,6 % en 2021 selon les groupes de pays, le PIB des pays développés ne retrouverait pas le niveau de 2019 avant 2022. Cela signifie une récession puis une dépression synonymes de chômage aggravé et de misères augmentées.

Dans un rapport publié le 29 avril dernier, l’OIT (Organisation internationale du travail, ndlr) indique que 1,7 milliard de travailleurs risquent de perdre leur emploi dans le monde. Pour l’ONG Oxfam, cette situation provoquera un basculement d’entre 6 à 8 % de la population mondiale dans la pauvreté, générant une crise alimentaire affectant 250 millions de personnes.

La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr) précise : « La crise sera le fait d’un manque de revenus empêchant directement une partie de la population d’accéder à l’alimentation. » À un degré moindre, ces manques et ces maux menacent la France. Si l’on en croit la note du 20 avril de L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), en huit semaines de confinement, 11 milliards de revenus ont été perdus par les ménages, notamment ceux à faibles ressources.

Dans notre pays, le chômage se développe et affecte quelque 890 000 entreprises. Selon l’Insee, 453 000 emplois ont été détruits au cours du premier trimestre. Il y a désormais plus de 13 millions de chômeurs partiels sur 29 millions d’actifs, soit 45 %. Ils sont plus de 750 000 dans les Hauts-de-France. Après seulement un mois de confinement, l’Ires (Institut de recherche économique et sociale) estimait en se fondant sur les chiffres de l’Insee, que les revenus des ménages avaient baissé de 35 %.

Certaines familles sont déjà incapables de faire face aux « dépenses contraintes », qui représentent en moyenne 27 % de leur budget, dont 57 % en loyers et en charges. Ces mêmes loyers et charges représentent les 2/3 des dépenses pré-engagées des ménages pauvres. L’insolvabilité s’installe.

Ces faits alarment les ONG nationales. ATD Quart Monde redoute une explosion de la pauvreté. En effet, comment assurer la survie des personnes déjà précaires ? Dans les Hauts-de-France à l’issue d’un mois de confinement, les demandes d’aides auprès du SPF et des Restos du Cœur enregistraient une hausse de + 15 % à 20 %.

Cette paupérisation absolue affecte particulièrement les couches populaires les plus précaires quels que soient les territoires. Le Canard enchaîné, dans son édition du 22 avril dernier, rapportait un mail envoyé par le préfet de Seine-Saint-Denis Georges-François Leclerc, le 18 avril, à son homologue Michel Cadot, préfet de la région Île-de-France. Dans ce mail, Georges-François Leclerc redoutait des « émeutes de la faim ». Il s’inquiétait d’un « risque alimentaire » menaçant les habitants les plus fragilisés du département où le taux de pauvreté atteignait déjà 28 % en 2017. Dans la ville populaire de Montreuil (93) comptant 109 000 habitants, le jeune maire communiste Patrice Bessac a lancé un appel aux dons de nourriture et il a fait délivrer en urgence aux familles les plus précaires recensées par ses services 2 000 chèques alimentaires municipaux d’une valeur de 100 euros.

Ces maux chiffrés sont la partie émergée de l’iceberg social. Il faut y ajouter ceux qui touchent les travailleurs de l’économie dite « libéralisée » promue par Macron : les auto-entrepreneurs ou ceux de l’économie souterraine : celle des petits boulots. Cette dernière ne représente pas moins de 12 % du PIB. Elle fait vivre des centaines de milliers de nos concitoyens parmi lesquels de nombreux étudiants. Le confinent a eu aussi pour effet la suppression de services sociaux comme les cantines scolaires. Elles assuraient quotidiennement et à bas prix un repas équilibré que les familles doivent désormais assumer. Et que dire des masques que le gouvernement est incapable de fournir aux citoyens, bien qu’il soit institutionnellement le comptable de leur sécurité ? L’association de consommateurs UFC-Que Choisir, a fait ses calculs : en suivant strictement les règles d’utilisation, « il en coûtera autour de 200 euros par mois pour une famille de quatre personnes ».

Ainsi, à la crise sanitaire s’ajoute une crise économique et sociale tandis qu’une véritable crise humanitaire se profile. Il n’y aura pas mille façons d’y faire face. Celle déjà entamée vise à maintenir le système en place. Le monde « d’après » s’élabore sous nos yeux à partir du principe intangible de la préservation de la rentabilité et du profit maximal. C’est celui des ajustements structurels générant faillites et/ou licenciements de confort. Airbnb, qui fait plus de 100 millions de dollars de profits annuels, a décidé de licencier 25 % de son personnel pour préserver ses taux de rentabilité. Même scénario chez le milliardaire Michael O’Leary propriétaire de Ryanair où 3 000 salariés vont être licenciés. En France, Air France va bénéficier de trois milliards d’euros d’aide de l’État. Servira-t-elle en partie à financer des départs dits volontaires ?

Ces scenarii se multiplient et ils sont catastrophiques pour ceux qui vivent de leur seule force de travail. Au sommet de l’État, qui ne maîtrise plus sa monnaie mais dépend de la BCE (Banque centrale européenne, ndlr) et de la finance privée, on réfléchit déjà à des budgets d’extrême austérité pour assurer le remboursement de la dette.

Si l’on veut éviter un tel « après » faisant dire à l’écrivain Michel Houellebecq qu’il « sera le même, en un peu pire », il faut une nouvelle proposition politique. Il faut promouvoir un système économique et social installant l’humain et la protection de notre environnement en son cœur. Les projets existent. Il faut rassembler ceux qui les portent afin de les mettre en cohérence et aboutir à une proposition d’alternative de société à soumettre sans attendre au peuple souverain. Cette tâche, aussi urgente que nécessaire, revient notamment aux partis politiques et dans ce cas précis à ceux qui se réclament de la gauche et de l’humanisme.

Le train d’une nouvelle histoire est en marche. Les tenants du système capitaliste en exigent toujours et encore la conduite. Et les autres ?

*André Ciccodicola est conseiller éditorial, Dominique Sicot est journaliste.