C’est le titre du numéro de la Revue Espaces Marx Nord-Pas-de-Calais qui vient de paraître. Pour nous, il ne s’agissait pas de parler « des jours d’après », comme on l’entend encore souvent, mais d’abord et avant tout du « système d’après ». En effet, c’est le mode de développement mondialisé d’un système capitaliste productiviste et prédateur - Chine comprise - qui, moyennant les déforestations massives et l’extension de mégalopoles, a déréglé les écosystèmes et a contribué à produire les conditions de cette pandémie. Cette crise sanitaire s’inscrivant totalement dans celle du capitalisme, c’est donc, tout d’abord, à l’examen des formes les plus récentes de l’évolution du capitalisme mondialisé et à la recherche d’alternatives que sont consacrés les trois premiers articles, contributions d’économistes critiques venus d’horizons divers. Pour Jean-Marie Harribey, il s’agit d’une crise systémique du capitalisme qui met en cause sa logique profonde d’accumulation infinie poussant jusqu’à son paroxysme l’exploitation conjointe de la force de travail et de la nature. Il propose une transition vers une société post-capitaliste simultanément sociale et écologique. Pour Denis Durand, la suraccumulation du capital, tôt ou tard, devait finir par éclater et provoquer une récession, le coronavirus n’a fait que précipiter cette évolution et n’est aucunement la cause de la crise économique. Il programme, grâce à une planification démocratique et décentralisée, le développement des capacités des êtres humains et des services publics. Florent Botte et Thomas Dallery constatent que les nombreux plans de relance de l’économie qui se sont succédés ces dernières décennies ont toujours privilégié des mesures fiscales de classe, comme celle de la baisse des impôts au bénéfice des entreprises. Ils préconisent l’amplification des politiques de commandes publiques qui favoriserait entre autres la relocalisation des activités industrielles et assurerait un équilibre dans le développement des territoires. Deux points de vue philosophiques complètent ces analyses structurelles et macroéconomiques. Pour Loïc Wojda, derrière la diversité des crises écologique, sanitaire, économique et sociale se dissimule une cause unique, celle de la cupidité capitaliste. Pour contrer cette pathologie du désir d’argent devenue un danger pour l’humanité et l’ensemble de la biodiversité, il propose de lui opposer des passions de même force, telles celle de la vie artistique et/ou celle de retour à la terre, au sens d’une bonne gestion de la ressource commune et d’un rapport équilibré entre l’humain et son milieu naturel. Michel Kail s’interroge sur l’utilisation du terme « inédit » souvent employé, pour parler de la crise sanitaire actuelle. Remarquant que ce terme peut signifier soit être dévoilé, soit être entièrement nouveau, il démontre que la crise sanitaire était prévisible à cause d’une situation de rareté qui n’a rien de naturel, mais qui est due à des politiques de santé au rabais, volant néolibéral du capitalisme mondialisé.
Pour un monde débarrassé des méfaits du capitalisme
Le cadre général étant posé, plusieurs articles analysent plus précisément telle ou telle question particulièrement cruciale pour construire un monde débarrassé des méfaits du capitalisme. Il en va ainsi des questions du travail et de l’emploi qu’examine Jean-Christophe Le Duigou, économiste et syndicaliste, qui, analysant les évolutions du travail et des technologies, déduit qu’il faudra développer un nouveau champ de garanties sociales débouchant sur un « statut du travail » dépassant le marché du travail et offrant au travailleur une mobilité garantie et maîtrisée. Pour Jean-Pierre Escaffre, Jean-Luc Malétras, et Jean-Michel Toulouse, respectivement économiste, syndicaliste, et ancien directeur d’hôpital public, la crise sanitaire a prouvé qu’il fallait relocaliser l’industrie de la santé. Dans cette perspective, ils proposent d’agir simultanément en trois directions : une réorganisation globale du pilotage stratégique de la santé publique, une démocratisation du système sanitaire et la création d’une véritable filière dédiée à la santé. Philippe Batifoulier, économiste, montre qu’à l’occasion de la pandémie, la preuve a été apportée que les assurances privées ne présentaient aucun avantage concurrentiel sur la Sécurité sociale mais suggère que les décisions de remboursement fassent l’objet d’un débat démocratique. Sylvie Mayer, responsable du secteur ESS au PCF, s’attache à rechercher ce qui, dans l’économie sociale et solidaire, s’apparente à du « communisme déjà-là » comme le sont les valeurs de démocratie citoyenne ou de solidarité. Elle formule cependant des propositions pour que ce type d’économie ne devienne pas une simple « béquille du capitalisme ». Gérard Minet, responsable régional de la Ligue des droits de l’Homme, souligne que la crise sanitaire donne l’occasion aux gouvernants d’adopter nombre de mesures qui s’en prennent aux libertés et aux droits fondamentaux. Il propose de revenir aux principes fondamentaux du programme social de la Résistance de 1944 et à la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Igor Martinache, enseignant en sciences sociales et membre du PCF, défend la thèse que dans le « monde d’après » la vitalité démocratique ne résultera pas de l’affaiblissement des partis mais au contraire de leur reviviscence. Car s’ils savent se démocratiser à l’interne, ils peuvent constituer un lieu privilégié de la socialisation politique des citoyen·ne·s, particulièrement pour celles et ceux qui sont le plus dépourvu·e·s de ressources et de légitimité pour s’exprimer publiquement.
Témoignages de salariés
Notre dossier offre également au lecteur des témoignages de salariés particulièrement touchés par les conséquences de cette crise et qui font preuve de courage et d’abnégation. Toutes celles et ceux que nous avons contactés n’ont pu donner suite à nos sollicitations et nous le comprenons très bien. Cependant, certains ont quand même trouvé un peu de temps pour nous répondre. Samuel Gaillard, responsable syndical, exerçant la profession d’éboueur, évoque les manifestations de sympathie de la population mais décrit aussi la dureté du métier et l’attitude patronale, aux objectifs inchangés, demandant aux salariés de faire des efforts supplémentaires. Gabrielle Bonicel, enseignante, nous fait part des difficultés rencontrées dans son établissement relevant de l’éducation prioritaire pour assurer dans un premier temps l’enseignement à distance, puis celles, au retour en classe, liées à la mise en pratique des directives ministérielles. Brigitte Remmery, directrice d’hôpital, mentionne les capacités de mobilisation, d’adaptation et de réorganisation dont ont fait preuve toutes les catégories de professionnels de santé, solidaires face à l’urgence. Elle plaide pour de nouvelles organisations territoriales pour décloisonner les différents acteurs de santé et souhaite que les métiers du soin soient valorisés pour recréer des vocations et pour contrer les difficultés de recrutement actuelles. Fabien Boschetti, responsable d’un comité local du Secours populaire, nous expose la gravité des problèmes rencontrés, comme ceux des annulations de manifestations, et des difficultés d’approvisionnement alimentaire, mais aussi l’importance des dons supplémentaires et l’augmentation du bénévolat. Dans ce dossier, nous voulions donner un peu de place à la culture si malmenée en ce moment. Le poète Marc Maille nous offre un texte bien en phase avec la période actuelle. Dans ce numéro figurent également des articles hors dossier. Celui de Bruno Vouters qui s’attache à analyser les rapports entre la presse et la culture et celui de Pierre Outteryck qui retrace son parcours de recherche sur la militante Martha Desrumaux.